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02 mars 2021

 Variations en fou majeur 

de Christopher Miller

****+

Titre original :  Works for piano solo 

Prix Pelléas 2004

Ayant beaucoup apprécié « L'univers de carton » de cet auteur pour son aspect intelligent et déjanté, je me suis renseignée et ai découvert qu'il avait un autre titre publié en France : ces « Variations en fou Majeur » que je me suis donc procurées, sans trop de peine bien qu'elles ne soient plus éditées, mais les soldeurs sont là pour notre plus grand plaisir, n'est-ce pas ?

De façon très originale (je ne me souviens pas d'avoir déjà lu cela), le récit qui va suivre nous est présenté comme le livret d'accompagnement d'un album de quatre disques qui regroupent la totalité de "l’œuvre" de Simon Silber, génie musical méconnu. L'album est édité à titre posthume par sa sœur et la notice rédigée par un certain Norman Fayrewether que le défunt Silber avait antérieurement embauché comme biographe officiel. Norman nous déclare cependant d'entrée de jeu que « ne jamais avoir détesté Silber signifierait ne jamais l'avoir connu ». Le ton est donné. Il fera de ce livret d'accompagnement sa propre biographie et la destruction de l'image iconique du musicien.

Nous allons assister à un festival d'egos d'autant plus surdimensionnés qu'il s'appuient sur des réalités médiocrissimes. Simon Silber a été élevé/conditionné/dressé par son père dès sa naissance pour devenir le meilleur pianiste virtuose de tous les temps. L'ambition surdimensionnée du père, c'était d'avoir inventé la Meilleure Méthode Pédagogique dans ce but. C'est un fiasco total qui produit un malade mental qui ne sera même jamais pianiste. Non, l'ambition surdimensionnée de Simon, c'est d'être le plus grand compositeur du monde actuel. Il est d'ailleurs persuadé qu'il l'est déjà et n'a pour cela besoin ni de reconnaissance ni même de produire une œuvre, deux choses qu'il n'obtiendrait pas. Heureusement pour lui, il est riche et peut vivre sans cela. Il aimerait bien que le public s'aperçoive de son génie avant sa mort, mais le temps passant, il se dit qu'à défaut, il serait bon qu'il concocte une biographie avantageuse qui permettrait aux foules du futur de rattraper le manque de jugement des foules actuelles...

C'est ainsi que Norman Fayrewether est entré en scène, après la disparition d'un précédent biographe qui n'avait pas convenu. Or Norman, toujours célibataire, sans situation ni amis, décrit comme "arrogant, méprisant, hautain, pontifiant, grossier, irresponsable, hargneux, susceptible, incompétent et vain" (ce qui en fait le sosie mental de son employeur), a lui aussi une ambition surdimensionnée. La sienne, c'est d'éblouir le monde par la sagacité extrême des aphorismes qu'il ne cesse de pondre et rêve d'éditer.  Il se considère comme écrivain et à ce titre l'égal créatif de Silber et parfaitement qualifié pour être son biographe. Il découvrira vite qu'il est seul a avoir cette vision des choses.

Tout cela nous donne environ 260 pages d'un récit drôle, cruel et pathétique autant que plein de rage, de bruit et de fureur. Il y a également un suspens policier que l'on voit croître insidieusement pour terminer sur un récit « officiel » que l'auteur nous fait en en laissant deviner un autre... de façon si habile que le lecteur en devine en fin de compte un troisième, plus inattendu et qui ne va sûrement pas laisser la petite ville de Forest City poursuivre sa vie paisible une fois que nous aurons tourné la dernière page...


(...) "mais bien sûr, l'amour de soi est encore plus aveugle que l'amour de l'autre, et sait parfaitement éviter de voir la montagne d'indices qui prouvent que l'être aimé n'est pas à la hauteur, tout en se focalisant sur la taupinière de la preuve contraire."

Tout est dit.


9782020568470

05 novembre 2020

   Fan Man  

de William Kotzwinkle
*****

  

D'abord, il faut placer ce roman dans son temps (1ère publication en 1974) et se replonger mentalement dans ce monde de hippies cool et qui, grâce à l'inhalation constante d'un tas d'herbes médicinales*, vivent dans un monde parallèle, tendre et optimiste où tout est possible. Notre narrateur et personnage principal, s'appelle Horse Badorties, il vit dans le New York’s Lower East Side, dans des appartements qu'il squatte de façon éhontée et transforme très rapidement en dépotoirs. Comme il l'expliquera, c'est une performance artistique destinée à modifier la vie du propriétaire, du concierge, de l'homme de ménage qui la verront, mais c'est aussi, il faut bien le dire, son environnement préféré. Quand il sort de chez lui, il doit, comme beaucoup de clochards, qu'ils soient célestes ou non, emporter un tas de matériel malheureusement encombrant, ventilateur, parapluie géant, besace géante itou, une allumette perpétuelle japonaise** etc. Et c'est ainsi équipé qu'il sillonne la ville, tout occupé à sa grande entreprise qui est d'embaucher un maximum de "poulettes fugueuses de quinze piges", pour sa Chorale de l'Amour qui répète tous les soirs dans l'église St Nancy, sur Bowery, où un prêtre bienveillant laisse Bardoties, équipé d'un petit ventilo en plastique en guise de diapason, mener son entreprise.
   
   Digne produit de son époque, Horse Badorties ne peut résister à l'attrait des gadgets les plus farfelus qu'il achète sans hésiter et en quantité, car il n'a aucun problème d'argent, ne s'étant jamais soucié d'approvisionner les comptes plus ou moins fictifs avec lesquels il paie ses dépenses. Il ira même jusqu'à acheter un vieux bus pour transporter sa chorale... mais c'est une histoire que vous découvrirez en lisant ce roman. En tout cas, Horse Badorties, c'est la mort de la société marchande.
   
   Vous l'aurez compris, il s'agit d'un roman totalement déjanté, raconté sous influences... Tout est toujours inattendu et drôle et cette virée iconoclaste à travers les rues de New York (et son métro, ne pas oublier le métro !) vous vaudra bien des sourires et plus, du côté des zygomatiques. Elle vous fera entrer dans ce "monde parallèle" dont je vous parlais plus haut et vous ouvrira à de nouveaux horizons. C'est drôle et intelligent, subversif et non violent, poétique et trivial, pas crédible et pourtant efficace car ça ne tient compte d'aucun obstacle. Et le pire, vous verrez en refermant l'ouvrage, c'est que c'est un peu contagieux.
   
    L'éditeur évoque l'Ignatius de Kennedy Toole et le Big Lebowski des frères Coen, et pour une fois, les références ne sont pas abusives.
   
   Extrait:
   "Quelle est cette musique que j'entends, mec, qui se déverse dans la cinquième rue? Quel jeu de saxophone fantastique, mec! Quelque part dans l'un de ces immeubles, mec, je dois trouver la source de cette musique pour faire entrer le saxophoniste dans la Chorale de l'Amour.
   D'où est-ce que ça vient exactement, mec? De ce bâtiment de briques qui s'écroule, on dirait. Clébard crasseux à moitié affamé à l'entrée, qui grogne avec son os de poulet.
   - Dégage, mec.
   C'est sûr, mec, la musique de saxophone vient d'ici, du haut de ces escaliers. La musique d'un artiste fini, mec, comme moi-même. Fini et fichu. Je me demande de quelle école de musique il s'est fait jeter."
   
   
   * sont ici recommandées : feuilles de figues soigneusement raffinées, écorce de mangues péruviennes, flocon de banane séchée, herbes d'asperge sauvage, varech salé portugais séché etc. Si ce n'est pas de la poésie !...
   ** Les moins de 30 ans ne peuvent pas comprendre...




978-2916589220