07 juin 2023

Le Royaume désuni 

de Jonathan Coe

****

Une bonne grosse saga familiale comme les lecteurs aiment, qui s'appuie sur presque un siècle d'Histoire, comme ils apprécient plus encore. Ça nous fait réviser notre passé. Nous étions là, (peut-être pas tout à fait depuis le début, 1945, mais quand même). Nous étions de l'autre côté de la Manche, c'est notre passé à nous aussi ou du moins, nous l'avons suivi des yeux en tant que proches voisins. Nous avons entendu parler de tout ça, nous avons vu des photos, des films, des "Actualités" puis des "Infos", des News. Au fond, Jonathan Coe ne va rien nous apprendre, nous savons déjà tout ça même si nous l’avons un peu oublié, mais il va nous le montrer avec des yeux britanniques. Nous n'avons pas exactement les mêmes souvenirs, nous ne nous souvenons pas exactement des mêmes choses et, évidemment, pas de la même manière. Il va aussi éveiller en nous la nostalgie des temps anciens où nous étions, plus jeunes, plus optimistes, plus gais qui sait ? Il va nous ramener pour un moment cet ancien «Nous» qu’on aimait bien.

L'ouvrage commence par un arbre généalogique bien fourni qui m'a fait d’abord une impression plutôt désagréable. J'ai craint qu'il ne signifie que j'allais me perdre dans les personnages. Cela n'a pas trop été le cas et quand il est arrivé que je ne me souvienne plus qui était ce personnage disparu des radars depuis des décennies, c'est vrai que ce bel arbre m'a été utile.

La structure est toujours la même (on pourrait le lui reprocher) : un évènement historique qui réunit et impressionne la famille, permet de voir chacun à ce stade de sa vie et dans ses relations avec les autres. Les enfants grandissent, les adultes vieillissent, la vie suit son cours. On commence en fêtant la fin de la seconde guerre mondiale, on sacre une reine, on poursuit, on affronte la pandémie, on supporte Thatcher, Boris et le Brexit. Comble de la coïncidence qui fait tilt, j'ai lu le couronnement d'Elisabeth au moment même où radios et télés nous livraient celui de Charles III !

Une surprise au passage : je m’imaginais qu’applaudir les infirmières le soir sur son balcon (messe vaudou), était une invention franco-française et je m’étais déjà interrogée sur le premier quidam, le premier immeuble, le premier quartier qui avait fait ça… et je vois mon J. Coe se poser exactement la même question sur un quidam anglais ! 

"Peu importe d'où sortait cette idée (au bout de quelques semaines, nul ne s'en souvenait), et peu importe à quel point elle fleurait bon la symbolique vide de sens, tout le monde trouvait que ça créait aussi un esprit de communauté, en offrant à chacun un aperçu rare mais salutaire de ses voisins. A tout le moins, cela ajoutait une ponctuation hebdomadaire aux journées par ailleurs identiques qui se succédaient en un défilé amorphe, sans rien de marquant."

Alors la cynique jamais très loin en moi se dit qu’une épidémie et un confinement de toute une population se gèrent avec un think tank, que celui-ci comprend évidemment des spécialistes de la psychologie et manipulation de masses et qu’il a dû y avoir un jour là-dedans un petit malin qui a inventé une « communion sociale » sans contact, rassurante, réconfortante même, et sans danger qu’il soit microbien ou contestataire. Compte tenu du succès, il a dû avoir une prime.

Un roman qui n’ébranle pas les temples de la Littérature, mais quand même agréable à lire et pas stupide. C’est souvent comme ça avec Jonathan Coe.


9782072990878

06 juin 2023


Pour animer un peu ce CHALLENGE DES PAVÉS DE L’ÉTÉ, je cherche 1 ou plusieurs partenaires pour une LECTURE COMMUNE. La première sera "Le Silence et la Colère" de Pierre Lemaitre - 592 pages qui ne doivent pas être trop indigestes, je pense.

Je rappelle les règles d'une lecture commune, elles sont simples:

1° On lit le même livre

2° On met son commentaire de lecture (au moins 12-15 lignes) en ligne le même jour (pas avant, ni après)

3° On met à la fin de son billet les liens des participants qui ont publié leur commentaire le même jour. (Ca nous vaudra de la visite)

Ce petit jeu motive tout le monde face à un pavé. Pour la date , je propose 30 JUIN pour un départ en fanfare.

QUI VEUT JOUER ?


02 juin 2023

 Et si on profitait de l’été pour descendre ce(s) pavé(s) qui nous nargue(nt) depuis si longtemps ? 

Nous avons tous ce gros bouquin qui nous tente mais dont l’épaisseur nous effraie et nous fait reculer.

Eh bien, c’est fini ! Cet été, on va se le faire et marquer ainsi un gros point dans le Challenge des Pavés de l’été. Ouvert à tous.
Règle du jeu, là, ci-dessous =>



#CHALLENGEPAVÉSDELÉTÉ2023

30 mai 2023

L’épidémie

d’Octave Mirbeau

****


Pièce en un acte

Injustement oublié, Octave Mirbeau est un homme littéraire qui mérite encore bien qu'on lui rende une petite visite. Contestataire effréné, critique acerbe des roueries sociales, des injustices, des hypocrisies et des abus, il n'en a pas moins connu le succès. Il a fort bien vécu de sa plume et a publié de nombreux articles, des pamphlets, des critiques, de la correspondance, des contes, des nouvelles, des romans, et du théâtre. Dans cette dernière catégorie, nous trouvons deux grandes comédies (triomphe mondial) et six pièces en un acte recueillies sous le titre de "Farces et moralités" (1904). C'est parmi ces dernières que nous trouvons "L'épidémie".

Le lever de rideau nous introduit dans la pompeuse salle des délibérations du Conseil municipal, dans une grande ville maritime. L'ambiance est donnée d'emblée:

LE MAIRE

Je crois, messieurs, que nous pouvons ouvrir la séance.

LE MEMBRE DE L’OPPOSITION, tirant sa montre.

Onze heures moins le quart !… Et je déjeune à onze heures et demie. Et nous étions convoqués pour neuf heures !… C’est dégoûtant.

On sent que l'ambiance est au travail. Une question importante est pourtant à l'ordre du jour: Une épidémie de fièvre typhoïde touche la ville, ou du moins, la garnison stationnée en ville. Ce qui relativise immédiatement la gravité de la chose, puisqu'il est bien connu que c'est le métier des soldats de mourir. Cette épidémie n'a d'ailleurs rien de bien étonnant compte tenu des conditions horrifiques de casernement. Mais que voulez-vous, on ne va tout de même pas dépenser de l'argent pour leur fournir de l'eau potable... et le conseil municipal s’apprête à classer l'affaire sans plus de manières quand survient une nouvelle qui fait l'effet d'une bombe: un bourgeois en est mort aussi!!! Ce qui change tout, le rôle du bourgeois étant comme chacun sait, de maintenir l'ordre social, pas de mourir.

Nouveau problème que ces Messieurs les Conseillers ne seront évidemment pas plus aptes à résoudre que le précédent. Mirbeau se lâche là en une attaque au bulldozer (léger anachronisme de ma part) d'une société inique, totalement et profondément corrompue où les gesticulations patriotiques font office de morale. C'est drôle et désespérant. C’est également peu nuancé mais ces piécettes visaient un public plus sensible à la peinture à gros traits et aux teintes violentes. Et nous, cent ans plus tard, on se dit que vraiment… rien ne change sous le soleil. Peut-être est-on plus discret, et encore… sans doute pas hors micros et caméras.

Tous les textes d’Octave Mirbeau sont maintenant libres de droits et vous pouvez facilement trouver les ebook gratuits, profitez-en!


 978-1544129976



25 mai 2023

EN HOMMAGE A MARTIN AMIS, MORT LE 19 mai 2023

Lionel Asbo, l'état de l'Angleterre

Martin Amis

*****

Le narrateur, Desmond Pepperdine est un jeune homme issu de cité qui constitue une exception car, bien qu'élevé dans les pires conditions, il va s'orienter avec succès vers les études et une vie de famille équilibrée. Orphelin, il ne lui reste que sa grand-mère Grace Pepperdine (qui fait figure de vieillarde, bien qu’elle n’ait que 39 ans au début de l’histoire et juste quelques années de plus à la fin) et son oncle Lionel, 21 ans. Desmond, lui, a 15 ans, et de gros soucis car d’abord, il n’est déjà pas bien vu dans ces quartiers de bien travailler en classe. Cela irait même très certainement très mal pour lui s’il n’était pas le neveu de Lionel. Mais il l’est, et personne dans la cité, ne se risquerait à faire quoi que ce soit qui puisse contrarier son oncle Li.

Lionel, ne s’appelle plus Pepperdine. Il a fait officiellement changer son nom parce ce que  « c'est con comme nom » et il a choisi en remplacement : Asbo ! Parce que ASBO est l’acronyme de « antisocial behaviour order » qui désigne les différentes sanctions que son comportement antisocial pouvait lui valoir. C’est que les juges s’intéressent à lui depuis qu’il a 3 ans, alors forcément, ça crée des liens. Lionel n’est pas du genre câlin, ce n’est pas lui qui risque de prendre Desmond dans ses bras. Mais c’était sa famille –bien qu’il soit peu sensible au concept- aussi l’a-t-il laissé vivre avec lui lorsqu’il a perdu sa mère à 12 ans (de père, bien sûr, il n’y avait pas). A ce moment-là, Desmond a sombré dans une sorte de dépression, une période « a-mère » pendant laquelle il ne faisait rien, ne s’intéressait à rien, et cela a duré trois ans, et puis peu à peu, il s’est aperçu, avec surprise que son intelligence s’éveillait, qu’elle exigeait qu’on la nourrisse et qu’on l’utilise. Il savait que les autres autour de lui ne vivaient pas ce genre d’expérience, et il sut également tout de suite qu’il valait mieux le dissimuler à son entourage. Mais cela éveilla son intérêt et lui permit progressivement de reprendre pied. Il avait alors 15 ans.

Pourtant, poussé par le milieu, les circonstances et par sa soif de tendresse frustrée, il fait alors une « grosse bêtise » qu’il est bien incapable d’avouer, d’assumer, d’accepter, de « faire avec » etc. et qui est un tel problème qu’il en vient à la confier aux courriers du cœur des journaux espérant un conseil, une aide, de n’importe quelle sorte. Il sait pourtant bien en même temps, que personne ne pourra l’aider, qu’il lui faudra se débrouiller vraiment seul, bien que le fardeau soit titanesque. D’autant qu’en plus de l’énorme problème personnel que cela lui pose, il faut considérer que si Lionel découvre son secret… il n’y a pas de mot. Tout peut arriver.

Car le personnage principal de ce roman, ce n’est pas Desmond, c’est Lionel, le caïd des caïds, « Le grand asocial », le cas clinique, l’irrécupérable, le fauve, tellement habitué à tous les excès de violence, qu’il en vient de plus en plus souvent à se dire qu’il se fait peur à lui-même. Pour lui, les fréquents passages en prison sont des vacances plutôt que des punitions « au moins, en prison, on sait où on est » et c’est justement pendant l’un de ces séjours qu’arrive le grand évènement : Lionel gagne à la loterie et devient multimillionnaire ! L’argent aidant, il a vite fait de ressortir (et tac ! au passage, sur le système judiciaire) et voyons maintenant ce qui va se passer.

Martin Amis serait-il notre moderne Zola ? Ou plutôt, celui de l'Angleterre ? Car il agit de même que les auteurs des romans naturalistes qui soulevaient une question à dimension sociologique qu'il vérifiaient ensuite à l'aide d'une expérimentation. Ici, la question est : « Est-il possible que Lionel Asbo, le grand asocial, puisse être un être social sous certaines circonstances précises ? » 109 Nous aurons la réponse. Mais reprenons.

Sous les attributs et avantages d’un roman assez scotchant et tout entier en tension (Desmond qui aime son oncle Lionel comme un père avoue lui-même qu’il est toujours plus que mal à l’aise en sa présence, il est « malade », et le lecteur ressent également ce malaise croisant), Martin Amis a tenté et réussi un grand roman social qui part de l’état des lieux des milieux défavorisés pour en expérimenter les limites et les conséquences. Sous ses aspects accrocheurs, l’état des lieux de départ est des plus sérieux : psychologique, social, culturel, financier, médical, il comprend une pyramide des âges et des statistiques prévisionnelles des trajectoires, il dépeint l’acculturation qui passe de l’ignorance à l’illettrisme puis même à la perte du langage oral, avec vocabulaire succinct, déformation des mots, contresens etc. Il dépeint les stratégies de violence et l’économie parallèle, et l’absence de prise du système légal officiel sur ce monde qu’il a réduit à un stade où il ne peut plus l’atteindre.

J’ai adoré ce roman et j’ai la plus haute estime pour son ambition.

Adieu Martin

978-2070459353


20 mai 2023

La petite-fille

de Bernhard Schlink

*****


Kaspar, septuagénaire, est libraire à Berlin. Sa vie est triste car sa femme Birgit qu'il adore, s'est mise à boire et que l'alcool a fait d'elle une épave. Dès les premières pages, son alcoolisme la tue, suicide ou accident, on ne peut savoir et peu importe. Kaspar perd ainsi le sens de sa vie et ne parvient pas vraiment à y reprendre goût. Puis, en rangeant les papiers de Birgit qui était en train d'écrire un roman, il découvre en fait le récit d'une partie de sa vie juste avant qu'ils se rencontrent et apprend ainsi qu'elle a eu une fille alors qu'elle vivait encore en RDA et qu'elle l'a abandonnée à la naissance car elle refusait totalement cette grossesse accidentelle. Cependant, près de cinquante ans après elle y pense encore et a même entrepris des recherches sur cette fille perdue. Kaspar stupéfait découvre ainsi qu'il est beau-père et décide, surtout parce que cela donne à nouveau un peu de sens à son existence, de rechercher cette fille inconnue.

 Il la retrouvera, découvrira ainsi qu'il a également une petite-fille et aussi malheureusement, que la famille appartient à une communauté très active de complotistes néo-nazis. Je n'en dévoile pas trop en vous disant cela car le sujet du livre est autre. Il parle du choc de deux mondes, l'un violent, fermé, fondé sur l'exclusion et la haine de la différence, et l'autre humaniste, fondé sur l’ouverture à l’autre, l'intégration et sur des valeurs culturelles et intellectuelles. Pour la fille, il est clairement trop tard mais la petite-fille peut-elle encore évoluer et se libérer de ses œillères?

Kaspar se révèle être un homme de très grande valeur. Incroyablement doué pour donner de l'amour autour de lui, même s'il en a été plutôt maigrement récompensé. C'est sa nature. Il accepte l'autre, tente de le comprendre, prend toutes sortes de précautions pour ne pas le heurter mais tente en même temps de lui montrer une autre vision du monde quand la sienne est trop étroite. Il fera découvrir à sa petite-fille le monde de la musique dont elle ignore tout mais pour lequel elle se révèle douée, et par cette découverte, lui montrera d'autres peuples estimables que le sien. Nous regardons la vie d'un homme juste et bon. Birgit ne l'a pas aimé autant que lui l'aimait et il le sait parfaitement. Il ne le lui reproche pas. Elle n'en était sans doute pas capable, mais lui l'est, alors il donne. C'est sa force. J'ai admiré son rapport aux autres tellement généreux.

Ce roman, qui raconte aussi de façon réaliste et documentée ce que fut la cohabitation puis la réunion des deux Allemagnes, nous montre une Allemagne actuelle où quelques vieux démons refusent de s’éteindre paisiblement, mais où une nouvelle Allemagne, qui a pris le virage du monde actuel, brille culturellement.

C'est vraiment un grand roman. Je le préfère encore au Liseur.


Extrait:

"Il n'y a qu'une vérité. Elle n'appartient ni à moi ni à toi. Elle est simplement là. Comme le soleil et la lune. Et comme la lune elle n'est parfois visible qu'à moitié et elle est pourtant ronde et belle.

- Ronde et belle?

C'est le vers d'un lied.

Voyez-vous la lune se tenir au loin?

On ne peut la voir qu'à moitié, 

Elle est pourtant ronde et belle, 

Telles sont certes bien des choses

Dont nous nous rions sans crainte,

Parce que nos yeux ne les voient pas."


Kathel l'a lu aussi

978-2072995316

15 mai 2023


M. Gallet décédé

Georges Simenon

****


Dans ma jeunesse, j’avais entrepris de lire tous les Maigret par l’intermédiaire de volumes des œuvres complètes. Cela en faisait beaucoup puisque, pour rappel, il y eut 75 romans de Maigret, sans compter les nouvelles. Celui-ci est le troisième. Je ne me souviens plus si j'ai tenu jusqu'au bout, mais je sais que j'en ai lu énormément. C'étaient des lectures plaisantes qui tenaient de la peinture de mœurs (j'avais été frappée par la pratique alors courante d'accueillir chez soi des pensionnaires payants), du roman d'aventure et du casse-tête. On tournait la dernière page comblés. Des décennies ont passé et je m'étais éloignée de Simenon et de le retrouver ici à l'occasion d'une rencontre de boîte à livres, m'a envoyé une grosse bouffée de nostalgie. J'ai tout retrouvé, le rythme, l'ambiance, l’énigme suffisamment compliquée pour capter notre attention et faire travailler un peu mes petites cellules grises (ah, non! ce n'est pas lui 😛) . Ces retrouvailles m'ont fait bien plaisir. Je me dis qu'un petit Siménon ou un petit Christie de temps en temps ne me ferait peut-être pas de mal. Ca détend. Les arrières-plans sont pleins de petites scènes de genre qui posent le décor, l’époque et l'ambiance. Pas d’internet, peu d'anglicismes. Maigret porte un chapeau melon. On utilise le train avec facilité, on cherche des cabines téléphoniques, on envoie des télégrammes à tour de bras, on met des petites annonces dans les journaux et tout le monde les lit, bobonne est aux fourneaux les hommes au bistrot, on fume partout même dans le train, le panier-repas de la SNCF comprend un litre de rouge! et vogue la galère. Autres temps, autres mœurs. Je ne dis pas que je regrette mais ça nous rappelle d'où on vient. C'était chez nous, en 1930.

Et donc notre Jules Maigret, commissaire, se retrouve dans un village à enquêter sur l'étrange assassinat d'un représentant de commerce dans sa chambre d’hôtel.

"- Vous ne croyez pas plutôt qu'il s'est suicidé, vous. Il devait être au bout de son rouleau...

- Le coup de feu a été tiré à sept mètres et le revolver n'a pas été retrouvé...

- Dans ce cas... Evidemment!"

… Evidemment…

D'ailleurs, il apparaît bientôt que cet homme chétif, si banal et quelconque n'aurait jamais dû se trouver là et n'était tout compte fait, pas du tout celui qu'il semblait être... Le mystère s'épaissit de plus en plus au fil des découvertes, jusqu'à ce que Jules vous remette tout ça en ordre, instillant au lecteur un profond sentiment de satisfaction.

Monsieur Gallet, toujours décédé, va pouvoir aller reposer dans une autre boîte à livres...


PS: L'astuce finale servira dans au moins un autre Maigret (souvenir que je garde de mon ancienne addiction) mais je ne me souviens plus lequel.

PPS : L’abréviation de monsieur est M. quant à Mr, c’est l’abréviation de mister.





10 mai 2023

Les jardins de lumière

d'Amin Maalouf

****


J’ai encore une fois retrouvé avec beaucoup de plaisir ce conteur hors pair qu’est Amin Maalouf.

Comme vous le savez sans doute, plusieurs de ses romans sont ce que l’on pourrait qualifier de «biographies romancées». C’est le cas de ces «jardins de lumière». Maalouf nous fait suivre ici depuis dès avant sa naissance jusqu’après sa mort, la vie de Mani, artiste et philosophe mésopotamien du 3ème siècle dont la pensée fut déformée au fil des âges et des malveillances, jusqu’à donner naissance au terme «manichéen» alors qu’elle était justement tout sauf manichéenne, du moins dans l’acception actuelle du terme.

C’est justement la grande, l’énorme qualité d’Amin Maalouf de nous expliquer avec clarté la réalité et la subtilité de ce que fut cette philosophie exposée aux malentendus -et ce, dès sa première expression puisqu’il était impossible d’être philosophe, il fallait être prophète; impossible d’avoir une éthique, une philosophie, il fallait que ce soit une religion. L’on tolérait mieux les activités sectaires qu’une philosophie sans dieu. Et ce n’étaient là que les premiers dévoiements, ils seraient suivis de bien d’autres. L’énorme qualité de l’auteur, disais-je, de savoir nous l’expliquer, non seulement avec clarté, mais encore avec la légèreté et le suspens d’un roman ou, selon ce que je ressens moi quand je lis Maalouf, d’un conte passionnant. Si la culture est partout, le cours n’est nulle part. On apprend les innombrables choses que nous révèle ce livre sans le moindre effort, tout simplement parce qu’elles font partie de l’histoire passionnante qu’on nous raconte là.

Une chose encore qui plaît aux lecteurs d’Amin Maalouf, c’est le choix de ses personnages principaux. Qu’ils soient réels ou imaginaires, ils ont tous ces qualités du cœur et de l’esprit qui font les vrais humanistes et ce Mani tient haut le flambeau de cette cause-là. Maalouf nous dresse tout cela, avec son talent incomparable de conteur, son art consommé du portrait qui sait faire surgir à notre esprit le personnage très net, tel qu’il apparaîtrait si on le rencontrait. On le voit; et ce, aussi bien pour les seconds rôles que pour les vedettes.

Voilà pourquoi c’est avec plaisir et délassement que je me suis immergée dans ce monde ancien, pas si différent du nôtre au fond, pour les grands problèmes et où se posent les questions encore tout à fait d’actualité comme: Le sage peut-il composer avec les puissants? S’approcher du pouvoir l’aidera-t-il à rendre le monde plus sage ou à affaiblir sa sagesse? Il aurait fallu deux vies à Mani, une pour essayer chacune des tactiques, mais nous sommes tous dans cette situation-là et nous avons déjà notre idée sur la question, que l’expérience de Mani confortera ou non.

9782253061779


Extraits :

- " La Lumière qui est en vous se nourrit de beauté et de connaissance, songez à la nourrir sans arrêt. Ne vous contentez pas de gaver le corps. Vos sens sont conçus pour recueillir la beauté, pour la toucher, la respirer, la goûter, l’écouter, la contempler. Oui, frères, vos cinq sens sont distillateurs de Lumière. Offre-leur parfums, musique, couleurs. Epargnez-leur la puanteur, les cris rauques et la salissure.


"- Pour tout ce que j’ai à faire combien de temps m’est-il accordé?

- Cela, tu n’en sauras rien, lui dit l’Autre

(…)

Tu as l’éternité et l’instant, quelle importance? Le temps est l’hameçon des Ténèbres. Ne te laisse pas leurrer, n’aie d’autre souci que ta mission, chaque jour! (153)


"Sois traître à l’Empire, s’il le faut, et rebelle aux décrets du Ciel, mais fidèle à toi-même, à la Lumière qui est en toi, parcelle de sagesse et de divinité. (216)


"Pour un mage qui se dévoue, il en est quarante qui rêvent de puissance et ne vivent que de complots et d’intrigues. A chacun ils dictent comment s’habiller, manger, boire, tousser, roter, pleurer, éternuer, quelle formule marmonner en toute circonstance, quelle femme épouser, à quel moment la fuir ou l’enlacer, et de quelle manière. Ils font vivre grands et petits dans la terreur de l’impureté et de l’impiété.

Ils se sont approprié les meilleurs terres de chaque contrée, ils ont amassé des richesses, leurs temples débordent d’or, d’esclaves et de grains; quand la disette sévit, ils sont les seuls à ne jamais en souffrir. Au fil des règnes, ils ont accumulé les prérogatives. Pas un adolescent qui sache aligner deux caractères sur une tablette sans qu’un mage lui tienne la main. Pas un acte de vente qui puisse être conclu sans qu’ils prélèvent leur part. Pas un litige qui puisse être réglé sans leur arbitrage. C’est encore aux mages de décider si un décret royal est conforme à la loi divine, loi qu’ils interprètent bien évidemment à leur convenance. (…) Crois-tu que tout cela leur suffise? (169)



05 mai 2023

Le Soldat désaccordé

de Gilles Marchand

****+


Quatrième de couverture :

"Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d'amour que le jeune homme a vécue au milieu de l'Enfer. Alors que l'enquête progresse, la France se rapproche d'une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d'espoir dans un monde qui s'effondre."


Le narrateur, revenu de la grande boucherie sans sa main gauche peine à retrouver une existence tout à fait banale et a décidé de gagner sa vie en tant que détective privé spécialisé dans les disparus de la guerre. Il faut dire qu'ils sont nombreux dont on ne sait ce qu'ils sont devenus, corps sans sépulture ou non identifiés, épaves anonymes échouées dans quelque mouroirs, amnésiques égarés, ou quelques uns n'ayant pas souhaité revenir au point de départ... Et d'ailleurs les morts le sont-ils bien tous? Les identifications se faisaient souvent "à l'arrache" et les familles désespérées préfèrent encore douter. Quant aux disparus dont on a simplement totalement perdu la trace...

C'est une mère éplorée (mais riche) que reçoit notre détective. Son fils unique et adoré n'est jamais revenu, sans qu'on ait identifié son corps. Il fait partie des "disparus" et elle sent qu'il n'est pas mort. Reste à le retrouver, et ce sera la charge et le gagne pain de notre héro pendant les années qui vont venir. Il découvre vite une histoire belle et poignante que la mère nie tandis que, le temps passant, la désastreuse Der des ders a de moins en moins l'air de l'être...

Le ton est actuel, pas celui de l'époque, et plaira beaucoup aux lecteurs d’aujourd’hui. A moi aussi il a plu. Le roman se dévore, Gilles Marchand nous balade où il veut, d'une tranchée à l'autre, d’hôpital en cimetière, avec son récit bien écrit qui est à la fois une leçon d'Histoire et une magnifique histoire d'amour, louchant parfois vers la poésie ou le fantastique (qui est cette fille de la lune qu'on ne voit que la nuit sous la mitraille?). D’autre part, le mystère, et tous ses rebondissements, tiennent bien la route. Ne boudons pas notre plaisir et laissons ce Soldat désaccordé rejoindre les magnifiques "Le Der Des Ders" de Didier Daeninckx et "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre.


« En sortant de son bureau, je me suis senti bête, j’ai pris conscience que je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’Alsace. Jamais posé la question des Alsaciens. J’avais tué pour récupérer ces régions, j’avais estimé que cela était juste. Et j’avais obéi aux ordres. »



978-2373056488

30 avril 2023

Nous autres 

Evgueni Zamiatine

*****


Ecrit en 1920, ce roman de science fiction n'a été publié en Russie qu'en 1988. C'est dire qu'il y a rencontré de la résistance. Il était cependant disponible à l'étranger en anglais depuis 1924 et en français depuis 1929 mais à partir de cette traduction, pas du texte original. Quant à l'auteur lui-même, il plaisait si peu à Staline qu'il dut s'exiler en 1931, et c'est à Paris qu'il vint. Il y mourut six ans plus tard, il n'avait que 53 ans. Son roman, premier dans la chronologie, allait ouvrir la voie à ceux de Aldous Huxley (1932), Ayn Rand (1938) et George Orwell (1948), sans parler des multiples suivants.

Situé dans un futur assez lointain, ce récit nous est fait par un homme nommé D-503. Il tient une sorte de journal de ce qui lui arrive dans lequel il s'astreint à ne rien dissimuler, ni des faits, ni de ses pensées même quand il ne les comprend pas. Dès le début, D-503 nous dit qu'il n'est pas vraiment un individu mais plutôt partie heureuse du groupe humain, ainsi peut-il aussi bien dire "nous" que "je", car il est surtout un élément du Grand Tout qu'est la société parfaite instituée par le Guide, à peine contesté par de rares "terroristes". "La liberté et le crime sont aussi intimement liés que, si vous voulez, le mouvement d'un avion et sa vitesse. Si la vitesse de l'avion est nulle, il reste immobile, et si la liberté de l'homme est nulle, il ne commet pas de crime. C'est clair. Le seul moyen de délivrer l'homme du crime est de le délivrer de la liberté. Et à peine venons nous de l'en délivrer (à peine est bien le mot quand on songe à l'âge du monde), que quelques misérables esprits arriérés..."

D-503 n'est pourtant pas un modeste boulon, il est le créateur de L'Intégral, LE grand projet en cours, à savoir un vaisseau spatial qui ira apporter le bonheur imposé aux malheureux extra-terrestres encore dans l'ignorance. C'est le projet majeur du moment. Pourtant, la Terre elle-même n'est pas totalement conquise, il reste une vaste zone sauvage, que l'on devine derrière le Mur Vert et où nul ne va jamais ni ne sait ce qui s'y passe. On n'en est d'ailleurs pas curieux, plutôt dégoûté.

Après nous avoir montré comment tout cela fonctionne bien, voilà que D-503 rencontre une femme et que son métabolisme s'en trouve perturbé. De plus en plus perturbé d'ailleurs car elle lui donne d'autres occasions de rapprochement. Comment tout cela va-t-il finir?

Le récit est rendu un peu confus par le fait que, complètement déstabilisé par les sentiments qui l'assaillent et dont il ne soupçonnait même pas la possibilité, D-503 perd un peu pied et confond parfois, rêve, fantasme et réalité. Au lecteur de suivre. Cela m'a rendu la lecture de ce roman moins agréable qu'elle n'aurait dû mais il n'en reste pas moins que nous avons là une pièce indispensable pour tout amateur de SF littéraire. Son rôle historique est majeur. On ne peut pas ne pas le lire si on veut parler science fiction.


"Les deux habitants du Paradis se virent proposer un choix: le bonheur sans liberté ou la liberté sans bonheur, pas d'autre solution. Ces idiots-là ont choisi la liberté et, naturellement, ils ont soupiré après des chaînes pendant des siècles. Voilà en quoi consistait la misère humaine: on aspirait aux chaînes. Nous venons de trouver la façon de rendre le bonheur au monde... Vous allez voir. Le vieux dieu et nous, nous sommes à la même table, côte à côte. Oui, nous avons aidé Dieu à vaincre définitivement le Diable; c'est le Diable qui avait poussé les hommes à violer la défense divine et à goûter à cette liberté maudite; c'est lui, le serpent rusé. Mais nous l'avons écrasé d'un petit coup de talon: "crac". Et le Paradis est revenu, nous sommes redevenus simples et innocents comme Adam et Eve. Toute cette complication autour du bien et du mal a disparu: tout est très simple, paradisiaque, enfantin."

9782070286485


25 avril 2023

Trouver refuge

de Christophe Ono-Dit-Biot

****


Ce roman est une uchronie, mais très légère, quelques années, si bien qu'il n'y a aucune grande transformation technique à découvrir. Mais la France a changé, elle a progressivement basculé dans une dictature paternaliste (alors pour faire simple et que tout le monde comprenne, on appelle le dictateur Papa - Grand Frère pas loin). Le populisme est roi et s'impose de façon de plus en plus musclée, ainsi, quand vous faites ou dites des choses qui divergent de ce que l'on attend de vous, il ne faut pas vous étonner de recevoir la visite de quelques jeunes gens musclés qui viennent vous faire des reproches de façon qui n’exclut aucune manœuvre d'intimidation. Rien n'est officiel, ils seraient bien sûr désavoués au cas où ça déraperait... mais tout devient possible.

Sacha est un écrivain et philosophe habitué des plateaux télé. C'est lui qui fera la majeure partie de la narration, mais il cédera parfois la parole à Mina sa compagne, professeure d'histoire à l'université, spécialisée dans la civilisation byzantine. Tous deux n'aiment guère la façon dont les choses tournent et tentent de résister mais sans s'opposer, ce qui ne les empêche pas de subir des pressions, surtout Mina, à l'université. Et puis un jour, dans le feu de la discussion sur un plateau télé, Sacha lâche une phrase imprudente qui laisse entendre qu'il sait des choses compromettantes sur la jeunesse de Papa (ce qui est vrai, et ce que ce dernier ne va pas du tout apprécier de se voir rappeler).

Ensuite il ne leur reste plus qu'à fuir en abandonnant absolument tout. Là, j'ai eu un peu de mal, je n'ai pas assez lourdement senti la pression pour imaginer que des gens nantis, publics même, puissent partir comme ça du jour au lendemain avec juste un sac à dos. Mais bon... Ils partent en Grèce, dans la Communauté monastique du Mont Athos parce que Sacha y a vécu jeune une expérience mystique ressourçante et qu'il pense que c'est le meilleur refuge possible. Ce qui en soit, m'a beaucoup étonnée puisque sur trois fuyards, deux (Mina et leur enfant de sept ans) sont des filles qui sont plus que formellement interdites sur ces terres. Mais ce n'est pas grave, Sacha s'arrangera. Sérieux?

A partir de là, le récit a deux narrateurs: Sacha et Mina (dans une moindre proportion). Je ne veux pas vous en dire plus sur l'histoire.

C'est un roman agréable à lire qui transmet un quota culturel correct sur l'antiquité, les monastères orthodoxes, etc. Par contre il n'approfondit pas les mécanismes d'une dictature populiste, ni les moyens de la combattre (au contraire puisque la seule solution serait la fuite). Il véhicule une vision bienveillante des religions qui ne se formalise pas de la mise à l'index de la féminité. La lutte contre Papa se limite à une confrontation personnelle et la happy end ne fait aucune concession à la vraisemblance.

978-2072885693




20 avril 2023

Jean-Christophe T1 : L'aube 

de Romain Rolland 

****


Bien oublié de nos jours, Romain Rolland ! et c'est injuste. C'est vrai que le style a un peu vieilli, ou plutôt, c'est le rythme qui a vieilli, notre époque speedée ne veut plus que du rapide, et rapide, R. Rolland ne l'est pas. 10 tomes pour nous raconter l'histoire de Jean-Christophe Krafft et pourtant en son temps (1904), cette longue histoire a « cassé la baraque », coqueluche des lecteurs qui le dévoraient en feuilleton dans « Les Cahiers de la quinzaine ». Tout le monde voulait savoir ce qu'allait devenir ce petit garçon, ce jeune homme, cet homme, etc. Dix volumes pour le découvrir, un Nobel de Littérature à la clé. Ce qui rajoute à l’intérêt du récit, c'est qu'il ne s’agit pas seulement des péripéties qui ont meublé la vie du héros, mais tout autant de ses hautes préoccupations morales et humaines et son désir d'amélioration personnelle, qui ont parlé à son lectorat et qui pouvaient devenir celles de tous les lecteurs, 

1904 et l'auteur est un pacifiste qui ignore encore les années noires qui arrivent. Il aime l'Allemagne et c'est d'ailleurs en Allemagne qu'il fait naître Jean-Christophe, il est l'ami de Stefan Zweig...

Mais nous n'en sommes qu'à L'Aube. Jean-Christophe vient de naître sur les bords du Rhin, dans une famille de musiciens de province, père (Melchior) et grand-père (Jean-Michel), qui rêvent de gloire et d'un peu d'opulence alors que la personnalité jouisseuse du père les tire au contraire vers le bas. Une enfance rude ; on finit, accidentellement, par découvrir le don de Jean-Christophe, son éducation musicale démarre aussitôt et tourne au dressage de singe savant. Le père entend bien exhiber son fils et en tirer tout le profit possible. Et voilà qu'à six ans, le surdoué du piano, révèle qu'il compose de façon naturelle et avec talent ! L'appétit familial s'en trouve sur-développé et voilà notre prodige donnant son premier concert, de pièces de sa composition, devant "Sa Majesté" ! Il a sept ans et c'est sur cet acmé que nous le quitterons pour ce premier volume.

Je poursuis ma "lecture" en audiolivre.

Jean-Christophe (1904-12). Cycle de dix volumes répartis en trois séries, Jean-Christophe, Jean-Christophe à Paris et La Fin du voyage, publiés dans les Cahiers de la Quinzaine

1 L'Aube (1904)

2 Le Matin (1904)

3 L'Adolescent (1905)

4 La Révolte (1906-1907)

5 La Foire sur la place (1908)

6 Antoinette (1908)

7 Dans la maison (1908).

8 Les amis (1910)

9 Le Buisson ardent (1910)

10 La Nouvelle Journée (1912)

9782253012382