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31 mai 2021

L'affaire Jane Eyre
de Jasper Fforde
****

Quand les littéraires s’amusent…

Présentation de l'éditeur:

"Dans un monde où la littérature fait office de religion, la brigade des LittéraTec élucide plagiats, vols de manuscrits et controverses shakespeariennes. L'agent Thursday Next rêve, elle, d'enquêtes explosives, quand le cruel Achéron Hadès kidnappe Jane Eyre. Dans une folle course-poursuite spatio-temporelle, la jeune détective tentera l'impossible pour sauver l'héroïne de son roman fétiche."

Je me suis enfin décidée à entamer cette série si prometteuse dont tout le monde me disait tant de bien. Il faut dire que je venais de lire cinq gros Günter Grass et mon cerveau en surchauffe demandait une récréation. Magnanime, je la lui accordai. Voici le bilan:

   Thursday notre héroïne,est décidée et dégourdie et il ne faut pas oublier que son caractère a été endurci par sa participation à la massacrante guerre de Crimée. Je n’ai pas eu trop de mal à m’intéresser à son sort et, sans qu’elle soit le héros avec laquelle je peux entrer en communion, je ne l’ai néanmoins pas trop rejetée.
  
   Mais la merveille, c’est le monde que Fforde nous offre ici!! Une inspiration tout à fait remarquable a saisi notre auteur pour ce coup-là ! J’admire. (Un exemple entre mille, l’extraordinaire représentation théâtrale de Richard III ). Et puis, les déchirures de l’espace-temps ont toujours donné lieu à un maximum de paradoxes insolubles (n’y réfléchissez pas un soir de migraine) et j’en ai toujours été très très friande, alors lorsqu’on on y ajoute une porte sur les mondes littéraires imaginaires, cela prend tout de suite une dimension ! …
  
   Pourtant, je me dis que l’auteur a dû se donner tellement à la création de cet univers si nouveau et si riche qu’il a un peu oublié de travailler à fond ses caractères; et peut-être est-ce une lacune qu’il aura à cœur de combler lors des épisodes suivants… dans ce cas, je monterai volontiers jusqu’à 4 étoiles ½ . Irai-je jusqu’à 5??
  
   Pour ma part, le n° 2 est déjà acheté et il attend dans ma PAL que mon cerveau ait à nouveau besoin d’une petite récré, ce qui, je le sens, ne devrait pas trop tarder.
  
   Et puis, autre chose, les couvertures en édition de poche! Je les adore, elles sont fabuleuses, leur illustrateur a eu une idée de génie et je n’achèterais pour rien au monde une autre édition que 10/18.
  
   PS : Quant à savoir qui a vraiment écrit les pièces de Shakespeare… eh bien, même cela, vous l’apprendrez.

Série Thursday Next

L'Affaire Jane Eyre,  The Eyre Affair, 2001
Délivrez-moi !, Lost in a Good Book, 2002
Le Puits des histoires perdues, The Well of Lost Plots, 2003
Sauvez Hamlet !, Something Rotten, 2004
Le Début de la fin, First Among Sequels, 2007
Le Mystère du hareng saur, One of Our Thursdays Is Missing, 2011
Petit enfer dans la bibliothèque, The Woman Who Died a Lot, 2012


978-2264042071


20 avril 2021

 Notre île sombre 

ou

Le rat blanc 

de Christopher Priest 

****+

Titre original : Fugue for a darkening island

 Paru en 1972 et traduit d'abord en français sous le titre Le rat blanc, le roman a été salué au départ comme particulièrement antiraciste puis, au 21ème siècle, comme raciste. Il me semble que cette dernière accusation tienne pour beaucoup au fait que le mot « nègre » y était couramment employé, mais c'est oublier qu'à l'époque il était couramment employé partout et n'avait pas de connotation spécialement raciste, du moins le "negro" anglais. Par exemple, on parlait sans problème d'"Art nègre". Aujourd'hui le mot est tabou. Compte tenu de ce malentendu, Priest a révisé son roman avant sa dernière réédition et la version française que je viens de lire n'avait rien de raciste. Je pense que ce genre de discussion n'a pas lieu d'être. Il y avait bien les britanniques d'un côté et les envahisseurs africains de l'autre, mais on comprend bien que le problème, c'est l'invasion, pas la couleur de leur peau. Ils auraient été vikings, cela aurait été pareil. On comprend bien aussi le bien fondé des motivations des deux camps. D'ailleurs au départ, le héros fait partie des Britanniques qui voudraient accueillir les immigrés mais la situation est telle qu’ils n'en sont bientôt plus là. Voilà l'histoire :

 Les pays riches ayant sur-exploité les richesses naturelles de l'Afrique au-delà de toute mesure sans s'y investir du tout et en laissant les pires situations sociales, spoliations, guerres, massacres etc. s'y développer aussi bien que la destruction de la nature, les incendies, désertification etc. tant que cela ne gênait pas trop leurs affaires, le continent est devenu totalement non viable au sens strict du terme et les survivants réfugiés n'ont d'autre choix que de s'emparer de n'importe quel navire et de tenter de gagner d'autres parties du monde. Le phénomène est mondial. Ils débarquent n'importe où et en particulier chez les anciens colonisateurs dont ils parlent la langue. C. Priest, d'une façon assez typiquement british ne considère que la Grande Bretagne, négligeant les autres pays traversés avant d'arriver chez eux. Pas de vision mondiale, ni même européenne. Mais bon... Au prix de milliers (ou bien plus) de morts, des réfugiés parviennent à atteindre Londres dans des paquebots pleins, des cales aux ponts, de milliers de personnes dont beaucoup n'ont pas survécu au voyage. Pour les autres, à peine touché terre, ils s'enfuient en tous sens et se répandent dans la ville. Ces débarquements sauvages se poursuivant constamment (les Africains n'ont pas d'autre choix) les «envahisseurs» sont bientôt assez nombreux pour se regrouper et s'organiser d'autant que les businessmen qui ont réduit leur monde en cendres sont tout prêts à leur vendre toutes les armes qu'ils veulent. Les affaires sont les affaires. Nous suivons le personnage principal qui en quelques mois va basculer d'une vie bourgeoise et moralement médiocre de professeur peu inspiré, avec épouse, fille, maîtresses etc. à une existence de desperado dépourvue de tout et prêt à tout. Le roman vous raconte comment.

Le début m'a fait penser à «La guerre des mondes», de H.G. Wells, quand les deux héros se rendent sur les lieux où les deux vaisseaux (maritime et spatial) ont touché terre et observent l'arrivée des intrus. Il y a vraiment un parallèle entre ces deux scènes. Ici, le héros n'a rien de particulièrement sympathique. C'est plutôt un «homme moyen», le sujet c'est plutôt la situation et la façon dont elle survient et se développe. Comme souvent en science fiction, l'auteur a voulu explorer un danger en le poussant à son extrême. C. Priest dit qu'il a voulu faire un roman-catastrophe moderne et il y a parfaitement réussi puisque cette fiction de 1972 a l'air d'avoir été écrite hier. Par contre, peut-être parce qu'il a également des ambitions littéraires, la structure choisie (récit éclaté dans le temps en passages brefs, sans avertissement) rend la compréhension un peu difficile au début. C'est néanmoins passionnant.

Moralité, veillons bien à ce que l'Afrique (ou toute autre partie du monde) soit un continent où il fait bon vivre car, "Il apparut bientôt qu'on ne pouvait échapper nulle part à la chute de l'Afrique."

978-2070469031 

09 avril 2021

 La Ferme des animaux 

de George Orwell 

*****


Orwell en lanceur d’alerte

   En 1937, par conviction, Eric Blair, alias George Orwell, est venu se battre en Catalogne au côté des Républicains. Il assiste, écœuré, à l'arrestation et au massacre des trotskistes que dirigeait Andreu Nin — ce dramatique épisode de la Guerre d'Espagne que rapporte Javier Marias dans “Ton visage demain”. Nin et ses camarades du POUM ont été exécutés sous les ordres du général Orlov. Tout a été manipulé par les hommes de Moscou. C'est sans doute l'un des événements qui décident l'écrivain anglais à régler ses comptes avec Staline et sa version du communisme, comme il le suggère dans la préface de 1945 pour la première édition d' "Animal Farm" : "L’idée de ce livre, ou plutôt de son thème central, m’est venue pour la première fois en 1937, mais c’est seulement vers la fin de l’année 1943 que j’ai entrepris de l’écrire". Désormais George Orwell, profondément socialiste et démocrate, se donne la mission de dénoncer le régime totalitaire de Staline.

     En cette fin des années trente d'autres livres, presque simultanément, démystifient le stalinisme, par exemple le fameux “Retour d'Urss” d'André Gide, ou le moins connu “Au pays du grand mensonge” d'Ante Ciliga. Après "Animal Farm", l'étape suivante du combat d'Orwell sera "1984". Dans les deux cas l'auteur situe l'action de son roman en Angleterre — ce qui permet d'éviter la critique d'anti-soviétisme primaire. Orwell ne trouva pas facilement d'éditeur pour "Animal Farm" et sa préface fut censurée par les éditeurs — Londres était alors alliée de Moscou — et on l'ignora jusqu'en 1985, trente-cinq ans après la mort de l'auteur. Ce temps perdu a permis au texte d'être durablement réduit à un conte pour enfants, une histoire de petits cochons pour la jeunesse, mais dans le meilleur des mondes où nous vivons il est devenu une fable anti-totalitaire adaptée à la fin du collège puisque le programme d'histoire de la Troisième passe par l'étude de la Révolution russe et du régime de Staline.

     Que retenir d'une lecture littérale? La jolie et prospère Ferme du Manoir appartenait à Mr Jones, exploitant agricole et exploiteur des animaux, mais une révolution dirigée par les cochons l'en a chassé. Instruit par Sage l'Ancien (Old Major), leur théoricien bientôt décédé, un trio de cochons éclairés a pris les choses en mains, promettant monts et merveilles aux autres bêtes. Napoléon, Boule de Neige (Snowball), et Brille-Babil (Squealer) confisquent bientôt le pouvoir et organisent ce qui est désormais la Ferme des Animaux, une société idéale fondée sur l'idéologie des Sept Commandements, dont le premier suffit à comprendre où va l'Animalisme : "Tout deux pattes est un ennemi". Quant au septième, il doit faire l'unanimité des bêtes de la ferme : "Tous les animaux sont égaux". Outre les cochons, la ferme comprend des chiens, des chevaux, des chèvres, des moutons (beaucoup de moutons), des poules, des oies, des pigeons, etc. Mais l'utopie accouche progressivement de son contraire. Les cochons deviennent la classe privilégiée qui n'hésite pas à faire des affaires en secret avec les autres fermiers, à coucher dans les lits du manoir de Mr Jones, à boire de la bière et s'enivrer au whisky, à faire trimer le peuple, quasiment réduit à l'esclavage et à la famine pour réaliser de grands projets industriels. Pour installer sa tyrannie, Napoléon dénonce son rival Boule de Neige transformé en ennemi du peuple, à qui on attribue tous les déboires, s'entoure d'une police politique efficace et soumet la ferme à la terreur. La chute du conte? Les cochons en viennent tellement à se comporter comme les hommes qu'ils ont chassés qu'ils se mettent à marcher sur deux pieds... "Tous les animaux sont égaux mais certains le sont plus que d'autres."

     La lecture politique? Avec un chef des cochons nommé Napoléon, il est clair que George Orwell s'adressant à des lecteurs britanniques institue ainsi Staline dans le rôle de l'ennemi — alors que Hitler vient juste de perdre la guerre... Les lecteurs d'hier comme d'aujourd'hui peuvent se divertir à deviner quels personnages réels se cachent derrière les animaux de l'apologue, encore faut-il avoir une certaine connaissance de l'histoire soviétique. Sage l'Ancien décédé peu de temps après l'ascension de son parti incarne Lénine. Brille-Babil a des airs de Zinoviev mais c'est aussi la Pravda, etc. Quant à Trotsky, aucun doute, c'est ce Boule de Neige qui après avoir été un artisan de la victoire dans la Bataille de l'Etable devient petit à petit un "traître", un bouc émissaire —c'est dur pour un cochon— et un exilé conspirateur. Le cheval Malabar qui se tue au travail fait évidemment penser à Stakhanov, l'ouvrier modèle. Plus exaltant que de mettre le bon nom dans la bonne case comme dans un texte à trous, on appréciera les épisodes du roman se rapportant à l'expérience soviétique des années 1920 à 1940. Jones et les autres fermiers représentent les forces hostiles du capital et le marché est moqué dans l'épisode de la fausse monnaie. La manipulation de l'histoire, les statistiques mensongères, le “vertige du succès” de la planification quinquennale, la famine provoquée par les exportations de vivres (et invisible aux yeux des visiteurs étrangers), la querelle autour de l'industrialisation (avec les grands travaux que sont les “moulins”) autant de sujets qui attestent d'une compréhension de l'histoire soviétique encore rare vers 1945. Ce roman à clefs a anticipé brillamment sur la connaissance que nous avons désormais de l'histoire de l'URSS et du stalinisme en même temps qu'il a pris sa place au rayon des grandes œuvres du combat contre toute tyrannie.

   En cadeau:   Texte en français de la Préface écrite par G. Orwell pour l'édition de 1945.  

978-2072921414

25 mars 2003