31 juillet 2022

Nulle part dans la maison de mon père 

d'Assia Djebar

***


Souvenirs d’enfance et d’adolescence

"Je n’ai plus de «maison de mon père». Je suis sans lieu, là-bas, non point seulement parce que le père est mort, affaibli, dans un pays dit libéré où toutes les filles sont impunément déshéritées par les fils de leurs pères."

Cet ouvrage est un ouvrage de souvenir qui couvrirait la période qui va de la petite enfance aux 17 ans de l’auteur. Nous y découvrons une petite fille maghrébine mais fille d’une famille aisée et dont le père a de plus la fonction très honorifique d’instituteur. Sans doute n’est-il pas l’égal des enseignants français (et l’on sent là une gène pas approfondie) mais il occupe néanmoins une fonction prestigieuse aux yeux des Algériens, car il est de plus celui qui peut permettre à leurs enfants de s’élever socialement. Le père est donc entouré ainsi et par son aisance financière, d’une aura qui le met au-dessus des autres, comme il est déjà au-dessus des femmes en tant qu’homme musulman et au-dessus des membres de sa famille en tant que pater familias. Son image est magnifiée, il est LA référence. Assia Djebar, en tant que fille et qu’aînée, sera celle qui devra se libérer de cette chape, d’autant qu’aussi évolué soit-il, ce père reste un musulman pratiquant pour qui la liberté des femmes est loin d’être chose acceptable. Ainsi, l’une des scènes marquantes de la jeune enfance d’Assia est-elle celle où son père, la voyant découvrir ses mollets en apprenant à faire du vélo, lui interdit de façon traumatisante car absolue et porteuse d’un lourd non-dit, de se livrer à cette activité. Sans le comprendre vraiment, la petite découvre alors le poids des tabous. Elle avait vu sa mère sortir soigneusement voilée mais le luxe des dits voiles et la supériorité sociale de sa mère sur les autres femmes arabes, ainsi que l’amour réel qui unissait ses parents, lui avaient caché la réalité oppressive de la situation. Cette leçon de vélo est une première alerte.

Pourtant, la jeune fille poursuivra ses études bien plus loin qu’il n’est habituel pour une jeune femme et se libérera de plus en plus de l’emprise paternelle, sans rébellion ouverte, mais par l’esquive. Elle parviendra ainsi à sauvegarder une grande partie de sa liberté.

Après cette première scène de la bicyclette, nous progressons dans ses souvenirs, découvrant une réalité maghrébine bien éloignée de celle de "La grande maison" de Mohamed Dib par exemple. On est dans un milieu aisé, cultivé et proche des Français. On y fait des études, on y apprend le piano etc. on n’a pas de problèmes financiers graves. Assia grandit et déroule le fil de ses souvenirs jusqu’à une scène marquante et fondatrice vers laquelle on s’aperçoit que le livre tend depuis le début et qui, vécue par l’auteur à l’égal de la scène du vautour pour Léonard de Vinci, donne lieu à de nombreuses pages, récits et commentaires. Je pense qu’il vaut mieux que je ne vous en dise pas plus, il est préférable que vous découvriez (éventuellement) par la main de l’auteur cet évènement qui aurait –pense-t-elle- marqué et influencé la totalité de son existence.

Mon avis sur ce livre ? Je dois dire qu’il est très mitigé. J’ai été très moyennement intéressée par les souvenirs évoqués, somme toute assez banals, et la peinture (peu visible par ailleurs car le sujet est totalement Assia Djebar) de cette société algérienne bourgeoise. D’autre part, j’ai été plutôt rebutée par le lyrisme -revendiqué- du style de l’auteur. Là, c’est un goût personnel, mais vraiment, quand je lis : « Ma passion pour Lucrèce n’est pas retombée après tant de décennies, plus pure que tant d’autres enthousiasmes, comme si l’imagination stimulée par la vision du grand poète –tel un ciel rempli de constellations chatoyantes- m’entrainait vers un état d’enchantement… »

ou

« Car tu as beau tourner, te retourner, te laisser porter à l’oblique, par un rythme presque incontrôlé, tu ne veux plus de jeu. Tu veux pouvoir dormir, et tu dors, et tu oublies, et tu regardes devant, derrière toi. La main qui écrit attend de ta tête –machine à rêves- l’impulsion, la vitesse d’un départ. Mais plus de toiles d’araignée au plafond ! »

J’ai plus tendance à fuir qu’à être séduite. C'est lourd. On a perdu la beauté poétique de l'écriture habituelle d'Assia Djebar. Pour moi, l’œuvre romanesque de l’auteur est plus intéressante. 

978-2742784851 

27 juillet 2022

Quand le dormeur s'éveillera 

d'Herbert George Wells

*****

Vive la littérature d'Aventure !

Pour bien profiter de Wells, il faut tout prendre au premier degré, retrouver son âme d'enfant, et se lancer dans l'aventure. Quand il vous raconte une guerre contre les Martiens, il faut vous imaginer tranquillement chez vous avec soudain, des Martiens qui attaquent. Que feriez-Vous ? Vous ne savez pas ? Eh bien, regardez ce que son héros a fait et vibrez avec lui. Utilisez la même méthode quelle que soit l'aventure et vous vivrez des moments passionnants, à diverses époques, avec divers monstres, face à de nombreux dangers et des plus variés. Abandonnez l'introspection nombriliste, jouez le jeu et impliquez vous, lancez-vous, prenez des risques, vivez les plus étranges aventures. Démonstration d'aujourd'hui : "Et si vous étiez le Maître du Monde".

Point d’extraterrestre ici, un homme, comme beaucoup d'hommes de cette fin du 19ème siècle. La trentaine, réduit au désespoir car il ne peut trouver le sommeil depuis six jours ! Une telle insomnie a de quoi rendre fou, et c'est ce qui arrive. Voilà notre homme épuisé envisageant sérieusement de se jeter dans un abîme de la montagne proche, où il est monté. Un peintre qui y faisait sa promenade, le trouve dans cet état et, comprenant le sérieux de la situation, refuse de le laisser seul et l'emmène chez lui. Là, il l'installe dans un fauteuil, lui sert un verre et le laisse un moment, et quand il revient, notre désespéré dort à poing fermé. Il apparaît bientôt qu'il dort même trop. Beaucoup trop, sans qu'il soit possible de le réveiller. Le corps médical s'intéresse à son cas, mais sans résultat, et finit par emporter notre Dormeur, qui ne rouvrira les yeux que... 200 ans plus tard.

Evidemment, le monde a bien changé, et il lui faudra découvrir toutes ces nouveautés, d'autant qu'il les voit avec des yeux d'homme du 19ème siècle. Cette situation permet à H.G. Wells de se livrer à un de ses jeux préférés : l'anticipation et la prospective. Il se passionnait pour ces extrapolations sur ce que le monde pouvait ou non devenir. Il adorait les mettre en situation, les faire jouer sous divers angles, pour voir se qui se passerait alors, les conséquences...

Ici, nous découvrons un monde où l'exploitation de l'homme par l'homme s'est encore accrue. Une classe dirigeante vit dans le luxe, sans contact avec le "peuple", qu'elle exploite de façon éhontée. Comme toujours, une sorte de religion ou de mythologie est bien utile dans ces cas-là, et c'est la légende du Dormeur qui, inconscient depuis deux cents ans, s'occupera (enfin!) du Peuple quand il s'éveillera. C'est bien pratique pour la classe dominante à qui l'on ne réclame rien jusque là. Et pourquoi ce Dormeur, parce que son cas médical est tout à fait exceptionnel d'une part et que, de l'autre, diverses circonstances font qu'il est devenu depuis le 19ème siècle, l'homme le plus riche du monde, le quasi propriétaire de la terre, pour tout dire. Wells montre, à cette occasion sa parfaite connaissance des leviers du pouvoir et des liens qui le lient aux puissances d'argent.

"D’un bout à l’autre de l’Empire britannique et de l’Amérique, le droit de propriété de Graham était à peine déguisé ; Congrès et Parlements étaient, en pratique, considérés comme des vestiges antiques, des curiosités. Même dans les deux empires de Russie et d’Allemagne, l’influence de sa richesse avait un poids énorme."

Dans bien d'autres domaines sociétaux également, la vue de Wells avait été particulièrement perspicace et clairvoyante : l'évolution des langues et du langage, les progrès techniques et leurs répercutions sociétales

"Après que le téléphone, le cinématographe et le phonographe eurent remplacé le journal, le livre, le maître d’école et l’alphabet, – vivre en dehors du champ des câbles électriques eût été vivre en sauvage isolé. À la campagne, il n’y avait ni ressources, ni moyens de se vêtir ou de se nourrir (selon les conceptions raffinées du temps), ni médecins capables dans un cas urgent, ni société, ni occupation utile d’aucune sorte. "

L'Education, également, autre passion de Wells, "– À quoi servirait de les gaver ? Cela ne fait que des malheureux et des mécontents. Nous les amusons. Et, même en l’état actuel… il y a du mécontentement, de l’agitation." La dictature favorise largement l'inculture.

Etc. Les supputations sur l'avenir d'un homme comme H.G. Wells, très intelligent et particulièrement à l'écoute de son époque tant du point de vue scientifique que politique, ne pouvaient être que dignes d’intérêt. Il y a eu quelques couac, mais la plupart se sont révélées très justes, et bien vues.

On se doute que l'arrivée dans cette société inique et figée, d'un homme habité par les grands espoirs du début de l'ère industrielle, encore mu par le "sentimentalisme primitif, de l’antique foi dans la justice" va faire des vagues, et de très grosses même, compte tenu du fait qu'il n'est rien moins que le Maître du Monde...

"Car, dans les derniers jours de cette vie antérieure, si loin maintenant dans le passé, la conception d’une humanité libre et égale était devenue pour lui une hypothèse très réalisable. Avec une conviction téméraire, il avait espéré, comme en vérité toute l’époque à laquelle il avait appartenu l’espérait, que le sacrifice du grand nombre au petit nombre cesserait quelque jour ; que le moment était proche où tout enfant né d’une femme aurait une chance équitable et assurée de bonheur. Après deux cents ans, la même espérance, toujours trompée, faisait entendre, à travers la Cité, son cri passionné. Après deux cents ans, il le constatait, le paupérisme, le travail sans espoir, toutes les misères de jadis, plus grandes que jamais, avaient crû avec la Cité, et pris des proportions gigantesques."

Alors, seule tache sur ce très beau roman, le racisme de Wells qui y apparaît dans la deuxième moitié. Un de ses rares défauts. Il faut dire qu'il était quasi unanimement partagé dans l'Angleterre coloniale de l'époque. Raciste absolument, mais contradictoirement, le héros dit : "Mon siècle était un siècle de rêves… de commencements, un siècle de nobles aspirations. Dans le monde entier nous avions mis fin à l’esclavage ; dans le monde entier, nous avions répandu le désir de voir cesser la guerre, le désir que tous, hommes et femmes, pussent vivre noblement dans la paix et la liberté… c’est là ce que nous espérions jadis." On le voit donc mettre l'abolition de l'esclavage au premier rang des progrès humains. Tout espoir n'est donc pas perdu, Wells n'était peut-être pas loin de briser ce carcan victorien comme il a brisé les autres, et d'évoluer.

9791027801558




23 juillet 2022

L'Homme qui pouvait accomplir des miracles

de H.G. Wells

***

Cette nouvelle nous conte l'aventure d'un homme, qui, comme le titre l'indique dès l'abord, pouvait faire des miracles. Mais il ne le savait pas encore, d'ailleurs, pour tout dire, c'est en soutenant haut et ferme devant ses compagnons de comptoir que les miracles étaient impossibles, qu'il se prouva le contraire. Alors que ses amis de pub qui, l'instant d'avant soutenaient leur réalité, ne crurent pas un instant qu'il venait d'en accomplir un et lui reprochèrent fort son mauvais tour... Ainsi va le monde, et l'humour de Wells.

Chassé de la taverne, notre faiseur de miracles teste ses capacités en des expériences de plus en plus ambitieuses, mais sans jamais prendre le temps de réfléchir à ce qui se passe et moins encore aux possibles conséquences de ses actes. D'abord timoré dans ses expériences, il ne tardera pas à ne plus y mettre la moindre limite mais... où tout cela nous mène-t-il ?

Vous le saurez en lisant cette nouvelle plus distrayante que philosophique, qui date de 1898, période où H.G. Wells fournit beaucoup de nouvelles à divers magazines. Elles n'étaient pas toutes d'une profondeur révolutionnaire, tout en prêtant tout de même à réflexion. L'originalité est ici moins totale que souvent avec Wells. Les contes de vœux omnipotents sont vieux comme le monde, mais ils sont généralement limités à trois, ici, le pouvoir est illimité et on ne parle pas de magie, mais de miracle...

Et vous? Jusqu'où iriez-vous si vous pouviez faire tout ce que vous voulez? Moi, je


PS : Un film a été tiré de cette nouvelle en 1936 , Wells en rédigea les dialogues.

978-2956766254




19 juillet 2022

 

Au temps de la comète 

d'Herbert George Wells

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Un monde meilleur

Un vieillard en haut d'une tour, est en train d'écrire. Surgit un jeune homme inconnu qui l'interroge et, pour lui répondre, le vieil homme raconte sa vie. Je dois à ma grande honte avouer que je ne suis pas parvenue à comprendre qui était ce jeune homme, d'où il venait etc. Est-il le pur fruit de l'imagination du vieillard ? Le lecteur fictif auquel il s'adresse... ? Ce n'est pas clair. Comme il fallait s'y attendre, on le retrouve à la fin du roman mais, et pour le coup, contrairement à ce que j'attendais, la situation n'est pas explicitée.

Nous sommes à une époque qui se situe "après le passage de la comète" et nous comprenons immédiatement que ce passage a totalement métamorphosé la vie sur terre, seulement, au début, nous ne savons pas de quelle façon, et nous ne le saurons pas avant la moitié du livre, je ne vous le dirai donc pas. Le monde décrit est directement inspiré de celui de Wells jeune en cette fin de 19ème siècle. Une vie dure pour les pauvres, dont il fait partie. Le jeune homme qu'il est alors se plie mal aux exigences de son emploi et ne tarde donc pas à le perdre (on est proche de la vie de l'auteur). Parallèlement, il est épris d'une jeune fille, mais celle-ci doit aller habiter une autre ville. Les lettres, surtout pleines de malentendus, ne comblent pas longtemps l'absence et ils s'éloignent l'un de l'autre, ce que le jeune homme refuse absolument, surtout si cela doit se faire au profit d'un autre.

De son côté, il vit avec sa mère, avec laquelle il est bien désagréable. Il la traite avec un mépris familier et exigeant qu'il donne pour une forme d'affection filiale.

Au même moment, une comète s'approche de la terre au point que les hommes, d'abord distraits, la scrutent avec de plus en plus d'inquiétude, car elle se rapproche tant qu'ils commencent à imaginer qu'elle pourrait percuter notre planète. Mais le peuple ne se préoccupe pas encore de ce phénomène.

Ainsi s'écoule la vie. Par égoïsme et intolérance, le narrateur perd son meilleur ami, son emploi, sa fiancée... ce qu'il refuse au point de se lancer à sa poursuite armé d'un pistolet, et avec des intentions de meurtre...

Cela prend toute la première moitié du roman et à mon avis, c'est bien trop long. On se lasse de l’égoïsme et des rages de notre narrateur. On n'a guère de sympathie pour lui, et quand il se lance après sa fiancée, on le déteste carrément... et on se demande si on va continuer à lire ce livre, d'autant que rien n'indique que l'auteur ne donne pas raison à ce désagréable personnage. Donc, le premier but de ma chronique, sera de vous conseiller de ne pas vous désintéresser de cette histoire, et de poursuivre... car le moment où il rattrapera sa fiancée coïncidera avec celui où la comète arrivera, et après cela, plus rien ne sera pareil. Tout sur terre sera entièrement modifié et la seconde moitié de l'ouvrage nous montrera un monde qui se rebâtit sur des bases entièrement nouvelles et différentes. Wells se passionnait pour l'utopie sociale, il en a imaginé plusieurs ; ici, il tente de nous montrer comment fonctionnerait un monde idéal.

Il envisage tous les domaines de la société : travail, éducation, gouvernement, économie et, vie amoureuse et familiale. Il rêve d'amour libre et ses adversaires se sont volontiers gaussés de ce sujet, d'autant qu'il avait en ce siècle plutôt verrouillé, une liberté de mœurs que beaucoup acceptaient mal. On disait qu'il imaginait un monde où l'amour serait libre uniquement pour satisfaire ses propres fantasmes, alors que le monde libre dans tous les domaines auquel il aspirait ne pouvait faire l'économie de cette liberté-là. D'ailleurs, aucun des grands utopistes n'a pu négliger ce domaine.

Ceci étant dit, j'ai trouvé quand même que cette seconde partie, après m'avoir ravie par sa richesse d'inspiration, devenait finalement trop sucrée car, elle aussi, trop longue... Ses nouvelles relations avec sa mère virent sirupeuses plutôt que satisfaisantes.

Bref, c'est un roman qui aurait gagné à faire 200 pages plutôt que 300 et dont le vrai bon morceau est dans la description du fonctionnement d'un monde idéal. C'est dommage car c'était vraiment une idée passionnante.

"J'avais vu, jadis, de la méchanceté et de la tragédie là où je ne voyais plus que les effets d'une extraordinaire sottise. Le côté ridicule du faste et de l'orgueil humain m'apparut, et ce nouvel aspect des choses révolues m'éclaira dans ces rayons d'aurore, et provoqua un rire inextinguible."

978-2714600158


15 juillet 2022

 Le Cambriolage d'Hammerpond Park 

et autres nouvelles extravagantes

de H.G. Wells

**+


Médiocre

Le recueil référencé 9782070466955 et dont la photo est ci-dessous, contient quatre nouvelles.

L'Histoire de feu M. Elvesham (1896)

Le cône (1894)

Le trésor de la forêt (1894)

Le Cambriolage d'Hammerpond Park (1894)


L'Histoire de feu M. Elvesham

Savez-vous qu'on peut se faire voler sa vie, au sens littéral ? Eh bien, si, c'est possible, au moins dans un des mondes fantastiques de Wells. Mais bien mal acquis...

A moins, au fond que tout cela ne puisse en fin de compte s'expliquer autrement....


Le cône (1894)

« Le cône » est une histoire affreuse qui m'a fait renoncer à donner ce recueil à ma petite fille comme j'en avais précédemment l'intention. Pas originale pour deux sous, mais terrible, bien que la disposition compliquée et inconnue des lieux rende très difficile la visualisation des faits. On ne comprend pas exactement, mais en même temps, c'est horrible. Bref, détesté.


Le trésor de la forêt (1894)

Carte au trésor. Petite histoire assez quelconque et de plus entachée du racisme des colons anglais de l'époque. Aucun fantastique dans le récit. Peut-être ce que j'ai lu de moins intéressant de la part de Wells depuis que je le lis.


Le Cambriolage d'Hammerpond Park

Ni Martiens, ni mondes parallèles, cette fois, mais le bref récit d'un cambriolage. Le ton est humoristique.


Seule l'écriture de Wells sauve un peu ce pâle recueil de nouvelles décevantes. Je ne saurais le conseiller, H.G. Wells a fait tellement mieux ! Je ne comprends pas que ce soit celles-là que Folio ait choisi de rééditer. Lisez-en plutôt un autre.


9782070466955




12 juillet 2022

 L’œuf de cristal

de H. G. Wells

****+


Un œuf, mais pas de poule en vue

Trouvée sur internet, je n'ai pas de photo de couverture pour illustrer cette histoire.

Nouvelle de science fiction, « L’œuf de cristal » nous fait entrer dans la petite boutique d'un antiquaire, Mr Cave, sur les pas d'un clergyman et d'une de ses connaissances. Il a vu en vitrine un bel œuf de cristal qui lui semble avoir toutes les qualités pour décorer son intérieur. Quand il interroge le vieil antiquaire sur le prix de l'objet, il a la surprise de s'entendre réclamer une forte somme, mais l'attrait de l’œuf est si grand, qu'il accepte. Il s'entend alors répondre qu'en fait, l'œuf de cristal ne peut lui être vendu car il a déjà été retenu.

Intervient alors l'énergique et peu agréable épouse de l'antiquaire qui exige la vente de l'objet. Le commerçant ne peut obtenir qu'un report de deux jours...

Derrière les scènes de ménage qui s'ensuivent, le lecteur le moins perspicace aura deviné que cet œuf doit avoir quelque chose de particulier, de très particulier même. Nous découvrirons quoi, sur les pas de Mr Cave et de Mr Wace, jeune aide-préparateur à St Catherine's Hospital, passionné de choses scientifiques, dont il s'est fait un allié.

Le lecteur plus averti remarquera beaucoup de similitudes entre ce Mr Wace et le jeune préparateur passionné de sciences que fut H.G. Wells, et pas seulement la proximité phonétique des noms.

C'est une nouvelle intéressante dont on peut imaginer que l'idée a été inspirée à Wells par les prémices d'une invention qui allait bouleverser le monde... mais bien plus tard. Ajoutez-y quelques Martiens, et la sauce prend très bien quand on mélange avec ce vieux monde victorien. Ça a même beaucoup de charme.



09 juillet 2022

L’Étoile 

de WELLS Herbert George 

***+


Neptune est heurtée par une énorme masse lumineuse venue des confins de l'espace. La collision est colossale.  Les deux astres se mêlent. Mais cet accident énorme a modifié les trajectoires d'autres étoiles et la foule qui observe les événements, d'abord avec une simple curiosité, puis avec un intérêt scientifique, puis avec crainte, constate que la lune a changé d'orbite et qu'elle se rapproche de la terre. D'autres astres voient également leurs trajectoires modifiées, avec les conséquences physiques que tout cela peut avoir...

Nous avons ici un récit catastrophe. L'auteur veut frapper son lecteur pour bien lui marteler que nous qui nous croyons si forts et omnipotents, et notre terre elle-même, sommes en fait fragiles et à la merci d'un simple hasard cosmique. 

HG Wells parsème le récit de ce qui se passe dans l’espace, de multiples scènes minuscules (une ligne parfois) mais très imagées, du quotidien terrien habituel. Il les montre tels des millions de fourmis très occupés à leurs minuscules affaires "importantes" sous l'infini des cieux et l'infinité de ses possibles. Comme il le dira un an plus tard  dans « La guerre des mondes », il ne faut pas se prendre pour les rois de l'univers, quelque chose d'inconnu peut tomber du ciel à tout instant et nous anéantir.

En attendant, il décrit amplement tous les catastrophiques effets terrestres de la moindre perturbation de l'univers proche, et en l’occurrence, du frôlement de la terre par Neptune et l'astre inconnus mêlés : déluges, raz de marée, changements extrêmes de températures, irruptions volcaniques, tremblements de terre etc. 

Pour enfoncer le clou, il imagine des Martiens observant la terre et ne voyant là qu'un intéressant phénomène sans grande importance, un peu comme quand nous voyons une explosion solaire. Ce qui cause des millions de morts sur terre peut sembler anodin vu de très loin. Simple question de point de vue...

978-2258074064






05 juillet 2022

Trois mille chevaux vapeur 

d'Antonin Varenne

****+

Poignant et captivant

Un gros roman d’aventures qui devrait plaire à ceux qui ont aimé le « Faillir être flingué » de C. Minard (mais ici, c'est plus poignant). Si je n'avais droit qu'à un seul mot pour le qualifier, je crois que je choisirais « captivant ». C'est vraiment la grosse qualité d'Antonin Varenne qui s'empare de nous à la première page et ne nous relâche plus avant la fin. Pas de « ventre mou » comme c'est souvent le cas des romans longs, pas de passage à vide, de méandre, un tir droit de la pétaudière birmane en 1852 au Far-West de la Guerre de Sécession, le tout, perché sur l'épaule du personnage principal : Arthur Bowman.

Arthur Bowman n'a pas trente ans quand l'histoire commence, mais il est déjà considérablement endurci. Il n'aurait pu survivre autrement à la vie qu'il a menée depuis sa plus tendre enfance. Ajoutez à cet entraînement draconien par l'existence, un vrai courage naturel, une très solide constitution (ce qui n'est pas rare), alliée à une grande aptitude à la solitude et un caractère très indépendant. On arrive là à un mélange déjà plus remarquable. Mais attention, Bowman n'est pas un héros admirable, il a fait dans sa vie beaucoup de choses laides, certaines même impardonnables. Bowman est soldat, sergent. Depuis qu'il a survécu à la misère qui décimait les enfants des quartiers où il est né, en passant par le rude apprentissage des mousses de l'époque, il n'a fait que se battre et devoir sa survie à sa capacité à le faire bien. Il n'a pas d'ami, les hommes le craignent et lui obéissent bien qu'étant eux-mêmes de solides gaillards. Il en a vu beaucoup mourir autour de lui, souvent dans des conditions atroces ; il en a tué pas mal lui-même.

La première partie du roman, va le suivre en Birmanie où il remonte dans une jonque le fleuve Irrawaddy, à la tête d'une trentaine d'hommes, pour une nouvelle mission périlleuse au service de sa majesté. Là maintenant, il faudrait que je vous en dise plus pour que vous compreniez comment la deuxième partie se passe à Londres 6 ans plus tard, mais ce serait détruire le suspens de toute cette première partie et je ne le ferai donc pas. Qu'il vous suffise pour le moment de savoir qu'il se trouve à Londres pendant un épouvantable été caniculaire où les choses prennent une allure d’apocalypse. C'est là que se produiront deux crimes, perpétrés dans des conditions telles qu'elles lui évoquent les pires moments de son passé birman et qu'il ne doute pas qu'ils aient été commis par un des membres de son équipe d'alors. Autant pour exorciser ce passé qui le hante, que parce qu'on le soupçonne, lui, ou qu'il se sent responsable de ses hommes, Bowman entreprend de le retrouver. Cette quête le mènera pour la troisième partie dans ces Etats d'Amérique du milieu du 19ème siècle, où se lance la ruée vers l'or, de tous les ors, y compris ceux de l'utopie. Des gens plein d'espoirs y voient une chance de réaliser leurs rêves les plus fous et, tournant le dos au vieux monde, armés de tous leurs biens, idéaux compris, se lancent à corps perdu dans cette aventure qui, pour certains, ne dépassera même pas les « Trois mille chevaux vapeur » du bateau de la traversée.

Les grandes qualités de ce roman, en plus de celles déjà évoquées : un personnage exceptionnel, à la psychologie fouillée, entouré de personnages secondaires plus rapidement vus, mais très frappants eux aussi. Du genre dont on se souvient longtemps, même pour ceux qui traversent brièvement le récit. Autre qualité, la valeur historique qui nous rappelle que cette ruée vers l'Amérique a vu aussi la naissance de sectes, et de nombreuses tentatives de réalisation d'utopie. Des phalanstères y ont vu le jour, de nouvelles religions y sont nées et ce ne sont pas les tentatives les plus crédibles, les plus intelligentes ou les plus sincères qui ont connu le meilleur succès (je pense en particulier aux invraisemblables Mormons). Une place est reconnue aux livres, ils sont rares et d'autant plus marquant, comme Thoreau, dans ce Nouveau Monde qui se cherche.

Si je trouvais tout de même un ou deux défauts, ce serait d'abord pour l'écriture qui aurait dû parfois être plus travaillée (répétitions, maladresse), on ne sent pas de réelle ambition littéraire et on se dit « mais pourquoi pas ? » et aussi parce qu'il m'a semblé que l'histoire allait en s'approfondissant jusqu'au deux tiers environ et ensuite, en s’étendant, mais sans approfondir davantage, je veux dire soulever d'autre problématique ; et là encore : « mais pourquoi pas ? »

Mais je mets quand même 4,5 étoiles car j'ai vraiment passé un excellent moment entre ces pages que je ne saurais trop vous encourager à découvrir.

« L'endroit était magnifique et inutile, Bowman se sentit mieux dans cette verdure sans âme qui vive. Il reprit le livre. C'était le seul, avec sa bible, qu'il ait jamais ouvert. Un doigt suivant les lettres, murmurant les mots, Arthur commença à lire.

« Dans ces régions où nos frontières de l'ouest avancent tous les jours, et qui sont à la fois tant vantée et si peu connues, s’étend à plusieurs centaines de miles au delà du Mississippi un immense espace de terres incultes où l'on ne voit ni la cabane du Blanc, ni le wigwam de l'Indien... »

Ses yeux s’écarquillèrent. Il continua à lire, penché sur les lettres imprimées jusqu'au crépuscule. Quand il fit trop noir il s'allongea sur le banc, le livre dans la main, la tête appuyée dessus. Son esprit s'envola loin de lui, sans alcool ni opium, vers les rives de l'Arkansas et de la Red River. Il s'endormit (...) » (p 185)

978-2253087120

  












696 pages

30 juin 2022

L'Île du docteur Moreau

de H.G. Wells

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L'intégralité du récit nous est fait par Edward Prendick, depuis son naufrage dont il est le seul survivant, jusqu'à sa mort. Rescapé donc de ce naufrage, Pendrick dérive sur un canot et est presque mort lorsqu'un navire le recueille. Ce navire transporte une cargaison d'animaux sauvages qu'un médecin alcoolique, le Dr Montgomery, emmène sur une île où son employeur les attend. Le médecin soigne le naufragé et parvient à le sauver mais lorsqu'il peut enfin quitter sa cabine et rencontrer l'équipage, c'est pour découvrir qu'il s'agit d'un ignoble ramassis de crapules, capitaine inclus. Quand médecin et chargement quittent le navire, le capitaine décide qu'il ne veut plus de ce naufragé et le remet à la mer sur son canot. Montgomery, dont ce n'était pas l'intention première, n'a d'autre choix que de le prendre avec lui. Une fois sur l'île, Pendrick fait la connaissance du «patron», le Dr Moreau, homme fermé et mutique qui semble consacrer sa vie à des expériences "scientifiques" sur les animaux. On parle ici de vivisection à outrance et sans la moindre anesthésie. Mais nous sommes encore au 19ème siècle et nul ne songe se préoccuper le moins du monde de la souffrance animale. Même notre héros, «Je ne suis pas tellement vétilleux sur la souffrance» déclare-t-il sans rougir (il ne parle pas de la sienne, bien sûr). Néanmoins, les hurlements de douleur incessants finissent par lui limer les nerfs, et l'amènent à quitter sa chambre pour aller se promener dans l'île où il découvrira une faune inattendue de monstres, mi hommes- mi-bêtes. C'est à ces fabrications-là que joue le Dr Moreau et le monstre est clairement de l'autre côté du scalpel. "L'Île du docteur Moreau" est plutôt un roman de suspens et d'horreur, un thriller avant l'heure en quelque sorte, Il n'y a ni martiens, ni déplacement dans le temps, ni invisibilité. En fait, il n'y a rien d'impossible, mais le "possible" qui est développé ici amène le lecteur à réfléchir autant qu'à trembler. 

Il faut savoir que H.G. Wells a été journaliste vulgarisateur scientifique à ses débuts et ce roman a été écrit et publié à l'époque où les questions de la vivisection et de l’expérimentation animale commençaient à faire polémique.  Certains contestaient leur utilité mais je ne sais pas s'il y avait déjà prise en compte des souffrances inutiles et défense des animaux auxquels on était loin de supposer des droits. Les mutilations et vivisections sans la moindre anesthésie étaient très nombreuses, inutiles et pratiquées sans la moindre retenue. L'homme était tellement sûr d'être la seule chose intéressante sur terre ! Quand je dis l'homme, je parle du blanc, bien sûr, mâle de préférence et si possible, britannique, vous l'aurez compris. Bref, l'âge d'or pour les petits sadiques très satisfaits d'eux-mêmes. "Vous oubliez tout ce qu'un habile vivisection peut faire avec des êtres vivants , disait Moreau" (à qui j'aurais aimé faire avaler son scalpel avec sa suffisance si on n'avait pas été dans un roman.)

Voilà, c'est toutes ces questions, centrales, vous le savez peut-être, que soulève Wells dans ce roman dans lequel certains ne verront qu'un page-turner à la tension poignante. Chose qu'il est aussi car je ne vous ai pas dit ce que Moreau essaie de faire et comment tout cela va se terminer... mais je veux bien quand même vous dire que les dernières pages ajoutent une profondeur inattendue au récit.

Au bilan, je ne suis pas sûre de ce qu'était la position de Wells sur la vivisection et cela me met mal à l'aise avec ce récit. Malaise encore avec toutes ces expériences inutiles et monstrueuses. Si je ne m'étais pas engagée à lire ce roman, je l'aurais sans doute interrompu dès mon arrivée sur l’île tant les évocations, bien qu'imprécises, sont pénibles et révoltantes. C'est pour ces raisons que je ne comprends pas ce que ce roman fait dans des éditions pour enfants. Y aurait-il encore tant de gens pour qui la souffrance animale n'est pas grave ? Moi, je crois qu'on connaît la valeur d'un humain à la façon dont il traite les animaux.


978-2070401789



25 juin 2022

 Les aventures d'un sous-locataire

 Iouri Bouïda

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Dans ce récit truculent, Stalen Igrouïev, alter ego de l'auteur, nous raconte comment il est arrivé à Moscou en 1991 (lors de la tentative de putsch) pour devenir écrivain. Il n'avait rien, sauf une lettre de recommandation que son grand-père lui avait faite pour une certaine Phryné, joyeuse soixantenaire et femme envoûtante, avec laquelle tout va se révéler possible. Ce fut chez elle qu'il logea. 

Peut-on donc dire qu'il était son sous-locataire? Pas même car il ne payait pas de loyer. D'ailleurs, si Stalen se revendique sous-locataire, ce n'est pas d'un appartement qu'il s'agit, même si ce concept de logements partagé évoque bien des choses dans les esprits des Moscovites. D'ailleurs maintenant, Stalen est propriétaire de son logement, signe qu'il n'a pas si mal réussi mais, nous le verrons, ce fut une longue route pleine de ronces et d'épines autant que de coups de chance, souvent portés par des femmes pour cet homme qui se décrit comme laid. Néanmoins, sous-locataire, Stalen revendique l’être, et il y tient, le dit et le répète.

"Je suis un sous-locataire, dans la vie comme dans la littérature." 11 

"Propriétaire depuis longtemps, je reste néanmoins sous-locataire dans l'âme, craignant à tout moment d'être flanqué à la porte. Cela dit, il y a des gens qui sont effrayés par moins que ça."26

"D'après toi, l'originalité de Dostoïevski tient, semble-t-il, au fait qu'il se sent locataire d'une maison en feu et na pas de temps à perdre à des bêtises - il peut tout juste accomplir l'indispensable, crier l'essentiel.

L'originalité de l'homme russe, qui vit depuis mille ans dans une maison en flammes, ne tient-elle pas à cela?" 364


Mais voilà, Stalen est jeune, il débarque à Moscou, ville de tous les possibles, du moins l'espère-t-il. Il ne songe qu'à écrire, si ce n'est pour un livre, au moins dans les journaux, et à laisser ses sens s'épanouir,  "Je ne savais pas comment gérer ma libido écervelée et sa puissance effrénée." 130  et les aventures, de grands chemins mais aussi littéraires ou sexuelles, vont se multiplier et se succéder sans repos jusqu'à ce que notre héros esquinté, ayant atteint la maturité, lève un peu le pied et se mette à rédiger ce récit de sa vie, qu'il destine à Lou, une femme qui a joué un rôle important bien que bref, à ses débuts. "Son vœu d'en savoir plus sur moi avait coïncidé avec mon désir de lui raconter mon enfance, ma jeunesse (...) j'avais compris que non seulement je devais, mais je pouvais le faire." 145 

Et vous aussi, cela vous intéressera. Laissez-vous tenter par ce récit de la vie Moscovite de ces cinquante dernières années. Découvrez les aventures de cet homme qui pense qu'un écrivain, doit être une "personne qui soit prête ou capable de réfléchir à la vie de l'esprit, à "l'idée russe" et à l'avenir de la Russie, de discuter de dieu, du diable et de la prédestination de l'homme, de rêver à l'amour et à la liberté..." 117

J'avoue que je sais que ma méconnaissance de l'histoire moderne de la Russie m'a fait rater bien des références, mais pas au point de rendre le livre incompréhensible et il est indéniable que d'un point de vue littéraire, c'est un grand livre. Vraiment.

La traduction en français par Véronique Patte a remporté une Mention spéciale du Prix Russophonie 2021, mais cela ne m'empêche pas de me demander s'il n'y a pas eu confusion entre scnickers et sneakers...


Citations :

"Le tirage de notre journal était modeste, mais il jouissait d'une grande popularité parmi les intellectuels moscovites. Nous publiions des libéraux et des conservateurs, des partisans de Gaïdar et Babourine, des rouges et des blancs, des centristes et des anarchistes, des orthodoxes, des catholiques, des musulmans et des adeptes de la fraternité blanche. (...) Beaucoup écrivaient que la Russie pourrait devenir un endroit agréable à vivre à condition qu'elle se transforme en un petit pays, protestant, sans alphabet cyrillique et sans Russes." 370/371


"La politique, Stalen Stanislavovitch , dit Toporov en écrasant soigneusement son mégot dans le cendrier, de manière hallucinante ne correspond pas à ce qu'en pensent ou à l'idée que s'en font tous ces penseurs, parce qu'elle est la pratique incarnée, rien de plus. C'est en cela que réside son privilège, et sa tragédie... et les hommes politiques ont depuis longtemps cessé d'être des médecins pour se transformer en pharmaciens..." 289

978-2072880162



20 juin 2022

  La septième fonction du langage

Laurent Binet

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Illocutoire ou perlocutoire ?

Le 25 février 1980, le sémiologue Roland Barthes est heurté par une camionnette ; gravement blessé, il est hospitalisé et son état reste longtemps incertain ; néanmoins, il décède finalement un mois plus tard. Cet accident est survenu alors qu'il sortait d'un entretien avec François Mitterrand. Là, nous sommes dans la réalité, ensuite, l'auteur laisse divaguer son imagination et nous entrons dans la fiction. 

Il semblerait qu'au moment de l'accident, Barthes était en possession d'un document extrêmement précieux dont beaucoup veulent s'emparer (cela commence dès l'accident) ou, à défaut, empêcher les autres de s'emparer. Le commissaire Jacques Bayard est chargé de cette mission par V. Giscard D'Estaing, alors Président de la République. Se sentant un peu démuni dans le contexte de grands intellectuels que cette enquête lui impose, il s'adjoint autoritairement les services d'un jeune thésard Simon Herzog, qui a assuré des cours de sémiologie. En effet, son flair lui permet de tout de suite sentir que c'est autour de ces questions (au demeurant ardues) que tourne toute l'affaire. Il apparaît rapidement que le document disparu a à voir avec la septième fonction du langage, évoquée par Jacobson... 

Et c'est bien à une palpitante enquête que le lecteur va avoir droit, avec même une société secrète très ancienne et très puissante dont les duels sont brillants et captivants (surtout le premier). Il ne manque pas non plus de  moment torrides, d'autres très brutaux, et d'un suspens tout à fait efficace, d'autant que Bayard et Simon ne tardent pas à entraîner dans leur sillage deux gros moustachus à l'accent bulgare (vous vous souvenez du parapluie bulgare?) et deux Japonais en Fuego bleue...

 Et néanmoins, le décor de cette enquête est la sémiologie ! Rien de moins. Dans sa version tout à fait réelle et sérieuse, avec des énoncés, des démonstrations, reprenant et explicitant les thèses de Saussure, de Jakobson, Derrida, Althuser, Chomsky, Searle etc. Des notions complexes y sont abordées de façon passionnante mais exacte. On retrouve tous les grands intellectuels internationaux de cette époque (et ceux qui voudraient bien en être, mais la chemise ne suffit pas). C'est un autre des points forts de ce roman : la plupart des personnages sont des personnalités du monde réel, dans des circonstances et attitudes réelles ou presque. Umberto Eco a ainsi un rôle important ici, tout comme le turbulent Michel Foucault et tous ceux dont j'ai déjà cité les noms, et d'autres encore, que vous aurez plaisir à découvrir. Ce roman, bourré d'occasions de trembler, de s'instruire, de soupirer, de sourire, de se lamenter, se dévore.

« La septième fonction du langage » fait aussi partie de ces romans qu'on a envie de relire à peine la dernière page tournée, parce que l'on sait que l'on en comprendrait davantage à une seconde lecture. Ce n'est pas parce que l'on a saisi le clin d’œil à Jean Bernard Pouy, ou repéré les jumeaux en tenue de cosmonaute, qu'on les a saisis tous. Il y avait sûrement un tas de choses que l'on n'a pas vues, et parmi elles, un certain nombre qu'on aurait pu voir.

Quand une lecture est à ce point distrayante et intelligente, je suis comblée.

 978-2253066248



15 juin 2022

Le Grand Monde 

de Pierre Lemaitre

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Vous aimez les sagas familiales ? Vous allez être servi. Des frères, des sœurs, des parents, de l'histoire, de la géographie, l'Indochine, Beyrouth, Paris, des sentiments, des choses horribles et d'autres suaves, des amours et du suspens, de la différence sexuelle et de la tolérance, ou non, du sexisme, de la guerre, des soldats, de la diplomatie, des finances, des magouilles, de la folie, des meurtres, des enquêtes, des journalistes, de la police, de la grandeur, de la mesquinerie, une secte, des carrières qui se font ou se défont, les fortunes de même, des services secrets et des services rendus, des légionnaires, le Viêt-minh, des fumeries d'opium, un pater familias digne de ce nom... et de l'amour maternel. Vous trouverez tout ça dans Le grand Monde, bref, vous en aurez pour votre argent. On songe aux feuilletonistes du 19ème... Pierre Lemaitre maîtrise totalement son sujet et peut nous servir largement.

Mais ça démarre façon diesel malgré une scène gore assez tôt. Le premier tiers est trop plan-plan à mon goût. Tout ça, c'est bien beau mais rien ne surprend vraiment, ni dans les personnages, ni dans le style et on arrive à la page 150 en se demandant si on va continuer longtemps comme ça. Ça s’accélère un peu après, une fois que tout est bien en place, et plus encore vers la fin, mais sans jamais devenir échevelé. C'est un peu étonnant, avec tout ce qui se passe. La fin, que je ne vous dévoilerai bien sûr pas, laisse la porte ouverte à des possibilités ultérieures... Nous lirons encore Pierre Lemaitre.


Extrait, Politique ordinaire :

« Nous aurons un scandale à affronter, ça ne sera ni le premier ni le dernier, on créera une commission qui enterrera ce truc, pendant ce temps on allumera un contre-feu quelque part et deux mois plus tard tout le monde aura oublié. »


‎ 978-2702180815