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09 juillet 2022

L’Étoile 

de WELLS Herbert George 

***+


Neptune est heurtée par une énorme masse lumineuse venue des confins de l'espace. La collision est colossale.  Les deux astres se mêlent. Mais cet accident énorme a modifié les trajectoires d'autres étoiles et la foule qui observe les événements, d'abord avec une simple curiosité, puis avec un intérêt scientifique, puis avec crainte, constate que la lune a changé d'orbite et qu'elle se rapproche de la terre. D'autres astres voient également leurs trajectoires modifiées, avec les conséquences physiques que tout cela peut avoir...

Nous avons ici un récit catastrophe. L'auteur veut frapper son lecteur pour bien lui marteler que nous qui nous croyons si forts et omnipotents, et notre terre elle-même, sommes en fait fragiles et à la merci d'un simple hasard cosmique. 

HG Wells parsème le récit de ce qui se passe dans l’espace, de multiples scènes minuscules (une ligne parfois) mais très imagées, du quotidien terrien habituel. Il les montre tels des millions de fourmis très occupés à leurs minuscules affaires "importantes" sous l'infini des cieux et l'infinité de ses possibles. Comme il le dira un an plus tard  dans « La guerre des mondes », il ne faut pas se prendre pour les rois de l'univers, quelque chose d'inconnu peut tomber du ciel à tout instant et nous anéantir.

En attendant, il décrit amplement tous les catastrophiques effets terrestres de la moindre perturbation de l'univers proche, et en l’occurrence, du frôlement de la terre par Neptune et l'astre inconnus mêlés : déluges, raz de marée, changements extrêmes de températures, irruptions volcaniques, tremblements de terre etc. 

Pour enfoncer le clou, il imagine des Martiens observant la terre et ne voyant là qu'un intéressant phénomène sans grande importance, un peu comme quand nous voyons une explosion solaire. Ce qui cause des millions de morts sur terre peut sembler anodin vu de très loin. Simple question de point de vue...

978-2258074064






05 janvier 2022

La guerre des mondes

de H. G. Wells

*****

Passionnant ! 

Et comme ce roman a bien vieilli ! Sauf si vous êtes allergique à l'écriture classique vous allez passer un excellent moment avec cette "Guerre des Mondes" que tout le monde croit connaître, mais que peu ont vraiment lu. Eh bien, vous avez tort. Même si vous pensez connaître l'histoire (c'était mon cas) , cela vaut vraiment la peine d'être lu, et, comme le souligne J. Altairac dans son ouvrage "Il semble bien qu'avant Wells, il n’existe qu'un seul texte décrivant l'invasion de la terre par des extraterrestres . (...) Et revoilà Wells dans le rôle de créateur de thèmes de science-fiction. L'invasion extraterrestre va devenir, comme le voyage dans le temps, un des motifs les plus exploités du genre."

Et à propos, pourquoi "Martiens" et non "Marsiens", puisqu'ils viennent de Mars ? Eh bien, je vous le dirai vers la fin de ce commentaire, vous aurez au moins appris quelque chose.

Revenons à notre histoire. Nous sommes à Londres et sa proche banlieue, à la toute fin du 19ème siècle. Les Martiens, donc, débarquent près de Londres, dans des fusées (pas de soucoupe) qui atterrissent au rythme de une par jour. Les Anglais, déjà amplement persuadés de leur supériorité sur le reste du monde, ne doutent pas non plus beaucoup de l'élargir à cette nouvelle engeance. Pour l'instant, on observe, sans que cela déclenche un grand émoi dans la capitale toute proche et en répétant abondamment que la gravité bien plus forte sur Terre que sur Mars, les condamnera à une pénible et lente reptation...

 Et ce n'est pas faux, sauf que les Martiens n'ont jamais eu l'intention de se déplacer sur Terre, ils ont des machines, pour s'occuper de cela. Machines qui correspondent bien à ce qui est dessiné sur la couverture de l'édition Folio montrée ici. Après un temps de récupération, les machines se mettent en marche pour vaquer à leurs affaires. Les Terriens s'interposent, les Martiens les écrasent. On envoie l'armée, les canons, de plus en plus gros, d’autant que c'est vers Londres qu'ils vont. Il n'y a même pas vraiment de bataille, les envahisseurs s'en débarrassent comme nous nous débarrasserions  d'insectes envahissants... et poursuivent sans y prêter plus d'attention. Les populations fuient dans la plus grande pagaille. Le pays tout entier cesse bien vite de fonctionner. Pour tout arranger, on ne tarde pas à s'apercevoir que les Martiens se nourrissent du sang des humains, et les fusées continuent d'arriver : une par jour...

Le récit nous en est fait par un narrateur (ressemblant énormément à Wells lui-même) qui se trouvait non loin du lieu de la chute de la première fusée et qui, d'une curiosité insatiable, tient beaucoup à observer tout ce qui se passe. A un moment, son récit est complété par celui de son frère qui se trouvait à Londres même.

Par ailleurs, "Il est à mon avis absolument admissible que les Martiens puissent descendre d'êtres assez semblables à nous"... mais qui seraient beaucoup plus avancés dans l'évolution et auraient atteint un niveau qui nous réduit en comparaison, au rang d'animaux. A ce propos, Wells esquisse une prise de conscience de la réalité animale et de la nécessité qu'il y aurait à respecter en eux l'être vivant, au stade d'évolution où il est, même s'il est bien inférieur au nôtre. C'est assez avancé pour l'époque. "A coup sur, si nous ne retenons rien d'autre de cette guerre, elle nous aura cependant appris la pitié, la pitié pour ces âmes dépourvues de raison qui subissent notre domination."

En cours de route, nous verrons exposée par un autre personnage, une philosophie élitiste, eugéniste et dictatoriale dont on voit à son développement que, sur ces bases qui peuvent paraître défendables, ne peut s'installer qu'une épouvantable dictature stérile. Par ailleurs, un développement nous fera la surprise de rejoindre une idée développée dans "La machine à explorer le temps", nous aidant à mieux la comprendre.

Et alors, les Martiens ont-il gagné ? Eh bien, regardez autour de vous, vous aurez la réponse. Mais alors comment ??? Pour le savoir, il vous faudra le lire. N'hésitez pas.

En fin de roman, le narrateur tire la morale de la terrible leçon que les Terriens viennent de recevoir, elle tient en deux règles :

Ne pas se prendre pour les rois de l'univers, quelque chose d'inconnu peut tomber du ciel à tout instant et nous anéantir.

Inversement, puisqu’ils peuvent venir chez nos, nous pourrons aussi bientôt aller sur d'autres planètes et il faut y réfléchir.

J'adore Wells.

Néanmoins, je ne peux résister à vous présenter la terrible cuisine anglaise (surtout à l'époque) "Nous réparâmes nos forces en absorbant le contenu d'une boite de tête de veau à la tortue et une bouteille de vin." Ça fait envie.

Hum, et donc, nos marTiens... Le nom de la planète Mars vient du latin (Mars, Martem, Martis, Marti, Marte). L'adjectif martial par exemple a la même racine. Il semble que les deux écritures (martien et marsien) aient coexisté un moment en français. Mais c'est "martien" qui s'est imposé.


978-2070308552 



26 décembre 2021

 Les enfants d'Icare

d' Arthur C. Clarke

*****


Science fiction

 Publié en 1953.

Encore un de ces romans situés par l'auteur dans le futur et qui est devenu du passé pour nous. J'aime bien, cela nous permet de faire notre malin et de distribuer bons points et corrections avec la plus parfaite assurance. Sentiment confortable. Publié en 1954, la période ici visée débute un peu après 1975 et dure, à la louche, 2 siècles ou un peu moins.

Dans cette fin des année 1970 donc, de gigantesques vaisseaux spatiaux ont pris position au dessus des capitales du monde. Elles renferment des extraterrestres que personne n'a vus et qui règnent sur le monde en n'imposant qu'une seule loi: interdiction de la guerre et d'infliger des souffrances inutiles, y compris aux animaux. Ils n'ont pas eu besoin eux-même de violence pour s'imposer, leur supériorité tant matérielle qu'intellectuelle, étant infiniment trop écrasante pour que des humains puissent espérer quoi que ce soit d'une tentative de rébellion. A contrario, ils ont soit négligé ceux qui s'y risquaient quand même, soit ont réduit leurs efforts à néant, sans jamais se livrer à la moindre mesure de rétorsion. (Très décourageant pour des résistants). En clair, ils sont tout puissants et bienveillants.

  Les extraterrestres, que les humains ont choisi d'appeler «les Suzerains» puisqu'ils ont tout pouvoir, laissent les humains vivre à leur guise dès lors qu'ils respectent la règle énoncée ci-dessus, mais cette seule modification du comportement humain, va peu à peu transformer la terre en une sorte de paradis où finalement, l'homme est plus heureux qu'il n'a jamais su l'être quand il allait à sa guise et alors que les humains étaient sur le point de détruire leur propre planète (guerre, surexploitation, pollution...) lorsque les Suzerains sont apparus. Cette fois, on a bien l'impression d'être dans «le meilleur des mondes»...

Mais finalement, il reste quelque chose que les humains sont incapables de maîtriser, même en faisant des efforts: leur curiosité. Les Suzerains n'ont jamais été vus par quiconque, ils refusent de se montrer. Pourquoi? Que cachent-ils. L'humain est un être qui ne peut accepter cette zone d'ombre.

Je ne vous en raconte pas plus. Vous voyez déjà que le point de départ est captivant, que la trame se tient, c'est "épais", il y a du matériau pour mener des extrapolations assez riches et je peux vous dire que le lecteur n'est pas déçu. La chose qui m'a frappée dans ce roman (à part le fait que l'idée était excellente), c'est le rythme. On n'est pas dans le récit speedé que l'on trouve le plus souvent aujourd'hui. Ce n'est pas lent non plus, mais c'est "posé". Clarke prend le temps de raconter son histoire, de préciser les divers arrière-plans et d'envisager des péripéties. Il écrit dans le confortable. Il prend son temps pour que son histoire, ample et riche, soit bien traitée et exploitée. J'ai aimé cette façon de faire. On attend parfois un moment (comme pour savoir à quoi ressemblent les Suzerains), mais on est jamais déçu, comme je vous le disais, le fond est toujours à la hauteur des espérances du lecteur. J'ai apprécié la précision du monde utopique auquel Clarke donne vie. Il ne lésine pas sur les détails, mais bon, ce n'est pas gênant. Il n'hésite pas non plus à évoquer de grands problèmes comme la création artistique, la sociologie, la philo ou la psychologie. Et tout est intelligent et intéressant, tandis qu'un coin de notre cerveau continue à se demander où vont nous conduire les Suzerains...

Un excellent travail de Science fiction donc, que je vous conseille très vivement.  

Et encore une fois le titre français me plonge dans un abîme de perplexité, le titre original "Childhood's end" étant moins étonnant (pour ne pas dire incongru).


PS: Ce qui est amusant, rétrospectivement, c'est que tous les auteurs de SF de cette époque étaient persuadés qu'à la nôtre (d'époque) l'homme serait allé sur la lune, Mars, Vénus au moins, et peut-être encore d'autres planètes. Aucun n'avait envisagé que nous nous serions détournés de l'exploration spatiale. Amusant, non?


978-2811209452 

31 mai 2021

L'affaire Jane Eyre
de Jasper Fforde
****

Quand les littéraires s’amusent…

Présentation de l'éditeur:

"Dans un monde où la littérature fait office de religion, la brigade des LittéraTec élucide plagiats, vols de manuscrits et controverses shakespeariennes. L'agent Thursday Next rêve, elle, d'enquêtes explosives, quand le cruel Achéron Hadès kidnappe Jane Eyre. Dans une folle course-poursuite spatio-temporelle, la jeune détective tentera l'impossible pour sauver l'héroïne de son roman fétiche."

Je me suis enfin décidée à entamer cette série si prometteuse dont tout le monde me disait tant de bien. Il faut dire que je venais de lire cinq gros Günter Grass et mon cerveau en surchauffe demandait une récréation. Magnanime, je la lui accordai. Voici le bilan:

   Thursday notre héroïne,est décidée et dégourdie et il ne faut pas oublier que son caractère a été endurci par sa participation à la massacrante guerre de Crimée. Je n’ai pas eu trop de mal à m’intéresser à son sort et, sans qu’elle soit le héros avec laquelle je peux entrer en communion, je ne l’ai néanmoins pas trop rejetée.
  
   Mais la merveille, c’est le monde que Fforde nous offre ici!! Une inspiration tout à fait remarquable a saisi notre auteur pour ce coup-là ! J’admire. (Un exemple entre mille, l’extraordinaire représentation théâtrale de Richard III ). Et puis, les déchirures de l’espace-temps ont toujours donné lieu à un maximum de paradoxes insolubles (n’y réfléchissez pas un soir de migraine) et j’en ai toujours été très très friande, alors lorsqu’on on y ajoute une porte sur les mondes littéraires imaginaires, cela prend tout de suite une dimension ! …
  
   Pourtant, je me dis que l’auteur a dû se donner tellement à la création de cet univers si nouveau et si riche qu’il a un peu oublié de travailler à fond ses caractères; et peut-être est-ce une lacune qu’il aura à cœur de combler lors des épisodes suivants… dans ce cas, je monterai volontiers jusqu’à 4 étoiles ½ . Irai-je jusqu’à 5??
  
   Pour ma part, le n° 2 est déjà acheté et il attend dans ma PAL que mon cerveau ait à nouveau besoin d’une petite récré, ce qui, je le sens, ne devrait pas trop tarder.
  
   Et puis, autre chose, les couvertures en édition de poche! Je les adore, elles sont fabuleuses, leur illustrateur a eu une idée de génie et je n’achèterais pour rien au monde une autre édition que 10/18.
  
   PS : Quant à savoir qui a vraiment écrit les pièces de Shakespeare… eh bien, même cela, vous l’apprendrez.

Série Thursday Next

L'Affaire Jane Eyre,  The Eyre Affair, 2001
Délivrez-moi !, Lost in a Good Book, 2002
Le Puits des histoires perdues, The Well of Lost Plots, 2003
Sauvez Hamlet !, Something Rotten, 2004
Le Début de la fin, First Among Sequels, 2007
Le Mystère du hareng saur, One of Our Thursdays Is Missing, 2011
Petit enfer dans la bibliothèque, The Woman Who Died a Lot, 2012


978-2264042071


20 avril 2021

 Notre île sombre 

ou

Le rat blanc 

de Christopher Priest 

****+

Titre original : Fugue for a darkening island

 Paru en 1972 et traduit d'abord en français sous le titre Le rat blanc, le roman a été salué au départ comme particulièrement antiraciste puis, au 21ème siècle, comme raciste. Il me semble que cette dernière accusation tienne pour beaucoup au fait que le mot « nègre » y était couramment employé, mais c'est oublier qu'à l'époque il était couramment employé partout et n'avait pas de connotation spécialement raciste, du moins le "negro" anglais. Par exemple, on parlait sans problème d'"Art nègre". Aujourd'hui le mot est tabou. Compte tenu de ce malentendu, Priest a révisé son roman avant sa dernière réédition et la version française que je viens de lire n'avait rien de raciste. Je pense que ce genre de discussion n'a pas lieu d'être. Il y avait bien les britanniques d'un côté et les envahisseurs africains de l'autre, mais on comprend bien que le problème, c'est l'invasion, pas la couleur de leur peau. Ils auraient été vikings, cela aurait été pareil. On comprend bien aussi le bien fondé des motivations des deux camps. D'ailleurs au départ, le héros fait partie des Britanniques qui voudraient accueillir les immigrés mais la situation est telle qu’ils n'en sont bientôt plus là. Voilà l'histoire :

 Les pays riches ayant sur-exploité les richesses naturelles de l'Afrique au-delà de toute mesure sans s'y investir du tout et en laissant les pires situations sociales, spoliations, guerres, massacres etc. s'y développer aussi bien que la destruction de la nature, les incendies, désertification etc. tant que cela ne gênait pas trop leurs affaires, le continent est devenu totalement non viable au sens strict du terme et les survivants réfugiés n'ont d'autre choix que de s'emparer de n'importe quel navire et de tenter de gagner d'autres parties du monde. Le phénomène est mondial. Ils débarquent n'importe où et en particulier chez les anciens colonisateurs dont ils parlent la langue. C. Priest, d'une façon assez typiquement british ne considère que la Grande Bretagne, négligeant les autres pays traversés avant d'arriver chez eux. Pas de vision mondiale, ni même européenne. Mais bon... Au prix de milliers (ou bien plus) de morts, des réfugiés parviennent à atteindre Londres dans des paquebots pleins, des cales aux ponts, de milliers de personnes dont beaucoup n'ont pas survécu au voyage. Pour les autres, à peine touché terre, ils s'enfuient en tous sens et se répandent dans la ville. Ces débarquements sauvages se poursuivant constamment (les Africains n'ont pas d'autre choix) les «envahisseurs» sont bientôt assez nombreux pour se regrouper et s'organiser d'autant que les businessmen qui ont réduit leur monde en cendres sont tout prêts à leur vendre toutes les armes qu'ils veulent. Les affaires sont les affaires. Nous suivons le personnage principal qui en quelques mois va basculer d'une vie bourgeoise et moralement médiocre de professeur peu inspiré, avec épouse, fille, maîtresses etc. à une existence de desperado dépourvue de tout et prêt à tout. Le roman vous raconte comment.

Le début m'a fait penser à «La guerre des mondes», de H.G. Wells, quand les deux héros se rendent sur les lieux où les deux vaisseaux (maritime et spatial) ont touché terre et observent l'arrivée des intrus. Il y a vraiment un parallèle entre ces deux scènes. Ici, le héros n'a rien de particulièrement sympathique. C'est plutôt un «homme moyen», le sujet c'est plutôt la situation et la façon dont elle survient et se développe. Comme souvent en science fiction, l'auteur a voulu explorer un danger en le poussant à son extrême. C. Priest dit qu'il a voulu faire un roman-catastrophe moderne et il y a parfaitement réussi puisque cette fiction de 1972 a l'air d'avoir été écrite hier. Par contre, peut-être parce qu'il a également des ambitions littéraires, la structure choisie (récit éclaté dans le temps en passages brefs, sans avertissement) rend la compréhension un peu difficile au début. C'est néanmoins passionnant.

Moralité, veillons bien à ce que l'Afrique (ou toute autre partie du monde) soit un continent où il fait bon vivre car, "Il apparut bientôt qu'on ne pouvait échapper nulle part à la chute de l'Afrique."

978-2070469031 

09 avril 2021

 La Ferme des animaux 

de George Orwell 

*****


Orwell en lanceur d’alerte

   En 1937, par conviction, Eric Blair, alias George Orwell, est venu se battre en Catalogne au côté des Républicains. Il assiste, écœuré, à l'arrestation et au massacre des trotskistes que dirigeait Andreu Nin — ce dramatique épisode de la Guerre d'Espagne que rapporte Javier Marias dans “Ton visage demain”. Nin et ses camarades du POUM ont été exécutés sous les ordres du général Orlov. Tout a été manipulé par les hommes de Moscou. C'est sans doute l'un des événements qui décident l'écrivain anglais à régler ses comptes avec Staline et sa version du communisme, comme il le suggère dans la préface de 1945 pour la première édition d' "Animal Farm" : "L’idée de ce livre, ou plutôt de son thème central, m’est venue pour la première fois en 1937, mais c’est seulement vers la fin de l’année 1943 que j’ai entrepris de l’écrire". Désormais George Orwell, profondément socialiste et démocrate, se donne la mission de dénoncer le régime totalitaire de Staline.

     En cette fin des années trente d'autres livres, presque simultanément, démystifient le stalinisme, par exemple le fameux “Retour d'Urss” d'André Gide, ou le moins connu “Au pays du grand mensonge” d'Ante Ciliga. Après "Animal Farm", l'étape suivante du combat d'Orwell sera "1984". Dans les deux cas l'auteur situe l'action de son roman en Angleterre — ce qui permet d'éviter la critique d'anti-soviétisme primaire. Orwell ne trouva pas facilement d'éditeur pour "Animal Farm" et sa préface fut censurée par les éditeurs — Londres était alors alliée de Moscou — et on l'ignora jusqu'en 1985, trente-cinq ans après la mort de l'auteur. Ce temps perdu a permis au texte d'être durablement réduit à un conte pour enfants, une histoire de petits cochons pour la jeunesse, mais dans le meilleur des mondes où nous vivons il est devenu une fable anti-totalitaire adaptée à la fin du collège puisque le programme d'histoire de la Troisième passe par l'étude de la Révolution russe et du régime de Staline.

     Que retenir d'une lecture littérale? La jolie et prospère Ferme du Manoir appartenait à Mr Jones, exploitant agricole et exploiteur des animaux, mais une révolution dirigée par les cochons l'en a chassé. Instruit par Sage l'Ancien (Old Major), leur théoricien bientôt décédé, un trio de cochons éclairés a pris les choses en mains, promettant monts et merveilles aux autres bêtes. Napoléon, Boule de Neige (Snowball), et Brille-Babil (Squealer) confisquent bientôt le pouvoir et organisent ce qui est désormais la Ferme des Animaux, une société idéale fondée sur l'idéologie des Sept Commandements, dont le premier suffit à comprendre où va l'Animalisme : "Tout deux pattes est un ennemi". Quant au septième, il doit faire l'unanimité des bêtes de la ferme : "Tous les animaux sont égaux". Outre les cochons, la ferme comprend des chiens, des chevaux, des chèvres, des moutons (beaucoup de moutons), des poules, des oies, des pigeons, etc. Mais l'utopie accouche progressivement de son contraire. Les cochons deviennent la classe privilégiée qui n'hésite pas à faire des affaires en secret avec les autres fermiers, à coucher dans les lits du manoir de Mr Jones, à boire de la bière et s'enivrer au whisky, à faire trimer le peuple, quasiment réduit à l'esclavage et à la famine pour réaliser de grands projets industriels. Pour installer sa tyrannie, Napoléon dénonce son rival Boule de Neige transformé en ennemi du peuple, à qui on attribue tous les déboires, s'entoure d'une police politique efficace et soumet la ferme à la terreur. La chute du conte? Les cochons en viennent tellement à se comporter comme les hommes qu'ils ont chassés qu'ils se mettent à marcher sur deux pieds... "Tous les animaux sont égaux mais certains le sont plus que d'autres."

     La lecture politique? Avec un chef des cochons nommé Napoléon, il est clair que George Orwell s'adressant à des lecteurs britanniques institue ainsi Staline dans le rôle de l'ennemi — alors que Hitler vient juste de perdre la guerre... Les lecteurs d'hier comme d'aujourd'hui peuvent se divertir à deviner quels personnages réels se cachent derrière les animaux de l'apologue, encore faut-il avoir une certaine connaissance de l'histoire soviétique. Sage l'Ancien décédé peu de temps après l'ascension de son parti incarne Lénine. Brille-Babil a des airs de Zinoviev mais c'est aussi la Pravda, etc. Quant à Trotsky, aucun doute, c'est ce Boule de Neige qui après avoir été un artisan de la victoire dans la Bataille de l'Etable devient petit à petit un "traître", un bouc émissaire —c'est dur pour un cochon— et un exilé conspirateur. Le cheval Malabar qui se tue au travail fait évidemment penser à Stakhanov, l'ouvrier modèle. Plus exaltant que de mettre le bon nom dans la bonne case comme dans un texte à trous, on appréciera les épisodes du roman se rapportant à l'expérience soviétique des années 1920 à 1940. Jones et les autres fermiers représentent les forces hostiles du capital et le marché est moqué dans l'épisode de la fausse monnaie. La manipulation de l'histoire, les statistiques mensongères, le “vertige du succès” de la planification quinquennale, la famine provoquée par les exportations de vivres (et invisible aux yeux des visiteurs étrangers), la querelle autour de l'industrialisation (avec les grands travaux que sont les “moulins”) autant de sujets qui attestent d'une compréhension de l'histoire soviétique encore rare vers 1945. Ce roman à clefs a anticipé brillamment sur la connaissance que nous avons désormais de l'histoire de l'URSS et du stalinisme en même temps qu'il a pris sa place au rayon des grandes œuvres du combat contre toute tyrannie.

   En cadeau:   Texte en français de la Préface écrite par G. Orwell pour l'édition de 1945.  

978-2072921414

25 mars 2003