16 avril 2023

L'homme qui vivait sous terre

 de Richard Wright

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A savoir sur l'Amérique du 20ème siècle

Folio a extrait cette nouvelle du recueil « Huit hommes » pour nous la livrer seule ici dans sa collection Folio 2€, comme il l'a fait dans un autre opus avec « L'homme qui a vu l'inondation ». Le but est atteint, je suis assez décidée maintenant à lire tout le recueil.

Nous découvrons ici un homme noir, fugitif affolé, poursuivi en ville pour meurtre, par la police. Il est innocent, mais le traitement qu'il a subi au commissariat l'a obligé à signer des aveux. Il pense que les flics savent qu'il n'a pas tué, mais a bien compris que cela ne changera rien. Il leur faut un coupable, de préférence noir. Il est parfait. Acculé, épuisé, il parvient à leur échapper de façon inespérée en se jetant dans un égout et en y découvrant un accès aux sous-sols du quartier. Une fois sous terre, il explorera l'une après l'autre les caves à sa portée, les pillant comme un gamin pillerait un magasin de jouets ou une pâtisserie, c'est à dire sans même se soucier de la valeur marchande des choses. Il considère par exemple, qu'il n'a aucun besoin d'argent, et utilise un magot qu'il a dérobé pour décorer les murs et le sol de son refuge.

De sa cachette, il lui arrive aussi d'observer les humains et est ainsi témoin de certaines choses qu'il n'aurait pas dû voir... dont un meurtre.

Parallèlement, comme nous le suivons tout au long de ce récit, nous assistons à l'écroulement mental de cet homme. On peut supposer qu'il a toujours été inculte et même ignorant, nous en venons peu à peu à penser qu'il est également psychologiquement fragile et sans doute au moins un peu intellectuellement débile. Et que ce qu'il a vécu depuis son arrestation, lu a fait perdre ses repères et son équilibre. Vraiment, un coupable idéal. Mais maintenant, un fugitif bien peu armé pour se sortir de cette situation. Si bien qu'alors qu'il avait des atouts dans son jeu, il finit par décider de retourner voir la police pour leur expliquer... vous découvrirez les conséquences.

Richard Wright nous décrit une jungle urbaine où l'homme noir est gibier et chair à canon. Il y a quelque chose de dramatique au sens antique du terme dans ces destins d'hommes noirs que cet auteur nous présente avec tant de réalisme et de relief, quelque chose de l'ordre du fatum. L'homme blanc, violent ou simplement indifférent à l'injustice qui le frappe, est l'environnement hostile. La situation qu'il nous dépeint ne pouvait qu'aboutir aux mouvements de révolte noirs. Il fallait qu'ils adviennent ; et certains faits divers récents nous amènent à nous demander si le travail est terminé. On en doute, malgré le paradoxe d'un président noir.


9782072941252



12 avril 2023

 Oh Canada

de Russel Banks

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"Oh, Malcolm, crois-moi, ils voudront me regarder mourir."

En phase terminale d'un cancer, Leonard Fife, célèbre documentariste, tourne avec un de ses anciens élèves, Malcom, une ultime interview filmée, à exploiter après sa mort très proche. Il a cependant des exigences précises: cela sera tourné en plan rapproché, dans le noir total en dehors de lui, et sa femme, Emma, devra être présente en permanence mais hors de sa vue, car, dit-il, c'est pour elle qu'il veut parler. Malcom et son équipe ont soigneusement préparé leurs questions mais bien inutilement car ils vont vite constater que Léonard ne tient compte d'aucune. Il est là pour raconter toute la vérité sur sa vie en un long monologue. Il estime avoir toujours triché et menti à tous et veut absolument se livrer à Emma dans son entière vérité avant de mourir. Pourquoi, dans ce cas, faire venir une équipe vidéo? C'est qu'il sait que s'il est seul avec elle, il ne pourra s'empêcher de recommencer à mentir, jouer son rôle, et enjoliver la vérité comme il l'a toujours fait.

"Non, son récit, il le raconte à Emma, sa femme, parce qu'il veut être connu d'elle, de celle qui lui a dit bien des fois qu'elle l'aimait pour ce qu'il est, peu importe ce qu'il est. Et, chose peut-être cruciale, il se raconte l'histoire à lui-même pour la même raison - parce qu'avant de mourir il veut se connaître lui-même, peu importe ce qu'il est."


Auteur de documentaires chocs et célèbres sur de forts moments de la société américaine et canadienne où il a vécu, le récit de Leonard Fife parle au lecteur comme à ses auditeurs fictifs quand il évoque par exemple Joan Baez et Bob Dylan qu'il a fréquentés ou les déserteurs qui fuyaient au Canada pourr échapper à la guerre du Viet Nam et dont il a fait partie... ou pas.

"Néanmoins, il a décidé de dire la vérité de telle manière qu'Emma pourra enfin savoir qui elle aime et qu'il pourra savoir qui il est. Une fois cette décision prise, son esprit s'est immédiatement rempli à ras bord de souvenirs depuis longtemps oubliés, depuis longtemps niés, depuis longtemps déguisés. (...) Il n'a eu qu'un souci en tête, celui de se rappeler son histoire et de la raconter de la manière la plus véridique et la plus simple possible, comme si ce n'était pas son histoire mais celle de quelqu'un d'autre, d'un étranger, comme si la caméra et le micro étaient entre ses mains, sous son contrôle"


Mais peu à peu, à cause de l'âge, de la maladie et des médicaments, ou simplement parce que "rien n'est jamais acquis à l'homme : ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur"*, son récit semble moins clair et moins assuré. Emma elle-même tente de le discréditer en faisant état de confusions, mais est-ce parce qu'il est inexact ou est-ce pour protéger sa réputation qu'il est en train de détruire? Ment-elle, à son tour? Leonard lui-même doute de certains souvenirs et constate les incertitudes de la mémoire même quand on est fermement décidé à ne plus rien dire que la vérité, sans souci des éventuels dommages collatéraux. Mais la vérité, qu'est-ce? Surtout passé au tamis de la mémoires ancienne et des successifs auto-récits sciemment maquillés ou non: pas maquillés, pas volontairement maquillés.

"Ses véritables motivations? Au mieux, il ne connaît que le côté observable de ses actes. Pour ce qui est des motivations, il n'en sait pas plus que s'il était un parfait inconnu. Il n'a pratiquement aucun mal à trouver des raisons à ce qu'il fait - c'est à dire que si on lui demande, il a des réponses. Mais sont-elles crédibles? Pour lui sur le moment, pour lui dix ans plus tard, pour lui un demi-siècle plus tard."


Nous sommes une histoire que nous nous racontons. Qu'en reste-t-il à l'approche de la fin? Est-il possible que nous assistions à la dilution de ce récit cohérent dans le flou, l'incertain et les variantes envisageables?


Ce roman est une réflexion sur le souvenir et nos auto-récits (nous en avons tous. Nous nous sommes tous mis au centre d'un récit dont nous sommes le personnage principal. Nous avons organisé nos souvenirs en conséquence.) Jusqu’à quand sont-ils cohérents? Le sont-ils même jamais? Nous soutiennent-ils jusqu’au bout ? Où nous lâchent-ils, surtout quand on a toujours trop menti ? Qu'est-ce que la réalité? C’est à elle justement que Léonard cherche à s'accrocher en tentant d'affermir sa maîtrise de son auto-récit.

"Il ne reste plus rien de sa vie, désormais, hormis ce qui se trouve dans son cerveau. les fluides qui passent dans ses intestins et sa vessie et les cellules cancéreuses qui dévorent ses os et sa chair, se gavent de ses organes et les condamnent un par un. (...) Ce qui reste de sa vie à présent, qui il est, n'est rien d'autre que ce qui se trouve dans son cerveau. Et cela n'est que celui qu'il était, rien de plus. L'avenir n'existe plus et le présent n'a jamais existé. Et personne ne sait qui il était. Personne ne peut le savoir à moins qu'il le lui dise à elle : à Emma."


C’est une réflexion profonde, mais également un roman captivant à cause de ce que Léonard a vécu. Dans un sens, c'est aussi une histoire d'amour. Il veut absolument offrir à cette femme qu'il aime son être vrai, l'ultime don de soi.

Ou peut-être pas. Peut-être ne veut-il que faire d'elle le réceptacle de son ultime auto-récit et se donner ainsi un peu plus de longévité.


Un roman profond et vrai qui nous parle non seulement de notre fin, mais de toute notre existence en nous amenant à réexaminer nos souvenirs et relativiser notre mémoire. Un grand livre.


* Aragon

9782330168025



08 avril 2023

Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles 

de Gyles Brandreth

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L’auteur britanique Gyles Brandreth a eu l’audace d’imaginer une série de romans policiers de type whodunit dans lesquels Oscar Wilde tenait le rôle de personnage principal et détective. Les personnages réels se mêlent aux fictifs. La série, que j’ai trouvée plaisante, connaîtra 6 volumes, tous parus en français chez 10/18. La série n’est plus éditée mais demeure facile à trouver chez les soldeurs. « Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles » est le premier livre.

Dans cette aventure d'Oscar Wilde imaginé comme détective, l'auteur joue jusqu'au delà du possible avec les ambiguïtés sexuelles du personnage et de l’époque. C'en est vraiment remarquable de voir à quel point il dit les choses sans les dire et les fait sans jamais que ce soit même envisagé comme une possibilité. Cela doit ressembler assez justement et nous mettre dans l'ambiance exacte de ce qu'était l'homosexualité masculine dans cette société où elle était encore un "crime" capable de vous envoyer en prison pour plusieurs années et où donc, vous l'aurez compris, elle n’existait pas.

Dans cette enquête, très bien tournée et imaginée, Wilde découvre le cadavre d'un adonis qui est un de ses protégé très aimé, son préféré du moment, qu'il rencontre régulièrement dans une auberge écartée... pour lui donner des cours aptes à lui permettre de ne pas faire tache dans une société plus raffinée que celle d'où il vient (qui est terriblement sordide). Il s'agit, ainsi qu'il l'explique sans rire à son ami l’écrivain et narrateur habituel Robert Sherard et par son intermédiaire au lecteur, d'un jeune homme à la beauté et aux qualités si remarquables qu'il méritait de s'élever dans la société et que Wilde s'était chargé de corriger les injustices de sa naissance.

Bref, le jeune homme nu git dans ladite chambre d'auberge mort et installé dans une mise en scène genre sataniste (les chandelles du titre). Oscar qui le découvre ainsi comprend tout de suite que le temps de la séduction a fait place à celui de la peine et des ennuis, d'autant qu'il se met en tête de découvrir le fin mot de l'histoire. Et tant mieux parce que s'il avait fallu s'en remettre à la police... 

La police donc où le double langage va continuer à régner en maître étant donné que tous ces messieurs d'un certain âge et parfois du meilleur monde qui, comme Wilde, fréquentaient le personnage assez répugnant qui découvrait des beaux jeunes gens méritants au fond des masures et leur organisait une vie meilleure à Londres, ne le faisaient que par souci d'équité sociale. Leurs réunions régulières en des lieux discrets n'avaient d'ailleurs qu'une vocation totalement artistique et culturelle. Comme on l'aura bien compris. Enquêter dans un milieu qui n'existe pas avec des personnages faussés ayant des motivations jamais évoquées, seul un personnage aussi à l'aise que Wilde dans cette eau-là pouvait y parvenir.

Et c'est ce qu'il fit.

Un bon moment de lecture dans un univers où tout est faux, autant dans le monde des personnages qui nient leur réalité, que dans celui du lecteur qui va s’imaginer un moment qu'Oscar Wilde a pu ressembler à cela. Mais Brandreth maîtrise tout cela si bien, qu'avec notre consentement, il nous y fait croire l'espace de quelques heures un peu compliquées certes, mais comment tout ne le serait-il pas dans ces conditions?

Le plus ambigu de la série. On commence fort.

 

    1. Oscar Wilde and the Candlelight Murders (2007) Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles

    2. Oscar Wilde and the Ring of Death (2008) Oscar Wilde et le jeu de la mort

    3. Oscar Wilde and the Dead Man's Smile (2009)  Oscar Wilde et le cadavre souriant

    4. Oscar Wilde and the Nest of Vipers (2010) Oscar Wilde et le nid de vipères

    5. Oscar Wilde and the Vatican Murders (2011) Oscar Wilde et les Crimes du Vatican 

    6. Oscar Wilde and the Murders at Reading Gaol (2012)  Oscar Wilde et le Mystère de Reading



978-2264046499



04 avril 2023

Le chien de Madame Halberstadt 

de Stéphane Carlier

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Avant d'avoir lu la moindre ligne de lui, je me faisais de Stéphane Carlier l'image d'un auteur facile pour lecteurs à la recherche de divertissement et de détente sans aucun risque de perturber leur transit intellectuel; et puis il y a eu "Clara lit Proust" que j'ai vu passer sur la majorité de s blogs de lectrices avec un assez bon indice de satisfaction. J'ai donc fini par aller voir par moi-même et en effet, sans être lui-même un ouvrage littéraire, ce roman parlait agréablement de littérature et vous laissait avec le fort désir de dévorer ou redévorer La Recherche, ce qui était une grosse qualité. Je me suis alors dit que ce n'était pas bien de juger les gens que l'on n'a pas lu et que j'avais été injuste avec ce Monsieur Carlier. Prise d'un désir de me racheter, j'ai attrapé le premier autre livre de lui que j'ai trouvé, à savoir ce malheureux chien de Madame Halberstadt.

... !!! ... etc.

Consternation.

Un petit roman absolument sans intérêt qui raconte l'histoire d'un auteur sans inspiration (alter ego de l'auteur?) qui s'est imaginé on ne sait pourquoi qu'il devait écrire des livres et qui depuis se noie dans son impuissance pleurnicharde en espérant un miracle qui surviendra finalement en la personne d'un carlin magique. Je vous ai dit que ça ne volait pas haut. Ca va comme ça cahin-caha sur presque 200 pages quand même, sans beaucoup d'histoire, ni de style, d'enjeu, ni de profondeur psychologique et ça finit par une chute absolument détestable qui laisse le lecteur (déjà passablement éprouvé) sans voix, mais très réprobateur.

Bref, après sa petite promenade hygiénique, le chien de Madame Halberstadt m'a ramenée exactement là où j'étais avant d'avoir lu la moindre ligne de Stéphane Carlier. Finalement, on n'arrive pas si mal à savoir à qui l'on a affaire sans devoir en lire les œuvres complètes.

978-2370552303




31 mars 2023

La maison Tellier

Guy de Maupassant

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Ecouté en audio livre à l'occasion d'un trajet un peu long, j'ai retrouvé avec plaisir ce petit roman lu autrefois et je me suis souvenu pourquoi j’aime tant Maupassant.

Derrière sa discrète lanterne rouge, les affaires tournent benoîtement dans la maison Tellier, petite maison close bourgeoise. C'est ici que ces messieurs les notables viennent passer leurs soirées. Madame Tellier dirige sa maison avec amabilité et savoir-faire et maintient toutes les apparences de la correction alors qu'à l'étage les affaires se font dans la bonne humeur. Ces soirées sont devenues l'indispensable passe-temps de cette bourgeoisie de province qui s'ennuie et le choc est rude le soir où ils trouvent porte close. Mme Tellier devait aller passer la journée chez son frère, à une trentaine de kilomètres de là, pour la communion de sa nièce. Là bas, personne ne sait comment elle gagne sa vie et surtout, personne ne veut le savoir, du moment que les apparences sont sauves. Elle est riche, et c'est bien là le principal. Comme il n'est pas question pour Mme Tellier de laisser sa maison et ses filles sans surveillance, elle a décidé d'emmener tout le monde et d'offrir à son personnel une journée de vacances dont elles se souviendront longtemps. (Et elles ne seront pas les seules).

Maupassant nous fait rire et sourire avec cette page de la vie de Province. Il nous montre toute l'hypocrisie des mœurs, mais sans acrimonie. Il ne s’érige ni en accusateur public, ni en donneur de leçons. Cependant il montre les choses comme elles sont, sans concession, il ne passera rien sous silence et insiste au contraire sur les paradoxes les plus spectaculaires (envolée pieuse à l'église par exemple). Il se régale de la mise en présence et du maintien en cohabitation pour un temps des gens "comme il faut" et de ceux qui ne le sont pas. Il montre que "tout peut se faire" du moment que les apparences sont respectées. Nous en sommes toujours là.

Aujourd’hui encore, on passe toujours une excellente soirée dans la Maison Tellier.


978-2070458219



27 mars 2023

Variations de Paul

de Pierre Ducrozet

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Tout d’abord, ne vous laissez pas désarçonner par la structure du récit. Ce que Paul dit de lui, l'auteur le retranscrit dans son mode narratif: "Toujours sa vie Paul la vivra au présent, l'entendra au présent, l'écrira dans l'instant. Il ne déteste pas les autres temps mais il ne sait pas les employer. Une histoire vieille de dix ans, il la racontera au présent de l'indicatif comme si elle se déroulait sous ses yeux. Il fera de même pour l'avenir, puisque tout est là partout, et dans le même temps."

et plus loin:

"Comme le cerveau et le corps de Paul, nous sommes toujours dans plusieurs lieux et plusieurs temps à la fois. D'hier nous passons à aujourd'hui en un claquement de doigts, un regard, une fausse note, c'est comme ça."

Pensez à cela quand vous vous sentez un peu perdu.

Pierre Ducrozet a composé ici une symphonie en cinq mouvements qui suit une famille de musiciens, les Maleval, sur trois ou quatre générations. Le noyau en est Paul (avec lequel l'auteur s'est reconnu des similitudes). Nous verrons également ses parents, grands-parents, et ses enfants. Leur monde est la musique dont nous verrons les énormes évolutions sur ces quelques décennies. Je dirais que le premier tiers est tout à fait brillant et captivant. Grace aux facilités des la 4G, on peut trouver et écouter les morceaux de musique au fur et à mesure que leurs titres sont cités et poursuivre notre lecture en leur compagnie. On débute avec Antoine Maleval qui a appris le piano avec un élève de Debussy. Les Maleval suivants seront séduits par le jazz, le rock, le punk, pour finir aux synthés. Toujours progressistes, attirés par les nouveautés, de génération en génération, c'est une tradition familiale. Le paradoxe n'est qu'apparent, comme le reconnaît Paul.

Les morceaux évoqués éveillent en nous aussi des émotions et des sentiments. A sa suite, nous nous souvenons du contexte et de notre propre vie, et un roman dans lequel le lecteur se voit est un roman qui plaît. Notre mémoire affective joue à plein, que l'on soit musicien ou simple auditeur. Mais trois générations, c'est long, et 460 pages sont nécessaires. Sans vraiment s'ennuyer, le lecteur peut tout de même songer que cela dure un peu... Il faut par ailleurs admettre que ce n'est pas une Histoire de la musique, le lecteur aurait bien tort de le croire, ainsi, des éléments majeurs sont ignorés ou à peine évoqués alors que d'autres, mineurs pour le coup, sont montrés en détail. Il faut l'accepter. C'est un roman, pas une anthologie.

L'autre bémol, pour rester dans le musical, qui a bloqué mon empathie à un niveau restreint, c'est le coté Bobo. Parce que là, on est en plein dedans. Personne ne travaille en usine ou en open space, personne n'est limité dans ses déplacements à travers le monde, personne dans le RER ou les embouteillage aux heures de pointe, personne n'a de problème de logement, personne ne doit sacrifier des mois années de sa vie à un travail qui l'amoindrit. On ne fait que ce qui nous plaît. On a parfois besoin de l'aide d'un ami, mais en gros, on n'a pas de problème de fin de mois non plus. Bon... Eh bien, tant mieux. On est content pour eux. Ca fait plaisir au lecteur de les voir si libres, mais là, pour le coup, il ne s'y reconnaît pas.

J'ai pris la synesthésie pour un attrape gogo qui allait beaucoup plaire aux lecteurs et cristalliser leur attention (un truc marrant avec un nom qui en jette dans les conversations, j'aurais parié qu'on allait beaucoup en parler). Et puis, les "petites morts" de Paul ne m'ont hélas, ni attendrie ni convaincue.

"Et puis - et cela commence à devenir gênant- Paul meurt de plus en plus souvent. Ce sont des morts légères, de celles qui passent inaperçues, qu'on ne remarque guère. Il est peut-être d'ailleurs exagéré de parler de morts, ce serait plutôt des décrochages, de brèves sorties de route vite négociées, des temps ratés sur la mesure; mais tout de même, le cœur de Paul s'arrête. La dernière fois c'était tout à fait fugace, à peine un petit hoquet." Pour moi, on est plus près de l'hypocondrie que du drame humain. Mais je ne suis pas médecin.

Ceci dit, c'est un beau et bon roman que j'ai lu d'un bout à l'autre, et pas en diagonale. Mais je l'ai moins aimé que "Le grand vertige" et "l'invention des corps".


PS : Ayant relevé "Peu importe la quantité de vents contraires qui peuvent souffler dans notre dos." (101) Je déconseille à l'auteur de se lancer en mer avant d'avoir pris quelques leçons de navigation.

978-2330169244



23 mars 2023

L'incendie de la maison de George Orwell

d' Andrew Ervin

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Alors, je vous dis tout de suite, il y a bien la maison de George Orwell, mais il n'y a pas d'incendie. C'est juste un titre accrocheur, et cela a été efficace car j'ai été accrochée, mais pas par l'incendie justement, le nom seul d'Eric Blair suffisait à m'attirer l’œil. On dit qu'Orwell devient terriblement à la mode en ce moment. Que tout le monde découvre le grand voyant qu'il fut au regard de ce que connaît le monde aujourd'hui et que les éditeurs le re-publient, poussés par une forte demande du lectorat. Son nom suffit pour faire vendre. Voyons ce qu’il en est ici.

Ray s'est fait une jolie place dans le monde de la pub à Chicago. L'argent commence à bien rentrer. Mais voilà, il a bâti cette jolie carrière débutante sur une campagne terriblement polluante. Au début, il se fichait bien de détruire la planète, du moment que les dollars rentraient, mais la rupture d'avec son épouse l'a fragilisé et il a commencé à réfléchir un peu sur sa vie et, progressivement, à être gêné par ce qu'il avait fait, à se reconnaître une responsabilité honteuse... Et juste au moment où il décide de moraliser davantage son existence, et même son travail -chose difficile s'il en est, dans ce domaine-, voilà qu'on lui fait une offre mirobolante, mais encore mille fois plus polluante que la précédente. Il refuse, indigné, mais s'il ne le fait pas, quelqu'un d'autre le fera bien sûr, c'est bien connu... et il est sur le point d'accepter. Le conflit intérieur devient trop fort, il plaque tout et se réfugie au fin fond de l'Ecosse sur l'île de Jura où il loue pour six mois la grande maison isolée où Orwell (son idole) a écrit « 1984 » qui lui semble si clairvoyant.

« L'état des choses était bien ce que décrivait 1984. Orwell lui-même n'aurait pu prédire une désintégration si absolue de la vie privée. Ou l'émergence des médias sociaux comme moyen de contrôle. A la place des télécrans, on avait des smartphones. A la place du crime par la pensée, le politiquement correct. Qu'était donc Internet, sinon une façon pour Big Brother de traquer nos moindres réflexions ? »

Le voyage est rude, l'accueil plus encore, et le climat... franchement pas facile. On parlera beaucoup de l'admirable hospitalité de la population écossaise, mais comme l'Arlésienne, sans jamais la voir. La réalité est qu'il sera perpétuellement maltraité par les îliens en tant qu'étranger et intellectuel. Il est accusé de prendre tout le monde de haut alors que c'est eux qui font preuve à son égard d'un ostracisme total. Une sorte de bizutage permanent. 

L'histoire est passionnante car on se demande comment tous ces ingrédients vont se mélanger et évoluer. De plus, les autochtones nous livrent une magnifique galerie de psychopathes qui, sympathiques (cas rarissime) ou non, ont au moins l’avantage d'être largement au-delà des limites du banal. Tout est visiblement possible (meurtre y compris) et le lecteur captivé avale les pages -fort bien écrites au demeurant- poussé par une curiosité permanente. S'y ajoutent parfois des notes d'humour De ce point de vue, c'est vraiment une réussite.

Ce qui m'a moins convaincue, ou disons, moins séduite, c'est la médiocrité des personnages sensés être sympathiques et qui, pour cette raison, ne me l'ont pas été. Le héros est bien élevé, patient, tolérant... Un bobo, quoi. On peut essayer de l'assassiner (et on ne s'en prive pas) sans qu'il devienne lui-même agressif. Il se contente d'essayer de survivre, il ne se rebelle pas, n'essaie même pas, toujours poli et terriblement inoffensif, ne porte même pas plainte... Je dois avouer que je m'attache davantage aux personnages un peu plus coriaces et ayant un peu plus de répondant. Mais là, entre ceux qui ne se révoltent pas et ceux qui, porteur d'un don, n'ont pas le courage de le développer et se racontent que, s'ils s’enkystent dans le connu si médiocre soit-il, au lieu de prendre le risque de tout tenter, c'est par choix libre, j'ai été déçue. Je dois le dire : je ne suis guère adepte du consensus mou, la passivité m'insupporte. Winston Smith*, Guy Montag** et Bernard Marx*** se révoltent, eux, et luttent. Je préfère les héros. C'est mon droit.

9782072564758


* 1984

** Fahrenheit 451

*** Le meilleur des mondes



19 mars 2023

Taormine 

de Yves Ravey

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Louisa et Melvil Hammet, ménage en bout de course, lui incapable entretenu par sa femme et elle bienveillante mais de plus en plus lointaine, viennent d’atterrir en Sicile car Melvil s'est mis en tête d’organiser des vacances de rêve pour redynamiser leur couple. (On verra comment ses efforts seront récompensés.) Fatigués par le vol, ils ont encore perdu beaucoup de temps à louer leur voiture mais les voila enfin en route pour l’hôtel. C'est le soir mais Louisa n'a qu'une idée en tête : la mer, la voir et y plonger. Aussi Melville, soucieux de lui plaire, prend-il une sortie d'autoroute qui lui semble y mener. Hélas, ils ne trouveront que travaux et station service minable. Le crépuscule est là, il se met à tomber des cordes, et ils se résignent à gagner leur hôtel, mais, alors qu'ils cherchent à regagner l’autoroute la voiture subit un choc sur l'aile droite. Ils n'ont strictement rien vu. Ils n'ont aucune idée de ce qu'ils ont pu heurter sur ce chemin défoncé. Et là, réflexe dû à la bêtise, à la fatigue, à l'obsession de vacances sans aucun problème, ils minimisent et ne s'arrêtent pas. Si bien qu'ils ne sauront jamais s'ils ont heurté un objet, un animal ou même, mais ils refusent de l'envisager, une personne. Cependant, leur comportement, surtout celui de Melville, va devenir de plus en plus celui de coupables en fuite. Ils évitent les voies fréquentées, dorment dans la voiture et, quand ils regagnent enfin leur hôtel, c'est pour apprendre par le journal, la mort d'un enfant heurté par une voiture dans le secteur où ils se trouvaient. A partir de là ils vont enchaîner une succession de mauvais choix qui les entraînera toujours plus loin dans la catastrophe.

Je n'ai pas trouvé ce court roman très plaisant à lire. Un petit problème d'ambiance, s'il y a une tension qui va croissant à partir de ce simple choc incompréhensible, il y a également un fort sentiment de malaise qui agit sur le lecteur. On se sent pris dans l'engrenage comme les Hammet avec lesquels on ne sympathise pourtant pas. Qu'est-ce qu'on aurait fait, nous? Est-ce qu'on se serait arrêté sous cette pluie battante à visibilité zéro, ou est-ce qu'on se serait également empressé de conclure que ce n'était rien, le talus, et tant pis pour la carrosserie, on verrait plus tard. On se dit qu'on se serait arrêté mais est-ce si sûr? Et ensuite? Qu'aurions-nous fait, une fois qu'il était trop tard pour changer les choses?

Par contre, je n'ai pas apprécié la fin, que j'aurais tendance à qualifier de... "absente" ? Oui, c'est le mot.


978-2707347701



15 mars 2023

Rouge nu

de Benjamin de Laforcade

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Et voici aujourd'hui le livre auquel j'aurais décerné le Prix du Premier Roman, si on m'avait demandé mon avis. Ce qui n'est bien sûr pas le cas et c'est pourquoi je tiens ce blog. Une œuvre littéraire exceptionnelle dont on ne parle pas assez et je suggère que nous tentions de corriger cette lourde erreur.

Ezra, qui a toujours vécu face à la mer, sur son ile , avec sa mère, a également toujours peint et dessiné. Il arrive à l'âge d'intégrer une école d'art à Berlin et a eu la chance d'être accepté dans celle, prestigieuse, d'Andreas Mauser, le peintre qu'il admire le plus au monde et dont il a copié et copié encore toutes les œuvres. Son admiration pour l’œuvre du maître est absolue. Je pense qu'il est important de bien ressentir cela. Le voilà donc débarquant à Berlin. Il a trouvé un petit logement près de l'école et, comme celui-ci prend chaque année un nouvel assistant parmi les nouveaux, la chance encore d'être choisi. Il faut dire qu'Ezra est peintre jusqu'à la moelle et qu'il a suffi d'un regard à Mauser pour repérer son talent.

Les cours commencent ainsi que les amitiés et flirts de sa nouvelle vie. Son admiration pour le travail d'Andreas Mauser se confirme alors qu'il découvre progressivement des plages d'ombre dans sa personnalité et qu'au fil du temps, ces découvertes sont toujours plus sombres. Si l'Art est le plus important dans la vie, qu'est-on prêt à lui sacrifier? Jusqu'où peut-on aller? Ezra vivra cette problématique majeure et sera obligé d'y répondre. Le lecteur, auquel Benjamin de Laforcade aura réussi à faire partager au plus profond de lui, la force du dilemme, aurait-il fait le même choix?

La problématique de ce livre est : les génies, par définition, ne sont pas des êtres comme les autres et l'on sait que certains peuvent être particulièrement antipathiques. Jusqu'où peut-on accepter leurs défauts pour pouvoir bénéficier de leurs chefs-d’œuvre? Quand l'art est tout et l’œuvre le trésor suprême, que peut-on ou non leur pardonner? L'auteur a su habiter totalement cette problématique et lui donner vie.

Je n'ai pas réussi à savoir si Benjamin de Laforcade peignait , mais on jurerait que oui. On n'arrive pas à croire qu'il puisse si bien connaître les élans et enjeux de la création artistique sans les avoir éprouvés lui-même. Bien sûr, il y a aussi la création littéraire qu'il a forcément vécue, mais elle est un peu différente et ici, l'auteur parvient à nous faire croire que le roman a été écrit par un peintre. C'est un roman excellent, grand, même. On a du mal à croire qu'il puisse s'agir d'un premier roman tant la maîtrise et la subtilité sont  parfaites. Bravo à Gallimard de lui avoir ouvert les portes de la Blanche dès ce premier envoi. Un écrivain que je suivrai avec attention.


978-2072961120


11 mars 2023

J’ai tué

de Mikhaïl Boulgakov

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Journal d'un médecin de en campagne

D’habitude, je ne suis pas cliente de cette collection qui propose des extraits à mon goût bien trop courts pour être vraiment intéressants. Mais il se trouve que je m’intéresse en ce moment à Mikhaïl Boulagkov et que les nouvelles publiées dans ces folios ne sont pas éditées ailleurs en dehors de l’admirable mais coûteuse Pléïade. Mon porte monnaie n’a fait qu’un tour et a opté pour le folio 2€ et ses trois nouvelles.

La première, "Le brasier du Khan" (1924): met en scène la fin de la Russie blanche en une péripétie hautement symbolique mais pas d’une folle originalité ni, à proprement parler, passionnante.

La seconde, "L’île pourpre"  (1924): Par clin d’œil, Boulgakov donne cette nouvelle pour être de Jules Verne, traduite par lui. Ce pastiche de notre Jules national se manifeste par l’apparition de personnages tels Michel Ardan et autres, caricaturés de façon comique. Ils représentent, n’en doutons pas, les travers de la vieille Europe. Folio nous indique que ce serait également un pastiche des littératures simplistes de propagande des années 1920, mais là, je me rends moins bien compte.

C’est parfois bien drôle :

(Lord Glenarvan)"- … Je n’ai pas besoin de vos stupides conseils.

- Ah? Bon! fit Ardan en fronçant les sourcils. Veuillez me dire, sir, quel jour nous nous battrons au pistolet. Et je vous jure, cher sir, que je vous transperce à vingt pas aussi facilement que si vous étiez la cathédrale Notre-Dame de Paris.

- Je ne vous envierai pas, monsieur, quand vous vous trouverez à vingt pas de moi, répondit le Lord. Le poids de votre corps sera augmenté du poids de la balle que je vous mettrai dans l’œil, celui des deux que vous voudrez, au choix.

Le témoin du lord était Philéas Fogg et Paganel celui d’Ardan. Ardan conserva son poids initial et manqua le lord. Il ne manqua pas un des Nègres tapis derrière un buisson par curiosité."

On sourit souvent, on songe à la ferme des animaux d’Orwell, mais c’est un peu confus tout de même, m’a-t-il semblé.


La troisième, "J’ai tué" (1926): fait partie des écrits inspirés à Boulgakov par ses quelques années comme médecin en zone de combats, elle reprend aussi le récit des exactions des séparatistes ukrainiens, également d’inspiration autobiographique et qu’il développe dans «La garde blanche». C’est un récit violent, que l’on sent lourd de tension pour l’auteur, mais à mon avis pas pleinement réussi du point de vue littéraire. Un peu confus encore une fois, à cause des flashes de souvenirs qui se chevauchent de façon peut-être pas assez maîtrisée et l’émotion (colère) de l’auteur couvre celles des personnages.


En conclusion, ce petit recueil ne m’a pas valu un grand moment de lecture mais qui, à mon sens, est utile à connaître quand l’on s’intéresse à Mikhaïl Boulagkov. On me dit que "Endiablade" (même collection) n’est pas meilleur mais je vais le lire quand même, toujours pour les mêmes raisons. Je vous en parlerai.


9782070403240


05 mars 2023

Le mage du Kremlin

de Giuliano da Empoli

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Giuliano da Empoli a déjà publié plusieurs ouvrages, mais ce sont des essais sociétaux et politiques, "Le mage du Kremlin" est son premier roman et je dirais que cela se sent un peu. J'ai trouvé ce roman peu littéraire et j'ai été stupéfaite de le voir apparaître sur les listes du Goncourt pour finalement remporter le Grand Prix du roman de l'Académie. On sait que ces histoires de prix littéraires ont toujours été fortement mâtinées d'ententes commerciales souterraines, mais je trouve que cela est de moins en moins dissimulé d'année en année... Et il me semble, juste conséquence, que les lecteurs commencent à se détourner. Peu importe, il leur restera toujours la cohorte de ceux qui "achètent pour offrir" et se fichent un peu de la réelle valeur littéraire de l'objet.

N'empêche que j'ai moi aussi emprunté puis lu intégralement ce "Mage du Kremlin" tant le sujet éveillait ma curiosité. Poutine nous titille aux frontières de l'Est, la troisième guerre mondiale viendra-t-elle de là? A-t-elle même déjà commencé? Il est normal de ne pas snober les sources de renseignements qui s'offrent à nous, car Giuliano da Empol, professeur à Sciences Po, homme politique et ex conseiller de M. Renzi, est quelqu'un de fort bien renseigné sur le sujet et l'on se dit qu'il doit être en mesure de nous apprendre bien des choses que nous ignorons. De ce point de vue, on est en partie satisfaits. Ce passage dans l'environnement proche du Tsar, dans un entourage que l'auteur qui est un homme de think tank, connaît fort bien. apprend beaucoup au citoyen lambda. Cependant, dans l'intimité de Poutine, jamais on ne sera vraiment. Quant à savoir ce qu'il pense... mais on approche.

"Il faut que vous compreniez une chose: le tsar ne dit jamais rien de précis, mais ne dit jamais rien par hasard non plus. S'il se donne la peine de faire une suggestion, (...) aussi absurde que cela puisse paraître, l'idée doit être prise au sérieux et mise à exécution."

Bref du point de vue documentaire, le livre peut intéresser, bien que les dates ne soient pas assez souvent rappelées à mon goût. Par contre, du point de vue littéraire et romanesque, il y aurait beaucoup à redire.

D'abord, surtout dans la première moitié, le lecteur s'ennuie un peu. Ce qui est un comble sur un sujet aussi brûlant. Lecteur de bonne volonté pourtant, qui accepte de ne pas s'interroger sur la vraisemblance de voir un idéologue de l'ombre comme Vadim Baranov se précipiter pour raconter sa vie professionnelle, familiale et amoureuse, dans le détail à un homme qui ne lui est rien et qui ne lui a même rien demandé. Mais lecteur qui trouve quand même que les pages ne tournent pas vite... Ca s'améliore dans la seconde moitié et plus encore à la fin, mais je sais pour l'avoir lu sur les blogs littéraires que trop de lecteurs ne vont pas jusque là. C'est dommage, avec un sujet et un contexte pareil! C'est le mariage contre nature de l'essai et du roman que je tiens pour responsable.

Quoi qu'il en soit, c'est tout de même intéressant. Ce Vadim Baranov "arriviste paresseux", "sceptique et indifférent", a tout vu et a participé à bien des choses. Il est très habile et peu scrupuleux, comme il se doit en politique. Il manipule les uns et les autres, flattant, promettant et mentant avec un cynisme éhonté.

"J'ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil." (je me demande si c'est vrai...)

Ce roman a été écrit avant le début de la guerre de Poutine en Ukraine, mais on voit à quel point le conflit couvait depuis longtemps et devenait de plus en plus menaçant...


Extraits :

"L'intelligence ne protège de rien, même pas de la stupidité."


"Parti du théâtre, j'étais passé à la mise en scène de la réalité. On ne pouvait pas dire que je m'en sois mal tiré. A présent, on me demandait de projeter sur la scène la réalité que j'avais contribué à construire. Seulement cette fois, il ne s'agissait plus d'un petit théâtre d'avant-garde mais d'une immense arène, pour un public qui comprenait la planète entière."


"Il est normal que les plus entreprenants parmi les jeunes aient envie de faire des choses, qu'ils soient à la recherche d'une cause. Et d'un ennemi. ce que nous devons faire, c'est leur donner cette cause et cet ennemi avant qu'ils ne les choisissent eux-mêmes."


"Les Russes aiment à se faire guider par des hommes implacables"


"Tout le monde doit voir que la révolution orange a précipité l'Ukraine dans le chaos. Quand on commet l'erreur de se confier aux Occidentaux, cela finit ainsi: ceux-ci te laissent tomber à la première difficulté et tu restes tout seul face à un pays en ruines."


Mais parfois, le mage (et Poutine) ne sont pas infaillibles

"Le Tsar ne pouvait pas, bien sûr, envoyer des troupes régulières envahir un pays souverain" (l'Ukraine) .


9782072958168





27 février 2023

La fourmi assassine

de Patrice Pluyette

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Présentation de l'éditeur :

"Odile Chassevent vient de disparaître. Son compagnon Francis Lecamier ferait un bon coupable mais c'est oublier un peu vite Legousse, éleveur de porcs sans activité qui vit avec sa vieille mère dans une ferme isolée.

Lorsque l'inspecteur Rivière débarque, les indices font défaut. Des premiers aveux obtenus conduisent à une fausse piste : le mystère reste entier. Une hypothèse pourrait bien le résoudre, ce n'est pourtant qu'une hypothèse."


Court roman (140 pages en gros caractères bien aérés), Le Clézio, empruntant à l'anglais, appelle cela « novella » et en met deux pour faire un livre et de fait, il m'a semblé qu'on était plutôt là dans une nouvelle que dans un roman. Tant par la forme, je viens de l'évoquer, et s'y' ajoute un style vif et rapide, que par le fond, un récit concentré sur un seul sujet et qui court vers une chute à surprise... Bref, une grosse nouvelle.

Pas mauvaise d'ailleurs, bien écrite, bien menée. Le lecteur s'y laisse prendre et emporter, mais aussi avec ce sentiment de superficialité qui caractérise le genre : on n'approfondit pas dans la nouvelle. Le sujet, sans être d'une originalité décoiffante n'en est pourtant pas trop rebattu et le suspens (whodunit) tient jusqu'au bout : Odile Chassevent, jeune femme, vient de disparaître que lui est-il arrivé ? Malheur ou pas ? Et si malheur, qui a fait le coup ? Il y a enquête, des suspects, un enquêteur original, des pistes etc. Tout cela, très correctement agencé.

Par contre, pour ce qui est de la persistance de l'empreinte que ce livre laissera dans votre mémoire, si c'est comme pour moi, j'ai le grand regret de devoir vous dire que l'érosion est déjà très nette au bout d'une semaine.

Bref, un bon moment de lecture récréative, bien fait, mais ne pas demander plus. Des personnages haut en couleur, quelques morts accidentelles ou presque, un ton léger, une réflexion du même gabarit et basta, emballez, c'est pesé. Mais pourquoi pas. J'aime.

978-2021081015