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21 février 2023

Supermarché 

de José Falero

****

Titre original : os supridores (les fournisseurs)

Nous sommes à Porto Alegre (Brésil). Pedro et Marquès qui vivent dans des favelas sordides, travaillent au supermarché. Ils passent leurs journées en allers-retours des réserves aux rayons qu'ils doivent maintenir fournis. Travail fatigant et peu rémunérateur qui leur fournit tout juste de quoi continuer à vivre dans la favela et venir travailler. Pedro passe ses pénibles trajets de transports en commun à lire des brochures communistes et socialistes qui le confortent dans le sentiment qu'il a que ce monde n'est pas très juste. Il a entrepris en conséquence de se servir dans le supermarché, et comme il n'est pas très facile de sortir discrètement de la marchandise, il commence par s'y nourrir sans vergogne tout en initiant Marquès à ses convictions socialistes. Il est cependant clair que ce n'est pas ainsi qu'il améliorera significativement son existence et c'est toujours la même misère pour eux et leurs familles. Et puis un jour, lui vient une idée qu'il estime géniale: Dans les favelas, les dealers font la loi, sans cesse en état de guerre. Des fortunes et des vies se font et se détruisent en permanence dans une violence omniprésente. Pedro est trop intelligent pour s'engager dans ce jeu-là. Il sait que si les gains sont aussi énormes que la misère créée, la suprématie n'est jamais sereine et jamais définitive. Par contre, il remarque que les trafiquants ne vendent plus que des drogues dures bien plus rentables et que personne ne s'intéresse plus au trafic de l'herbe, au point qu'il est devenu difficile d'en trouver alors qu'il y aurait toujours une clientèle. Il calcule que même en gagnant peu sur chaque vente, il pourrait se faire un bon revenu en vendant beaucoup et sans être menacé par la police ou les dealers qui tous considéreraient son petit commerce comme négligeable. Il n'a pas trop de mal à convaincre Marquès qui ne voit pas du tout comment il va nourrir l'enfant que sa femme attend, et les voilà lancés dans les affaires. Comment tout cela va-t-il se passer ?

"Supermarché" est un premier roman bourré de défauts et de charme et d'originalité. C'est un roman écrit par quelqu’un qui, habitant dans les favelas et ayant quitté l'école à quatorze ans (même s'il a repris des études vingt ans plus tard), ne sait pas comment on écrit des romans et a tout inventé par lui-même. Ca se sent, ça se voit à tout bout de champ. Il nous inflige de longues considérations politiques mais comme le ferait un ami convaincu qui discuterait avec nous. Pas comme un donneur de leçons. Il nous communique tous les détails des calculs de rentabilité de son petit commerce au real près, et on voit qu'il a vraiment calculé les coûts et bénéfices comme s'il envisageait vraiment de réaliser ces ventes. Les personnages sont exotiques mais réalistes, débrouillards et attachants, pragmatiques et idéalistes. Tout sonne vrai, même le plus bizarre. Quand ils démarrent, ils ne peuvent même pas appeler leur fournisseur parce qu'aucun des deux n'a plus de crédit sur son portable. Ca a vraiment été un plaisir de passer ces 300 pages avec eux et de les accompagner dans cette tentative audacieuse de se sortir de la misère noire où le destin les a enfoncés dès leur naissance.

Je conseille donc vivement cette lecture malgré (ou peut-être à cause) des faiblesses et défauts du roman car tout cela sonne tellement vrai et c'est un optimisme ou plutôt une vigueur tellement vivifiante dans toute cette boue. C'est plein de vie, de drames et d'humour. Le style est inimitable, très oral, plein de grossièretés certes mais vous en avez souvent lu, des scènes de fusillade écrites comme celle-ci ? : "Comprenant enfin d'où venait l'attaque, les six hommes encore debout, déjà tous l'arme au poing, ripostèrent sans hésiter: ils tirèrent d'innombrables balles dans cette direction. Et comme ils possédaient des armes de types et de calibres variés, la salve produisit des détonations de toutes sortes: certaines bruyantes, d'autres sourdes, certaines sèches, d'autres prolongées, certaines se répétant à une vitesse stupéfiante, tandis que d'autres se répétaient à intervalles plus longs. Mais ni Marquès ni Alemaon ne furent touchés, car, dès le début de la riposte, ils retournèrent s'accroupir derrière la voiture."

C'est d'une fraîcheur d'écriture qui fait du bien et j'ai déjà hâte de lire le prochain roman de José Falero. Espérons qu'il n'aura pas perdu son naturel!


9791022612166

Mois latino

19 février 2023

Le pouvoir des fleurs

J M Laclavetine

***+


J.M Laclavetine sait nous trousser de ces aventures étonnantes et pleines de rebondissements qui ne reculent pas devant les excès romanesques. En voici une qui nous fera voyager, de Cuba au Quartier Latin.

Nous sommes tout d’abord à Paris en Mai 1968. Dans un squat communautaire s’épanouissent quatre amis de 18-20 ans tous épris de Lola, 10 ans de plus qu’eux, fille de bourgeois, ce qu’ils ignorent d’ailleurs. Ce qu’ils vont apprendre tout de suite par contre, c’est qu’elle est enceinte et, comme l’époque invente ses nouvelles formes d’amour, ils décideront d’être les pères, conjointement si l’on peut dire. Hélas, le bébé est kidnappé à la naissance et le reste du livre nous mènera sur 20 ans à travers les diverses tentatives pour le récupérer. Car Lola l’ignore encore, mais elle a un ennemi… et il est féroce et acharné.

Ce qui fait le charme de ce roman un brin déjanté, ce sont d’abord les personnages: Les quatre pères qui ont chacun une vraie originalité, un monde à eux et une réelle épaisseur psychologique, ce qui les rend tous intéressants. La personnalité de la mère et du reste de son entourage n’est pas faible non plus, comme on aura bien l’occasion de le constater. Tous les personnages sont hauts en couleurs, chacun va de toutes ses forces dans sa propre direction ce qui permet de belles rencontres comme de jolis carambolages. Et, l’époque y étant favorable, nul ne manque d’imagination ni d’esprit d’invention. Nous en verrons les fruits. Le crayon de Laclavetine est toujours là pour tracer en trois pages ou en trois lignes, le portrait d’un personnage que l’on imaginera immédiatement avec précision.

La vedette suivante est l’époque qui, de 1968 à 1988 a connu une vingtaine d’années où tout était possible ou semblait l'être. L’auteur, qui sait de quoi il parle, nous en transmet l’ambiance et l’humeur avec art, on s’y voit et on surfe sur cette vingtaine tonique (surtout au début). Le récit est assaisonné de slogans ou de phrases-clés de chansons que les contemporains reconnaissent au passage avec plaisir (il en est une de Ferré que l’auteur semble apprécier particulièrement puisqu’il la cite dans plusieurs romans). Les soixante-huitards échevelés, 20 ans après, se sont trouvé une place, quelle qu’elle soit. Nos héros comme les autres.

Le dernier atout, évidemment, c’est le style de J.M Laclavetine qui sait tout raconter avec aisance, élégance et humour. Ainsi, sous sa plume, voici à quoi ressemble un chantage:

"Ce sera pour moi l’occasion de vous restituer certains documents qui m’encombrent. Des photographies par exemple, que j’ai prises machinalement alors que vous étiez en train de négocier des doses de produits illicites avec un pourvoyeur bien connu sur la place."

Un message de ce genre ne rend-il pas le premier contact moins rugueux? Après, pour la suite, faut voir bien sûr, il n’y a pas que des non-violents dans cette histoire.

J’aurais tendance à classer ce roman dans la catégorie "polars" Ce n’en est pas vraiment un mais il y a enlèvement, recherches, diverses escroqueries, des morts violentes, des fusillades, alors on dira polar et un bon en plus.


9782070428267

11 février 2023

Pollution 

de Tom Connan

*****


Quatrième de couverture :

"David, jeune diplômé au chômage partiel, décide de quitter un Paris sous covid, pour faire une expérience de woofing dans le Cotentin. Sur place l'attendent Alex, le fils du fermier et Iris, une autre woofeuse, addict des réseaux sociaux. Tous les trois ont pour mission de s'occuper de la ferme jusqu'au retour des parents d'Alex. Alors qu'en quittant son studio parisien, David pensait fuir la pollution et l'épidémie, son séjour bucolique vire au drame, après la mort suspecte de plusieurs vaches..."

Ce roman porte hyper bien son titre parce que la pollution, on va la rencontrer, sans arrêt, et sous diverses formes. Comme si elle était la marque de notre époque, et peut-être l'est-elle, et comme si elle arrivait au stade où elle prenait le dessus sur nous, favorisée par le déni de tous.

Première fois que je lis Tom Connan, et pas la dernière, soyez-en sûrs. J'ai pris ce roman à la bibliothèque parce que je connais bien la région dont il est question et que j'avais envie de voir ce qu'il en disait. Je n'attendais pas grand chose et je n'étais même pas très sûre de mon choix, mais j'avais à peine fini de le lire que je l'ai acheté pour en garder un exemplaire dans ma bibliothèque. C'est dire s'il m'a convaincue. J'ai particulièrement aimé ce que j'aime également chez Virginie Despentes, à savoir une excellente saisie du monde actuel et de son fonctionnement réel. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui connaissent et savent parler du monde de l'hyper connexion, même si nous le vivons tous à un degré plus ou moins fort. Peu d'écrivains l'évoquent et ce n'est peut-être pas plus mal, on lirait sans doute sous leurs plumes une peinture complètement à côté de la plaque. Ici, tout au contraire, on est pile dedans. "On vivait dans un monde bizarre où des boîtes privées, dont les finalités purement commerciales ne faisaient aucun mystère, en savaient plus sur l'humanité que la totalité des états réunis. Les gouvernements n'arrivaient même pas à anticiper les lits nécessaires pour pouvoir absorber l'épidémie en cours, en revanche, les GAFA connaissaient mes goûts politiques, mes affinités sexuelles, mes peurs, mes désirs professionnels et, bien sûr, toutes mes allées et venues. Mais cet invraisemblable transfert de pouvoir ne choquait pas grand monde à la surface de la terre."

C'est presque un polar, un thriller du moins, passionnant de bout en bout et le lecteur se demande constamment comment tout cela va tourner. L'écriture est vive, nette et efficace mais surtout, les personnages, jamais caricaturés mais dont au contraire les beautés, failles et contradictions sont révélées ont tous une réelle profondeur humaine. Aucun manichéisme (ce que je craignais un peu) dans ce récit, mais au contraire une vraie empathie pour les gens. Beaucoup de choses bien vues. On est juste après les premiers confinements. L'étau s'est un peu desserré, laissant apparaître des gens encore traumatisés et incrédules (et à ce propos. T. Connan en a très bien observé les manifestations) : "Depuis le Covid, on était facilement dégoûté du corps des autres et on ressentait tout contact physique non sollicité comme une véritable agression."

C'est presque de la SF et de l'uchronie car l'histoire commence après le premier confinement (c'est vrai qu'on avait l'impression d'être dans un film de SF) et va jusqu'en mars 2024. Le livre quant à lui, est paru en décembre 2021.

Le narrateur est bien monsieur tout le monde (jeune) Il tente de mener sa barque au mieux. Il a des scrupules mais écoute surtout son intérêt, comme la plupart des gens, quoi. "Je n'étais pas très à l'aise avec l'idée de gagner ma vie de cette façon, mais le contexte..." Mais on le voit exercer plusieurs métiers tout au long du roman et cette concession-là, il la fait à chaque fois. Ils ont d'ailleurs tous des métiers plus ou moins bien payés selon les moments, sans stabilité et surtout, qui ne produisent pas du réel. Ils sont "dans l'évènementiel", conseiller, influenceuse, coach, etc. Ils vendent de l'influence ou des objets inutiles et de faible qualité à des gens qui n'en ont aucun besoin... Notre narrateur est plutôt sympathique et crédible, mais pas admirable. Un homme jeune qui se cherche "J'essayais toujours de voir la réalité qui se cachait derrière les phénomènes matériels, comme pour en retirer le voile trompeur. Il n'y avait souvent rien à découvrir, mais c'était bien plus plaisant de voir le monde à travers des représentations qu'en accès direct." dans une époque très difficile.

"On avait tué Dieu au XIXème, puis l'amour au XXème, le XXIème siècle était en train d'abolir le travail, avec d'ailleurs un certain succès, car bientôt les softwares les plus divers seraient en mesure de satisfaire l'ensemble de nos besoins. Mais qu'allions nous faire, nous, les humains, pendant que la galaxie Amazon et l'armée Apple viendrait tout nous offrir sur un plateau en échange de quelques abonnements à 9,99€ par mois? Une fois la série livrée, le cours en ligne distribué, le grille-pain réceptionné et la housse de couette déposée sur le paillasson, de quoi seraient composées nos modestes journées? D'autant qu'avec le revenu universel, le complexe technico-social voulait vraiment s'occuper de tout. Qu'étions-nous en train de fabriquer à l'échelle planétaire, sinon une grande nurserie, au passage réservée à la crème de la crème des pays occidentaux ou a minima occidentalisés? "

A lire.

9782226464835


07 février 2023

Le Balato 

de Djamel Cherigui

*****


Deuxième roman de ce jeune auteur, ce Balato me laisse avec l'envie d'aller vite voir le premier qui m'avait échappé. Ce Balato me fait penser à ces romans d'il y a une cinquantaine d'années, qui nous montraient des malfrats parisiens à la petite semaine, dans leurs vie quotidienne. On retrouve ici le même humour, la même gouaille et le même monde, si ce n'est qu'ils s'appellent Abdel ou Yassine au lieu de Marcel ou René. Mais le monde est le même, la faconde, les problèmes, les mêmes et la débrouille, toujours là. Rien de changé sous le soleil.

"A force d'évoquer les tropiques, on a eu terriblement soif. Les histoires de contrées exotiques, c'est comme les angines, ça finit inexorablement par vous assécher la gorge."

Nous sommes à Roubaix et le récit est fait par Bonbonne, ainsi nommé, comme on l'aura deviné, pour des raisons de silhouette, et écrit Bombonne pendant tout le livre (!*). Bonbonne est le neveu de Mirouche, le patron de Saturne, bistrot d'habitués, "pas des voyous non, plus, pas des vrais truands, juste des magouilleurs, des pieds nickelés." Sa mère est morte et son père est en prison pour longtemps. Tonton l'a recueilli et le traite comme son fils. Bonbonne a cessé sa formation professionnelle pour se faire embaucher comme second dans le bistrot. Il en est l'héritier annoncé, mais se sent-il bien décidé à passer toutes ses journées cloué derrière le bar? En attendant, il observe la clientèle de demi-sels et raconte, car il s'en passe des choses, au Saturne où chacun est désigné par un surnom.

L'histoire commence par une scène épique parce que l'un des habitués débarque un jour habillé trop élégamment, cela se poursuit en tripot et cambriolages, le rire est franc ou jaune selon les moments, et cela se termine... Oh, je vous laisse voir. Vous passerez un excellent moment qui passera trop vite et ne serez pas déçu de votre virée en compagnie de Bonbonne.

Je conseille très vivement. C'est drôle, mais pas que. Parfois, ça pique un peu.


"En somme, fallait apprendre à se résigner, voilà tout. C'était, comme on dit, le mektoub. Et il arrangeait pas mal de choses, le mektoub, c'était comme un grand tapis sous lequel on planquait tout ce qu'on n'avait pas envie de voir. On se traînait d'un bout à l'autre de la vie avec la poisse accrochée en bandoulière, on croulait sous le poids d’infâmes désillusions, on menait des existences encore plus dégueulasses que celles de nos pauvres parents on valdinguait d'un patron à l'autre avec pour seule consolation un minuscule salaire qui permettait à peine de boucler les fins de mois... mais tout ça n'était pas grave. Devenir toxico, alcoolique, prendre vingt ans de placard, finir amputé des deux jambes ou aveugle à cause du diabète , pas grave non plus? Fallait surtout pas s'en faire, fallait juste accepter et dire merci... Merci la vie, merci mektoub.


* Mais Larousse dit maintenant qu'on peut, exceptionnellement, mettre m. Allons bon!

978-2709667456

30 janvier 2023

L'homme peuplé 

de Franck Bouysse 

*** +


Quatrième de couverture:

"Harry, romancier à la recherche d'un nouveau souffle, achète sur un coup de tête une ferme a l'écart d'un village perdu. C'est l'hiver. La neige et le silence recouvrent tout. Les conditions semblent idéales pour se remettre au travail. Mais Harry se sent vite épié, en proie à un malaise grandissant devant les événements étranges qui se produisent.

Serait-ce lie a son énigmatique voisin, Caleb, guérisseur et sourcier ? Quel secret cachent les habitants du village ? Quelle blessure porte la discrète Sofia qui tient l'épicerie ? Quel terrible poids fait peser la mère de Caleb sur son fils ? Entre sourcier et sorcier, il n'y a qu'une infime différence."


Sans compter le fait que je m'interroge un peu sur les probabilités qu'un écrivain français s'appelle Harry, mon avis concernant ce roman est mitigé. Je n'ai pas dû me forcer pour aller jusqu'au bout, il a donc su m'intéresser, mais je suis cependant restée sur un sentiment de légère frustration.

Normalement, un bon roman policier, c'est une intrigue bien ficelée, tellement tordue que le lecteur ne voit pas avant les dernières pages où on veut l'amener. Autour, il y a le décor. Ici, c'est le contraire, tout est dans l'emballage -le décor, l'ambiance- si vous le retirez, il vous reste une intrigue vraiment simple, banale même, et seuls une construction que le lecteur ne peut deviner et un mensonge de l'auteur* nous empêchent de vraiment tout savoir bien avant l'heure. Cependant, reconnaissons que la fin expliquera bien tout ce que nous avons vu avant, sans rien oublier. Qualité non négligeable.

Il y a les personnages, fortement caractérisés, habités... mais ils le sont peut-être trop, par moments l’excès simplifie trop les choses. En fait on a presque des archétypes (carrément, même pour les méchants). C'est le décor aussi, bien planté, crédible avec son climat, sa saison... mais simplifié également. A peine deux maisons, une place de village et une terrasse de boutique, le tout sous la neige et planté hors du monde.

La qualité de ce roman, c'est l'écriture, de jolies scènes, bien peintes et pleines de vie rurale vraie, des lieux réalistes. F. Bouysse est à l'aise avec cela. C'est sa force. 

Bref, à mon avis, une lecture ni désagréable ni indispensable à moins d'être un inconditionnel de cet auteur. Mais ce n'est que mon avis.

978-2226465733

18 janvier 2023

Qui se souviendra de Phily-Jo 

de Marcus Malte

****


Ce roman est divisé en cinq parties assez longues bien que de plus en plus courtes. La première partie éponyme est racontée par Gary Sanz,  le beau-frère de Phily-Jo et nous dit qui fut ce personnage étrange, mort prématurément de façon originale mais accidentelle. Inventeur autodidacte, réfractaire aux études, Phily-Jo a inventé pas mal de petites machines sans en tirer bénéfice, mais sa grande affaire, c'est la machine à produire de l'énergie à partir de rien, de l'espace, de l'air? on ne sait pas trop d'ailleurs, si ce n'est qu'elle ne prend rien là ou elle s'alimente, il n'y a pas moins d'air ou d'espace, donc, on ne peut pas épuiser la ressource. La production d'énergie est gratuite et infinie. Les savants officiels se rient de sa trouvaille, mais il n'en fabrique pas moins un prototype qui fonctionne... si ce n'est que personne ne l'a vu.

On se doute qu'une telle machine réduirait  à la ruine toutes les grandes fortunes mondiales productrices d'énergie et faute de pouvoir l'acheter (Phily-Jo est un idéaliste), que ne feraient-elles pas pour préserver leurs avantages? Et justement, l'inventeur connaît une série de mésaventures et accidents et ne parvient pas à diffuser sa machine. Il développe une paranoïa galopante dont il est bien difficile de discerner si elle repose ou non sur quelque chose. Gary Sanz nous raconte que notre savant fou en était là lorsqu'il est mort si soudainement.

La seconde partie, intitulée « Qui se souviendra de  Gary Sanz ? » est maintenant rédigée par Dipak Singh, étudiant américain qui s'est mis en tête d’enquêter sur la vie de ce dernier car il est actuellement dans le couloir de la mort pour meurtre alors qu'il clame son innocence. La partie suivante s'intitulera  « Qui se souviendra de Dipak ... ? »  et ainsi de suite.... Je ne veux pas vous en dire plus sur l'histoire car cela nuirait au suspens et aux effets de surprise qui ont quand même une importance primordiale dans ce qui est bel et bien un roman policier. Il y a néanmoins un mélange des genres. Le récit est épaissi (parfois trop) par de nombreuses informations sur ce qui s'est déjà vraiment passé dans le monde réel. Il cite des noms, des dates , des chiffres. Il augmente ainsi le  réalisme de son roman en prouvant que les puissants sont prêts à tout et qu'il leur est déjà arrivé de passer toutes les limites et nuire à tous pour tirer toujours plus de profits

« Dans les années 1920, Dupont (chimie), associé à Général Motors (automobiles), associé à Exxon (pétrole) devient leader mondial pour la production et la vente de plomb tétraéthyle, un additif pour l'essence. Ce produit extrêmement toxique est aujourd'hui frappé d'interdiction à peu près partout dans le monde, mais durant des décennies il s'est répandu dans l'atmosphère, il a arrosé et contaminé la planète entière, on en trouve encore des traces sur toute la surface du globe, et dans les océans, dans l'écorce des arbres et jusque dans les glaces polaires. L'une de ses qualités est d'être quasiment indestructible. Il existait un produit de substitution, l'éthanol, qui était inoffensif et aurait pu jouer le même rôle que le  plomb tétraéthyle, mais l'éthanol n'était pas brevetable, trop facile à fabriquer il n'aurait pas pu assurer la situation de monopole aux trois sociétés associées et aurait considérablement réduit leurs marges bénéficiaires. La santé pour tous ou les profit pour eux : il fallait choisir.»

Mais roman à thèse et roman policier sont un mélange difficile à concilier. Je reconnais que c'est assez réussi ici, mais tout de même parfois, ça casse un peu le rythme. Quoi qu'il en soit, morts multiples, manipulations, théories du complot se déchaînent. Et comme on le sait, ce n'est pas parce qu'on est paranoïaque qu'on n'a pas d'ennemi. Alors, de quoi meurent donc tous ces gens, et pourquoi ? Certains ont leur idée :

« - Aussi terribles qu'elles soient, toutes ces morts ne sont pas le principal sujet. «Ce ne sont que des corollaires.

- Quel est le principal sujet, alors ?

- Tu vois, même toi tu ne sais plus. Preuve que la poudre a été d'une redoutable efficacité

- Eclaire-moi

- L'énergie ! Le vrai sujet, c'est ça.

- L'énergie...

Oui, le choix de notre énergie. Et sa production, sa distribution, sa maîtrise. C'est le cœur du problème. De cela dépend la survie de notre planète et de notre espèce. De cela dépend le bien-être de notre enfant. Son avenir – ou son anéantissement.»

D'autres n'y croient pas du tout.


Ah ! J'oubliais : Les références littéraires sont plus que nombreuses. Elles charpentent le livre.

979-1038701038



Citations :

« La littérature, c'est la vie. C'est la mienne en tout cas. Il n'y a pas de frontière (…) Vous pouvez aussi m'appeler Ismaël si vous voulez. Ou Achab. Vous pouvez m'appeler Roméo Montaigu ou Juliette Capulet. Car j'étais parmi l'équipage du Pequod pour chasser la baleine, comme j'étais dans les alcôves des palais de Vérone pour nouer et dénouer les intrigues. Je suis tellement nombreux... Nous fêtons le Bloomsday aujourd'hui même, c'est pourquoi je puis dire que c'est mon anniversaire : il y a très exactement cent neuf ans, je pérégrinais de l'aube à la nuit tombée dans les rues de Dublin. Avant cela, j'ai réalisé un tour du monde en quatre-vingts jours. Après cela, c'est vrai, j'ai erré pendant des mois sur les routes de notre pays en compagnie d'une exquise nymphette répondant au douloureux prénom de Dolores. (…) Je suis le colonel Chabert revenu d'entre les morts ! Et madame Bovary, c'est moi. »



« Mon père ne parlait pas de son travail et je n'ai jamais su précisément en quoi il consistait. Je sais juste que c'est ce qui l'a tué. L'usine Dupont fabriquait des produits chimiques et c'est ça qui l'a empoisonné, à petit feu, comme environ soixante-dix mille autres personnes dans la région.- et des dizaines de milliers d'animaux, sauvages et domestiques. »


14 janvier 2023

COMMANDANT ACHAB

Scénariste Stéphane Piatzszek

Dessinateur Stéphane Douay

*****


Les excellentes aventures du Commandant Achab se déclinent en cinq albums. Elles ont été publiées en 2013 et 14 et luttent depuis contre l’obsolescence programmée. Le tome 5 a perdu le combat (voir ma conclusion).

Les cinq enquêtes sont totalement distinctes les unes des autres et chacune pourrait se lire indépendamment des autres. PouRRAIT, conditionnel, car il faudrait pour cela que l'histoire entre Achab et Karim ne se poursuive pas en évoluant fortement du 1er au 5ème tome. C'est pourquoi il est en fait indispensable de lire les 5 tomes dans l'ordre et sans en manquer un.

Le personnage éponyme, devenu unijambiste, dépressif et toxicomane, végète aux archives de la PJ ne devant son maintien en poste qu'à la protection de son frère, patron de la dite PJ (rien de moins). Ce dernier lui envoie un jeune débutant pour des renseignements. Ce jeune policier est le fils d'un flic ripoux qu'Achab a tué dans l'histoire dramatique qui lui a coûté sa jambe. Tous deux vont se trouver enquêter ensemble tout en s'expliquant peu à peu sur le passé. Il en sera de même au cours des enquêtes et volumes suivants jusqu'à ce qu'au tome cinq, tout soit devenu limpide.

Les personnages d'Achab Cohen et de Karim Al-Misri sont très réussis. On découvre progressivement leurs particularités, leurs parts d'ombre et de lumière et on s'attache à eux. Ils sont complexes et ont de l'épaisseur. Le tout n'est pas d'une totale vraisemblance, mais suffisamment tout de même pour maintenir l’intérêt.

Les dessins sont excellents également. Tout à fait le style que j'aime, très vivants, pas figés, des angles de vue originaux et variés etc. La tonalité est sombre mais les histoires le sont aussi. Bref, on ne s'ennuie pas plus à regarder ces albums qu'à les lire.

Cerise sur le gâteau, le tome 4 se passe dans un village que je connais très bien et que je découvre ici superbement dessiné sous bien des angles. Je suis admirative! et enchantée d'avoir ce trésor. J'avais lu la série entière en l'empruntant à la bibliothèque, mais après la découverte de mes liens avec le 4ème volume, je l'ai achetée. Hélas, je n'ai pas trouvé le tome 5. Donc, si vous l'avez, je cherche à acheter ce tome 5 (ayant les quatre autres) mais à un prix normal. La spéculation est un vilain défaut. 😉 

 978-2302008076



25 décembre 2022

 Casse-tête en trois temps 

de Colin Dexter

****+

Cap and gown

6ème aventure de l'Inspecteur Morse qui en a vécu treize sous la plume de Colin Dexter, toutes traduites en français chez 10/18, toutes épuisées et donc à chiner chez les bouquinistes. Quel passe-temps agréable! 

L'inspecteur, qui vieillit au fil des épisodes jusqu'à mourir dans le dernier, au lieu de rester figé dans une trentaine triomphante ou une cinquantaine dépressive comme le font nombre de héros récurrents de polars, a ici 52 ans. Il est devenu un homme encore moins sociable qu'auparavant, peut-être un peu moins sensible aux femmes, mais un peu plus encore à la bière, et quand on connaît la bière anglaise*, on peut dire qu'il a du mérite... Bref, il n'en est pas moins quelque peu alcoolique et pense à se restreindre. Au moins on peut dire qu'il y pense. 

Comme d'habitude, le récit se met en place avant son arrivée (ici, chapitre VI, page 53), nous sommes toujours à Oxford, chère à l'inspecteur, et dans le milieu universitaire avec lequel il entretient des rapports lourdement chargés d'affects, pas tous positifs. Un professeur éminent a été assassiné. D'autres, en cette veille de grandes vacances, disparaissent et/ou ont des conduites étonnantes, mais heureusement ignorées de -presque- tous. Par chance, Morse, qui connaît le milieu de l'intérieur, sait fort bien que ce sont des gens compliqués et bien moins bégueules ou facilement effarouchés que ne le suppose le commun des mortels. Et cela lui permettra de percer le mystère de cette affaire encore une fois complexe, mais parfaitement élucidée. Et encore une fois, je vous donne le conseil habituel : n'essayez pas de tout comprendre au fur et à mesure qu'on vous le raconte, laissez-vous porter, plongez dans le monde où l'on vous introduit, mémorisez et vous finirez par comprendre (avec ou sans l'aide de Morse, selon votre talent). 

Son pauvre adjoint Lewis en voit comme toujours de toutes les couleurs (l'inspecteur, fondamentalement solitaire, ne songe guère à se soucier de quiconque hormis lui-même) mais ne lui en reste pas moins extrêmement attaché. L'ambiance et la météo sont toujours oxfordiennes et surtout, surtout, le charme joue une fois encore et nous aussi, ce Morse, on veut bien le suivre encore un bon moment.


 * Quand c'est froid, c'est du thé, quand c'est tiède, c'est de la bière.


Série Inspecteur Morse:

    1.     • Le Dernier Bus pour Woodstock - Last Bus to Woodstock (1975) 

    2.     • Portée disparue - Last Seen Wearing (1976) 

    3.     • Les Silences du professeur - The Silent World of Nicholas Quinn (1977) 

    4.     • Service funèbre - Service of All the Dead (1979) (Silver Dagger Award)

    5.     •  Mort à Jéricho -  The Dead of Jericho (1981) (Silver Dagger Award)

    6.     • Casse-tête en trois temps - The Riddle of the Third Mile (1983)

    7.     • Le Secret de l'annexe 3 - The Secret of Annexe 3 (1986) 

    8.     • Mort d'une garce - The Wench is Dead (1989) (Gold Dagger Award) 

    9.     • Bijoux de famille - The Jewel That Was Ours (1991) 

    10.     • À travers bois - The Way Through the Woods (1992) 

    11.     • Les Filles de Caïn - The Daughters of Cain (1994)

    12.     • La Mort pour voisine - Death is Now My Neighbour (1996)

    13.     • Remords secrets - The Remorseful Day (1999) 

+

• "Le plus grand de tous les mystères", 1 nouvelle dans le recueil collectif  "Du sang sous le sapin -  Morses's Greatest Mystery, and Other Stories" (1993) 

9782264027382



23 novembre 2022

GPS 

de Lucie Rico

****


Enfin une histoire originale !

"GPS", de Lucie Rico est presque un roman policier. D'ailleurs, même s'il ne respecte pas toutes les règles du genre, je suis sure que beaucoup d’amateurs de polars le liront avec plaisir. Il y a une disparition, une recherche qui dure sur les 215 pages, et même un meurtre. Mais il y a par ailleurs bien d'autres choses, plus incertaines, diffuses, assurées et supposées; il y a un niveau supplémentaire qui tient à la qualité de l'écriture et à l'absence de certitude quant à ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Ce voile du doute recouvre tout, du début à la fin.

Le personnage principal est Ariane, journaliste de faits divers, au chômage depuis deux ans. Elle s'est réfugiée dans son petit appartement dont elle sort de moins en moins et d'où elle envoie quantité de CV à tous les journaux dont elle pourrait espérer un emploi. Au fil des mois, elle a de plus en plus douté d'elle, s'est sentie de plus en plus dévalorisée et s'est refermée sur elle-même, au sens propre comme au figuré. Elle ne sort presque plus et développe une agoraphobie de plus en plus handicapante. Sa seule amie est Sandrine avec qui elle est liée depuis l'adolescence. En fait, le lecteur découvre chez elle plus que de l'amitié pour Sandrine, un réel amour, même s'il est platonique. Quand Sandrine va disparaître et qu'Ariane va se lancer à sa recherche, le lecteur va s'apercevoir que Sandrine avait en réalité beaucoup de secrets pour Ariane. Peu avant sa disparition, les deux jeunes femmes avaient échangé un partage de localisation sur les GPS de leurs téléphones. Elles y sont représentées par un point rouge qui paraît parfois presque expressif, surtout à Ariane qui devient moins rationnelle. C'est le fil que cette Ariane-là va suivre et qui, depuis la disparition de Sandrine, continue à se déplacer...

Mais bientôt on perd pied. Où est le réel? Qu'y a-t-il de vrai? De fantasmé? D'ancien? D'actuel? Le lecteur doute autant que notre enquêtrice qui ne sait plus où elle en est.


« Tu te dis : peut-être Sandrine est-elle perdue, quant à son mariage, et je devrais aller la retrouver, la consoler. Que pourrais-tu lui dire en la retrouvant : ça fait plusieurs jours que je te suis depuis mon GPS et je m'inquiète pour toi ? C'est absurde, dément. Tu passeras pour une chômeuse bonne à enfermer et Sandrine ne voudra plus jamais te voir.

A défaut, tu navigues sur le paysage en street view, comme s'il y avait un indice à y découvrir que le GPS était une carte au trésor que Sandrine avait réalisée spécialement en vue de te conduire ici.

Le paysage sort de terre au fur et à mesure que tu le parcours. Sur le pourtour du lac, les saules trempent leurs feuilles jaunes dans l'eau. Parfois l'ombre prend le pas sur l'arbre, s'y encastre étrangement et mange son espace. Sur un tronc, il est écrit, comme s'il était normal que les troncs portent un nom : Lac de Der »


978-2818055960
Brize a aimé aussi.

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04 novembre 2022

Blizzard

de Marie Vingtras

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Thriller extrêmement bien monté, j'ai admiré la belle écriture et la finesse de la construction de ce roman à suspens. On ne peut qu'admirer, surtout si l'on considère qu'il s'agit d'un premier roman. Il a d'ailleurs obtenu un bien mérité Prix des Libraires 2022.

Nous avons quatre personnages : Bess, Bendedict, Cole et Freeman. Un cinquième est évoqué mais ne prendra pas la parole et il y a aussi un enfant "Le petit", dont on parle beaucoup mais qui n'intervient pas. Quand je dis parole, je devrais dire "pensée", car ce que nous avons, ce sont des chapitres alternés nous livrant les pensées des quatre individus.

Bess a quitté le chalet en plein blizzard, en emmenant le fils de Benedict, petit garçon de sept ans. Pourquoi a-t-elle fait ça? C'est de la folie! Les chances de survie sont nulles en plein blizzard. Elle n'a pas eu le temps d'atteindre le véhicule qu'elle avait déjà perdu le gamin qui a lâché sa main alors qu'on ne voit rien à un mètre.

Dès qu'il s'aperçoit de leur disparition, Benedict se lance à leur recherche, s'adjoignant au passage son voisin Cole, très réticent à se lancer dans cette poursuite dangereuse et sans espoir. Un autre voisin, Freeman, n'est pas appelé à participer, d'une part parce qu'il est plus âgé et de l'autre, n'étant dans la région que depuis deux ans, il est moins bien préparé à résister à ces conditions extrêmes. La poursuite commence. De courts chapitres relaient alternativement les pensées de chaque participant en les alternant. C'est ainsi que, peu à peu, en un style très vivant et évocateur, nous comprenons mieux l'histoire de chacun, le contexte et comment on en est arrivé à cette excursion d’apocalypse et découvrons comment tout cela va finir.

« … ça a tambouriné de tous les diables à la porte. C'est pas un temps à mettre un bon chrétien dehors, alors je me suis reboutonné comme j'ai pu et j'ai attrapé mon fusil. On sait jamais ce qui peut courir les bois. J'ai crié : C'est qui ? Un truc auquel un ours pourrait pas répondre, mais il y avait trop de vent dehors pour que je puisse entendre quoi que ce soit. Les coups ont redoublé. Ma foi, j'avais pas le choix. J'ai tourné le verrou, entrouvert la porte avec mon pied et j'ai visé l’entrebâillement au cas où... »

9782823617054


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29 septembre 2022

Chien 51  

de Laurent Gaudé

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Quatrième de couverture :

"C’est dans une salle sombre, au troisième étage d’une boîte de nuit fréquentée du quartier RedQ, que Zem Sparak passe la plupart de ses nuits. Là, grâce aux visions que lui procure la technologie Okios, aussi addictive que l’opium, il peut enfin retrouver l’Athènes de sa jeunesse. Mais il y a bien longtemps que son pays n’existe plus. Désormais expatrié, Zem n’est plus qu’un vulgaire “chien”, un policier déclassé fouillant la zone 3 de Magnapole sous les pluies acides et la chaleur écrasante.

Un matin, dans ce quartier abandonné à sa misère, un corps retrouvé ouvert le long du sternum va rompre le renoncement dans lequel Zem s’est depuis longtemps retranché. Placé sous la tutelle d’une ambitieuse inspectrice de la zone 2, il se lance dans une longue investi­gation. Quelque part, il le sait, une vérité subsiste. Mais partout, chez GoldTex, puissant consortium qui assujettit les pays en faillite, règnent le cynisme et la violence. Pourtant, bien avant que tout ne meure, Zem a connu en Grèce l’urgence de la révolte et l’espérance d’un avenir sans compromis. Il a aimé. Et trahi.

Sous les ciels en furie d’une mégalopole privatisée, “Chien 51” se fait l’écho de notre monde inquiétant, à la fois menaçant et menacé. Mais ce roman abrite aussi le souvenir ardent de ce qui fut, à transmettre pour demain, comme un dernier rempart à notre postmodernité."


Nous sommes dans un futur de quelques décennies. Zem Sparak, notre personnage principal, la cinquantaine, est né en Grèce. Il a connu la Grèce telle que nous la connaissons actuellement ou presque. Le presque, c'est que les consortiums internationaux sont devenus tellement puissants qu'ils n'ont plus besoin de se cacher pour dicter leur loi aux états.  Goldtex a racheté donc  la Grèce ruinée, "le territoire, mais aussi ses habitants". Mi-citoyens mi-salariés, ils sont devenus les cilariés de Goldtex et vivent "un monde privatisé où il n'y a plus de nationalités".  Ils sont de moins en moins nombreux, comme Zem, à avoir connu et à se souvenir des pays d'autrefois, et ces souvenirs sont tous traumatisants car, comme on s'en doute, le passage, le rachat, ne s'est pas fait sans beaucoup  de violence.

Zem, homme dur, à demi détruit, se ressourçant dans les paradis artificiels,  est une sorte d'inspecteur de la criminelle affecté à la zone 3, terrains vagues où la pluie est jaune et huileuse et que les tempêtes ravagent régulièrement, la zone la plus misérable et dangereuse. Mais Sparak aussi est dangereux. Il a ses parts d'ombre qu'il essaie de racheter en se consacrant à la traque des assassins de pauvres. 

"Chien 51" est de la science-fiction, mais c'est aussi un roman policier sur fond de campagne électorale. On a retrouvé dans la zone 3, le cadavre d'un homme éventré et aux organes arrachés.  Cela ne serait pas absolument remarquable dans cette zone si la victime n'était pas un habitant de la zone 2 bien plus bourgeoise et qui est protégée par un dôme. Or, comme on s'en doute, il n'est pas dans les habitudes des habitants de la zone 2 d'aller se promener en zone 3. Que faisait-il là? Voilà de plus que l'autopsie révèle que c'était un "greffé", or les greffes d'organes, grosses valeurs de ce monde qui vise l'immortalité de quelques-uns et la très grandes mortalité de beaucoup d'autres,  ne sont distribuées qu'à une rare élite. Un registre des heureux récipiendaires est strictement et très officiellement tenu, or cet homme n'y figure pas, ce qui est absolument impossible.  Qui est cet homme ?

Un roman captivant et profond aussi, qui parle de la dérive de notre monde, de ce qui le meut vraiment  et de ce qui, finalement, a de la valeur pour l'homme. Qui montre a contrario, comment il se détruit en permanence et détruit son univers. Notre univers. Comment, dans la logique folle qui s'emballe, logique de l'argent, le malheur est aussi universel qu'individuel.

978-2330168339


09 septembre 2022

Fatherland

de Robert Harris

****+


Initialement traduit sous le titre "Le Sous-marin noir"

On ne peut pas lire ce roman de Robert Harris sans penser à Philip Kerr, sauf que Bernie Gunther, le héros de Kerr est censé évoluer dans le troisième Reich alors que Xavier March, celui de Harris, évolue en 1964 car nous avons ici une uchronie basée sur le postulat qu'Hitler a gagné la guerre et que toute l'Europe est maintenant à lui. Le régime nazi est installé partout, avec toutes les joyeusetés qui le caractérisent. Il contrôle bien sûr jusqu'à l'intimité des gens. On ne sait pas ce que sont devenus les Juifs d'Europe. On ne les voit plus. Ils ont dû être déplacés vers l'Est...

March est un policier qui croit encore à son rôle. Il a fait la guerre dans un sous-marin, il a risqué sa vie mais sous les flots. Il a peu vu ce qui se passait à l’extérieur, puis il a repris la vie civile dans la Kripo. Il est là pour protéger. Dans son uniforme noir d'officier SS il voit bien qu'il effraie tout le monde et il utilise cette crainte pour mener à bien ses enquêtes sans trop se poser de questions. Sur le plan personnel, il est divorcé et a un jeune fils qui se détourne de plus en plus de lui car le gamin est maintenant entré dans les Jeunesses Hitlériennes où il est de bon ton de surveiller et dénoncer ses parents. Il ne trouve pas son père assez nazi. Il n'a sans doute pas complètement tort et dans l'entourage de March, d'autres le soupçonnent aussi.

Ce matin-là, March est appelé par erreur bien qu'il ne soit pas de service, pour un corps découvert dans le fleuve. N'ayant pas de vie privée, il accepte d'y aller pour laisser son collègue et ami en famille. Il découvrira ensuite que loin d'être n'importe qui, cet homme était un ponte nazi de la première heure. Il a participé à la Conférence de Wannsee. Rappelons que cette réunion s'était tenue en 1942 dans le but d'organiser et mettre en œuvre la "solution finale de la question juive". Tout cela était dirigé par Heydrich. Or Heydrich est toujours aux manettes en 64, alors qu'un rapprochement s'opère avec les USA. Ayant obtenu les victoires militaires, le Reich désire maintenant nettoyer un peu son image. On tente de mettre un terme à la guerre froide (qui cette fois oppose le Reich aux USA) et la visite officielle de J. Kennedy est imminente. Heydrich voudrait bien qu'on ne remette pas les projecteurs sur cet épisode de son action. On tente donc de dessaisir March de son enquête mais comme vous vous en doutez bien, celui-ci, qui n'a aucune idée de ce dans quoi il a mis le pied, ne veut rien entendre et il va de découverte nauséabonde en découverte plus puante encore.

"Imaginez une vie consacrée à démasquer des criminels et insensiblement vous découvrez que les vrais assassins sont ceux pour qui vous travailler. Vous faites quoi?"

(Ceci dit, on est déjà un peu incrédules devant ceux qui disaient en 45 qu'on n'était pas au courant, alors en 64... Mais là, c'est une fiction.)

Pour qu'une uchronie soit bonne, il faut à la fois qu'elle s'enracine dans un socle réel solide et qu'elle ouvre des développements plausibles. Ce roman est une vraie réussite. Le thriller est haletant et tordu à souhait. Il y a des assassins et des meurtres (plusieurs millions en fait), de la haine et de l'amour, des amis et des traîtres, des rebondissements vraiment inattendus... C'est la première fois que je lis Robert Harris et c'est pour admirer sa maîtrise et son savoir-faire

 Ce roman est aussi à rapprocher du "Maître du haut château" de P.K. Dick, la grande originalité étant que le héros soit un officier SS en activité.

978-2266071178


10 août 2022

Grossir le ciel

de Franck Bouysse

***+


 Histoire de paysans taiseux, de derniers solitaires, Gus et Abel plus âgé, voisins dans Les Cévennes. "Un drôle de pays de brutes et de taiseux" . Leurs familles ont toujours été en désaccord, sans que Gus, que nous suivons tout au long du récit, sache pourquoi. Ici, "Des secrets de famille comme une bombe à retardement" minent le terrain. Ils se sont cependant rapprochés depuis qu'il ne reste plus qu'eux dans le voisinage, mais tout de même pas au points d'être familiers ni pleinement en confiance. Leur entente est plus pragmatique : services rendus et dus, bien utiles quand on est esseulé et pauvre, comme eux. Leur vie se resserre de plus en plus, isolés qu'ils sont mentalement autant que géographiquement, d'un monde qui leur devient de plus en plus étranger.

"Après être rentré, Gus s'était préparé une assiette avec le jambon coupé quelques heures auparavant, ainsi qu'un gros morceau de pain de maïs, puis il avait allumé la radio et mangé tranquillement, tout en écoutant des types qui parlaient de formes de vies inconnues se débattant dans des mondes sans correspondance avec le sien."

Même leurs relations avec le village voisin, lui-même en déclin, ne sont pas simples. Leur solitude se heurte au formalisme social de ceux qui, de leur côté, luttent pour se maintenir dans la société et pour qui ce n'est pas facile non plus. Le village a besoin de promoteurs, de nouveaux arrivants, mais ne veut pas y perdre son âme, se faire manger. Les commerçants se maintiennent comme ils peuvent, même l'épicière dont pourtant personne ne peut se passer. "C'était le genre de fille à s'occuper des affaires des autres avant les siennes, et à en inventer de nouvelles lorsqu'elle n'avait rien à se mettre sous la dent. En bonne commerçante, elle se sentit obligée de parler à Gus, et lui pas de répondre."

Gus se sent aussi largué par les "lois du marché" . "Le prix du chocolat avait encore augmenté ; ce n'était pas le cas du kilo de viande que lui achetait le marchand de bestiaux . Il y avait comme ça des mystères que Gus n'arriverait jamais à élucider, un principe de vases communicants qui ne communiquaient que dans un sens, et pas en sa faveur." Et pourtant, ces "lois du marché", sont peut-être à sa porte, plus mortelles que le loup... plus étranges aussi.

Vous prenez tous ces ingrédients, à peu près stables depuis longtemps, vous secouez un peu et...boum!

Mon seul bémol pour ce roman plutôt sympa: pas hyper original.

978-2253164180

                                                                  

30 juin 2022

L'Île du docteur Moreau

de H.G. Wells

****

L'intégralité du récit nous est fait par Edward Prendick, depuis son naufrage dont il est le seul survivant, jusqu'à sa mort. Rescapé donc de ce naufrage, Pendrick dérive sur un canot et est presque mort lorsqu'un navire le recueille. Ce navire transporte une cargaison d'animaux sauvages qu'un médecin alcoolique, le Dr Montgomery, emmène sur une île où son employeur les attend. Le médecin soigne le naufragé et parvient à le sauver mais lorsqu'il peut enfin quitter sa cabine et rencontrer l'équipage, c'est pour découvrir qu'il s'agit d'un ignoble ramassis de crapules, capitaine inclus. Quand médecin et chargement quittent le navire, le capitaine décide qu'il ne veut plus de ce naufragé et le remet à la mer sur son canot. Montgomery, dont ce n'était pas l'intention première, n'a d'autre choix que de le prendre avec lui. Une fois sur l'île, Pendrick fait la connaissance du «patron», le Dr Moreau, homme fermé et mutique qui semble consacrer sa vie à des expériences "scientifiques" sur les animaux. On parle ici de vivisection à outrance et sans la moindre anesthésie. Mais nous sommes encore au 19ème siècle et nul ne songe se préoccuper le moins du monde de la souffrance animale. Même notre héros, «Je ne suis pas tellement vétilleux sur la souffrance» déclare-t-il sans rougir (il ne parle pas de la sienne, bien sûr). Néanmoins, les hurlements de douleur incessants finissent par lui limer les nerfs, et l'amènent à quitter sa chambre pour aller se promener dans l'île où il découvrira une faune inattendue de monstres, mi hommes- mi-bêtes. C'est à ces fabrications-là que joue le Dr Moreau et le monstre est clairement de l'autre côté du scalpel. "L'Île du docteur Moreau" est plutôt un roman de suspens et d'horreur, un thriller avant l'heure en quelque sorte, Il n'y a ni martiens, ni déplacement dans le temps, ni invisibilité. En fait, il n'y a rien d'impossible, mais le "possible" qui est développé ici amène le lecteur à réfléchir autant qu'à trembler. 

Il faut savoir que H.G. Wells a été journaliste vulgarisateur scientifique à ses débuts et ce roman a été écrit et publié à l'époque où les questions de la vivisection et de l’expérimentation animale commençaient à faire polémique.  Certains contestaient leur utilité mais je ne sais pas s'il y avait déjà prise en compte des souffrances inutiles et défense des animaux auxquels on était loin de supposer des droits. Les mutilations et vivisections sans la moindre anesthésie étaient très nombreuses, inutiles et pratiquées sans la moindre retenue. L'homme était tellement sûr d'être la seule chose intéressante sur terre ! Quand je dis l'homme, je parle du blanc, bien sûr, mâle de préférence et si possible, britannique, vous l'aurez compris. Bref, l'âge d'or pour les petits sadiques très satisfaits d'eux-mêmes. "Vous oubliez tout ce qu'un habile vivisection peut faire avec des êtres vivants , disait Moreau" (à qui j'aurais aimé faire avaler son scalpel avec sa suffisance si on n'avait pas été dans un roman.)

Voilà, c'est toutes ces questions, centrales, vous le savez peut-être, que soulève Wells dans ce roman dans lequel certains ne verront qu'un page-turner à la tension poignante. Chose qu'il est aussi car je ne vous ai pas dit ce que Moreau essaie de faire et comment tout cela va se terminer... mais je veux bien quand même vous dire que les dernières pages ajoutent une profondeur inattendue au récit.

Au bilan, je ne suis pas sûre de ce qu'était la position de Wells sur la vivisection et cela me met mal à l'aise avec ce récit. Malaise encore avec toutes ces expériences inutiles et monstrueuses. Si je ne m'étais pas engagée à lire ce roman, je l'aurais sans doute interrompu dès mon arrivée sur l’île tant les évocations, bien qu'imprécises, sont pénibles et révoltantes. C'est pour ces raisons que je ne comprends pas ce que ce roman fait dans des éditions pour enfants. Y aurait-il encore tant de gens pour qui la souffrance animale n'est pas grave ? Moi, je crois qu'on connaît la valeur d'un humain à la façon dont il traite les animaux.


978-2070401789