20 février 2022

Glose 

de Juan José Saer

*****


A savoir : ce roman a antérieurement été publié en français sous le titre « L'anniversaire ».

Voici quel en est le canevas :

Leto, jeune homme argentin de 21 ans, comptable, vivant chez sa mère, se rend à pied à son travail, mais, très vite, la journée étant belle, il décide de s'accorder un congé et son trajet devient une promenade le long du boulevard. Ses pensées vont vers sa mère dont les déclarations sibyllines l'étonnent et, y retournant plusieurs fois, nous permettront au cours du récit de découvrir sa situation familiale. Une autre pensée le tracasse : la fête d'anniversaire du poète Jorge Washington Noriega dont il se pense proche bien que deux générations les séparent, a eu lieu, et il n'a pas été invité. Est-ce volontairement ? Est-ce un oubli ? Ou a-t-on considéré que sa présence allait tellement de soi qu'il n'était même pas nécessaire de l'inviter ? …

Son chemin croise celui du Mathématicien, très beau, riche, très élégant, les deux hommes ne se connaissent pas bien mais le Mathématicien ne se joint pas moins à lui pour cheminer en bavardant puisqu'ils vont dans la même direction. Le Mathématicien  pense également à la fête d'anniversaire qu'il a ratée lui aussi, mais pour une toute autre raison : il n'était pas encore rentré d'une longue tournée des principales villes d'Europe. Le Mathématicien est homme de lettres mais nous découvrirons avant la fin du roman à quoi il doit son surnom, quand nous le verrons tenter de mettre en équation le principe de réalité afin d'en obtenir une approche qui ne soit contingente de rien, ni lieu, ni temps, ni situation personnelle, etc. 

C'est donc tout naturellement que les deux hommes en viennent à parler de cette fête qu'ils ont tous deux manquée mais dont ils ont tous deux reçu des récits qu'ils confrontent et complètent mutuellement se créant ainsi une connaissance de cet événement qui fera bientôt partie de leurs souvenirs à un titre égal (on le verra) à celui de ceux qui y ont vraiment assisté, ainsi que d'autres évènements, encore antérieurs qui y avaient été évoqués. Ce roman est pour Juan José Saer, l'occasion d'une longue, profonde et très intéressante réflexion sur les souvenirs, leur conservation, leur déformation involontaire, leur transmission à autrui, leur évolution dans le temps etc. D'autant que, tout comme des pensées des personnages nous auront permis de découvrir leur passé, d'autres nous permettront de découvrir l'avenir, où cette promenade le long du boulevard sera elle-même un lointain souvenir, où nous apprendrons ce que sont devenus beaucoup des personnages rencontrés ou évoqués (et de nombreux destins ont été tragiques, dictature pas loin non plus). 

C'est un roman superbe, fouillé, à la construction minutieuse et parfaite et à la réalisation impeccable. L'écriture est aussi efficace qu'elle est belle. On ne progresse pas vite, et de toute façon, on ne va nulle part, mais « le but est dans le chemin », c'est bien connu, et il est donc atteint ; et en beauté.

« Maintenant, depuis qu'ils se sont mis à parcourir ensemble la rue droite sur le trottoir à l'ombre, un nouveau lien, impalpable également, les apparente : les souvenirs faux d'un endroit qu'ils n'ont jamais vu, d'évènements auxquels ils n'ont jamais assisté et de personnes qu'ils n'ont jamais rencontrées, d'une journée de fin d'hiver qui n'est pas inscrite dans leur expérience mais qui émerge, intense, dans la mémoire, la tonnelle éclairée, la rencontre du Chat et de Bouton aux Beaux-Aers, Noca revenant de la rivière avec ses corbeilles de poissons, le cheval qui trébuche, Cohen qui remue les braises, Beatriz qui roule toujours une cigarette, la bière dorée avec un col d'écume blanche, Basso et Bouton bêchant au fond du jardin, ombres qui bougent confuses dans la tombée du jour et qu'ensuite la nuit engloutit. »


9782370552013



15 février 2022

Le Peintre du dimanche 

de David Zaoui

**+


Super facile et agréable à lire, ce roman nous raconte de façon plaisante une histoire charmante mettant en scène des personnages ne pouvant exister dans des situations également impossibles, le tout se situant dans un monde où "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Alors, si vous avez besoin de récréation, ou d'une petite lobotomie temporaire dans ce monde si complexe et frustrant qui est le nôtre, foncez ! Ça se lit très bien. Ça dégouline tout partout de bons sentiments bien sucrés, et même d'un peu de bondieuseries. Tout cela est tellement bienveillant ! Il y a un papa doux et aimant, une maman qui passe sa vie à faire des gâteaux que tout le monde mange à longueur de journée sans développer de diabète, une adorable grand-mère qui a Alzheimer, mais sans déranger du tout sa famille. Il y a même un animal mignon. Il s'agit d'un singe capucin. Ce singe peint et ses toiles sont très appréciées, mais attention ! Ne vous attendez pas à une critique acerbe de l'art abstrait qui serait une fumisterie. Pas du tout. Ce n'est pas le genre de livre où l'on critique ou revendique. D'ailleurs le héros aussi peint de l'abstrait. Il a juste moins de succès.

La quatrième de couverture cite Psychologie Magazine qui aurait dit "Ce livre est un bonbon qui pique" . J'ai bien trouvé le bonbon, mais pas le piquant. Je ne vois même pas où il était censé être... C'était plutôt de la guimauve. Pour ne pas être en reste, Franz-Olivier Giesbert aurait qualifié l'auteur d' "enfant de Philip Roth et de Woody Allen". !!! Je dois avouer que ce dernier argument avait déclenché mon désir de découvrir cet improbable hybride. A l'arrivée bien sûr, je pensais plutôt aux mécanismes de renvois d'ascenseurs littéraires qu'Enrique Serna décrit si bien dans "La peur des bêtes".

Voilà. Je ne trouve pas grand chose d'autre à dire de ce «gentil roman» choisi dans un rayonnage parce qu'il me fallait pour un jeu, lire un livre dont le titre évoquait l'art. Eh oui. Je sais que plusieurs étaient en train de se demander pourquoi, comment j'avais pu... eh bien, vous avez la réponse. ;-)

978-2253240679

10 février 2022

Avant la nuit  

de Reinaldo Arenas

****


Mémoires d'un oiseau de feu

Cet ouvrage de Reinaldo Arenas est son autobiographie qui remonte à ses tout premiers souvenirs (à 2-3 ans) et le suit jusqu'à son suicide qui met fin en 1990 à sa lutte perdue contre le Sida alors qu'il avait 47 ans. Il n'a pas été écrit mais dicté par l'auteur en fin de vie. Je n'ai aucune intention de vous en faire ici un résumé car je pense que, soit cela vous intéresse et vous préférerez le lire vous-même, soit il vous faut juste un renseignement biographique et vous n'aurez pas besoin de moi pour le trouver. Comme d'habitude, je vais plutôt vous faire part des réflexions qui me sont venues à cette lecture.

Tout d'abord, à peine avais-je lu trois pages, que je savais que ce livre ferai partie de ceux que je garde précieusement et non de ceux que je sème, et la raison en était en tout premier lieu que s'y donnaient à voir une sincérité, une humanité et un appétit de vivre tout à fait admirables. Quand je trouve ces trois qualités, je ne peux que m'incliner. Reinaldo Arenas est un homme bourré de qualités et tout autant de défauts. La mesure et l'objectivité n'en font pas partie. A plusieurs reprises, à la lecture du récit de ces nombreuses années, on pourrait le reprendre sur des inexactitudes, des oublis ou des interprétations, mais c'est un être de feu et de passions et ces êtres-là ne sont jamais des observateurs objectifs ou raisonnables. De toute façon, au fil de ces aventures débridées, on sent bien que le cas échéant, l'auteur n'hésiterait pas longtemps entre une bonne histoire et une histoire scrupuleusement exacte.

A la prise de pouvoir de Castro, Arenas, comme la plupart des Cubains, est heureux et plein d'espoir et dans un premier temps il se trouve bien du changement de régime qui permet à l'enfant pauvre qu'il est de faire des études. Mais dès cette époque cependant, il note que ces "études" comportent une part importante endoctrinement pur et simple. Le régime forme ses futurs missi dominici. Dans les premières années aussi, cette révolution est également une révolution des mœurs et l'avènement d'une totale liberté. R. Arenas, qui s'est découvert homo et nanti d'un énorme appétit sexuel, en profite autant qu'on le peut alors et, parallèlement commence à écrire. Comme il le dit lui-même, pour lui écriture et sexualité vont de pair, quand tout va bien, les deux élans emportent tout et remplissent sa vie. Mais bientôt, le castrisme comme toutes les dictatures entend régenter aussi la vie privée des gens et, se basant sur le schéma familial classique, s'en prend en premier lieu aux homosexuels. C'en est fini de la jouissance sans entraves, l'heure est venue de la dissimulation, du danger, de l'exclusion et de la répression violente. Les écrits d'Arenas ne plaisent pas non plus. Il a obtenu des Prix pour ses deux premiers romans mais n'a pas pu les faire publier à Cuba. Ensuite, les ayant "passés" à l'étranger et étant parvenu à les faire éditer en France, il est considéré comme un ennemi potentiel du régime. Toute perspective de carrière lui est bouchée. Encore une fois: les deux élans vont de pair.

Reinaldo Arenas parle abondamment de ses collègues écrivains cubains (surtout les homosexuels il est vrai, mais ils semblent nombreux). Cela est très instructif pour le lecteur qui s'intéresse à la littérature cubaine. Il cite les noms sans retenue et raconte toutes leurs petites histoires, les magouilles peu glorieuses, leurs actes de bravoure et d'honneur aussi, et les défaites face au pouvoir comme Heberto Padilla qui après un séjour dans les locaux de la Sécurité revient au monde à un poste important avec une autocritique ravageuse et avant la production d'écrits dont selon Arenas il ne peut plus que rougir. Arenas les critique vertement et tout autant, leur pardonne tout car il sait la faiblesse humaine.

"Ce fut le début de la paramétrisation, c'est à dire que tout écrivain, tout artiste, tout dramaturge homosexuel, recevait un télégramme l'informant qu'il ne réunissait pas les paramètres politiques et moraux pour occuper son poste; par conséquent on le privait d'emploi, ou bien on lui en offrait un autre dans un camp de travaux forcés"

Castro a besoin de main d’œuvre agricole. Arenas ira travailler aux champs comme des milliers d'étudiants et d'intellectuels. Il perdra aussi son emploi à la bibliothèque. Il perdra son logement, il finira même en prison, luttant toujours, avec souvent ces poussées irrationnelles qui le caractérisent. Et quand il finira par réussir à quitter l'île, ce sera pour se heurter à une autre puissance, celle de l'argent, qui ne fait pas de cadeaux non plus. Aux Etats-Unis, il conclura:

"La différence entre le système communiste et  le système capitaliste? Tous les deux nous donnent des coups de pied au cul, mais dans  le système communiste tu dois applaudir, tandis que dans le capitaliste tu peux gueuler; je suis venu ici pour gueuler."

Si la courte vie de Reinaldo Arenas a dû être assez difficile à vivre, elle est par contre passionnante à lire. Il a mené son existence avec beaucoup de courage et d'inconscience, de vigueur et de fragilité, mélange scabreux et tonique d'honneur, de franche rigolade et d'histoires de cul. C'est tellement humain! A lire, vraiment.


PS :  Ce récit autobiographique fut porté à l'écran par le cinéaste Julian Schnabel. N'ayant pas vu le film, je ne saurais vous en dire plus.

9782742730964



05 février 2022

Les Jardins statuaires 

de Jacques Abeille 

*****


En hommage à Jacques Abeille qui vient de mourir.

Je classe ce livre dans les romans de fantasy compte tenu de son sujet, mais rien dans son écriture ne se rattache à ce genre. Contrairement aux règles habituelles du genre, nous avons une écriture d'une très grande qualité littéraire, une portée poétique remarquable et un vocabulaire d'une infinie richesse. Nous avons également un rythme lent, réfléchi, pesé, qui n'est pas celui que l'on trouve généralement dans ces récits plus attachés à tenir le lecteur en haleine de rebondissement en course effrénée. Ici, Jacques Abeille tient son lecteur «en réflexion» plutôt qu'en haleine, mais il le tient aussi bien et je n'ai jamais été tentée de le lâcher.

L'œuvre de Jacques Abeille s'impose sans que quiconque songe à le contester, comme hors norme et chacun semble avoir l'intelligence de l'accepter pour telle.

Examinons donc ce que nous avons là: Un gros livre de presque 500 pages, à la calligraphie soignée et à la couverture splendide. Et un récit que je qualifierais de «méditatif»: Un voyageur arrive dans un pays totalement inconnu. Il s'installe dans une auberge et un client lui propose de lui faire visiter un des domaines clos dont est constitué ce pays. Ce voyageur est le narrateur, c'est par ses yeux que nous découvrirons ce monde et son histoire. Il découvre lors de sa visite que dans ces domaines poussent des statues et que le travail des hommes (les jardiniers) consiste à les «cultiver», en faire le commerce, les gérer et que c'est là tâche grave et qui ne s'accomplit point à la légère. En fait, toute vie dans ce pays des jardins statuaires est ritualisée, par les livres, par les récits, par les chants, par les règles inviolables qui s'imposent à tous. 

Le voyageur est tellement impressionné par ce qu'il découvre qu'il entreprend de relever par écrit tout ce qui constitue ce monde et au bout d'un moment... « Il s'est passé quelque chose d'assez inattendu. J'ai eu l'imprudence de faire part de mon projet à quelques personnes, de qui j'espérais des renseignements, et même des encouragements. Et, en effet, j'ai obtenu ce que je croyais souhaiter, mais très vite, on est allé au-delà de mon attente. Des contradictions ont surgi dans le monde dont je voulais tracer le chiffre.»(273) Il lui faut donc enquêter plus avant alors que dans le même temps grandit son renom et le respect dont tous entourent son travail. 

C'est que dans ce monde des Jardins, l'écrit est rare et sacralisé. «La plupart des jardiniers, en effet, quand ils ont un moment de loisir, le passent à la bibliothèque. Ils lisent, ils méditent et, à l'occasion, ajoutent quelques notes à la masse du texte.» (63)

Et ce travail de décrire ce monde qu'entreprend le voyageur, lui donne bien sûr obligation de le visiter dans tous ses recoins -et nous avec lui- ce qui, au bout d'un moment, ne peut se faire sans qu'il en fasse un peu partie, même dans un rôle latéral -nous pas-. 

Ce que je pourrais dire de plus juste sur ce livre, c'est qu'il est vraiment beau. Tant par le fond que par la forme. Beau et intelligent. Une visite d'un pays imaginaire qui nous amène à envisager des possibilités, des images, des vies autres. Le plus passionnant étant que l'analyse et l'imagination de J. Abeille se portent tout particulièrement sur les liens sociétaux et les préoccupations intellectuelles de ce monde étrange.

Ce roman fait partie d'un «Cycle des contrées» dont la première publication remonte à 1982 et qui est constitué de 9 gros livres. Mais celui-ci est une histoire intégrale en lui-même et n'oblige pas à lire la suite. Ne nions pas que si on n'y est pas obligé, on en est néanmoins tenté. Ne serait-de que pour retrouver la belle écriture de J. Abeille dont je vous donne tout de suite un aperçu:

«Je m'assis en dehors du cercle du bûcher, aussi près que possible du gouffre, et me mis à filtrer le temps. Que faire d'autre, une fois encore, sinon remettre au creuset la masse du passé pour l'exposer de nouveau au feu de l'imagination. Un à un, au fil de la songerie, glissaient les souvenirs comme des perles à l'orient incertain. Leur succession restait énigmatique, d'une raison qui n'était pas en moi assis immobile au rebord du monde. Et j'avais beau ressasser cette mixture d'émotions, je ne trouvais plus le moindre projet au fond de mon crible.» (447)


Le Cycle des Contrées :

     • Les Jardins statuaires

    • Le Veilleur du Jour

    • La clef des ambres 

    • Un homme plein de misère : Les Barbaries + La Barbarie

    • Les Voyages du Fils

    • Chroniques scandaleuses de Terrèbre, signées Léo Barthe

    • La Grande Danse de la réconciliation, dessins de Gérard Puel

    • Les Mers perdues, dessins de François Schuiten

    • La Vie de l'explorateur perdu 

      


Citations :

Retour

" Je n'ai jamais aimé à revenir sur mes pas, encore moins renouer avec ceux de qui je me suis une fois séparé. Lorsque le charme est tombé, on ne peut trouver que déconvenue dans ces retours incertains. »


Vérité

"J'ai déjà laissé entendre que rien de ce que l'on peut dire n'est tout à fait juste, soupira finalement le plus vieux, mais on peut toujours essayer d'approcher."


Alcool

"Oui, ça vous étonne, je ne bois plus. Ça aussi, ça a fini par cesser, à force de vous voir vivre ici. Et c'est pénible. Ce n'est pas vraiment l'alcool qui me manque, ce qui me manque c'est le sillon dans lequel j'étais jusqu'à maintenant. J'ai peine à supporter cette exaltation qui me prend, cette sorte d'espoir qui s'est mis à survoler l'ennui de vivre. Et je ne peux pas plus me remettre à boire que je ne pouvais m'en empêcher il y a seulement quelques jours. Ça s'est arrêté brusquement quand j'ai installé votre bureau. »


Ecriture 

"Les mots étaient là, s'appelant les uns les autres, glissant à pleines phrases dans un espace mental d'une absolue vacuité. Cela dépendait si peu de moi que je comptais me soumettre sans délai à cette pure dictée. »

« Je voulus me mettre à la tâche et ne parvins à rien. L'ordre de mes idées, quelque soin que j'en prisse, ne cessait de se défaire. Les mots se retiraient, aucun souvenir ne consentait à me guider la main. Et je finis par douter tout de bon, devant tant de difficultés, du bien-fondé de mon projet."




31 janvier 2022

 La peur des bêtes 

d' Enrique Serna

***+


Nous avons ici un roman policier dans lequel Enrique Serna a voulu épingler la totale corruption de la police et du système judiciaire ainsi que du monde littéraire mexicain. Il a par ailleurs tenu à le faire sur un mode humoristique, voire comique, volontiers gras, qui nous vaut de nombreuses scènes franchement débridées, quantité de gueules de bois, sang, vomissures, bouges, caniveaux et morts violentes et stupides. Je vous présente l'affaire:

Evaristo Reyes se considère lui-même comme un futur écrivain et actuel journaliste enquêtant pour constituer un dossier à charge contre les abus de la police corrompue, mais cela, il ne l'est que dans sa tête. Objectivement, il est flic à la police judiciaire mexicaine et directement sous les ordres du très dangereux Commissaire Maytorena, pilier central de la dite corruption. S'il a pour l'instant réussi à ne pas avoir directement de sang sur les mains, il n'en a pas moins couvert bon nombre des exactions de son patron sans faire avancer d'un poil sa prétendue enquête. Lui-même, s'enfonçant chaque jour d'avantage dans les compromissions, commence à soupçonner que ce n'est plus que le paravent factice d'un pourri comme les autres qui profite des crimes. De plus, Maytorena lui fait peur (à juste titre), il n'est pas prêt d’oser lui jouer un sale tour. Ce qui va faire bouger les choses, c'est qu'Evaristo, soupçonné d'un crime que le Commissaire ne peut couvrir, va devoir l'affronter pour tenter de sauver sa peau et tenter de trouver le vrai coupable. Il s'y prend plutôt maladroitement, dans un état de lucidité amoindrie par la panique, l'alcoolémie et un rut quasi permanents. Le crime dont il est accusé est celui de Roberto Lima, écrivain revendicatif, ce qui l'amènera a reprendre son costume de journaliste et à s'enfoncer bien plus avant qu'il n'était jamais allé dans le microcosme littéraire qu'il découvrira presque aussi pourri et dangereux que celui du commissariat et qui lui fera perdre ses dernières illusions.

 Pour tout dire, je n'ai pas été emballée par ce polar. J'y ai souvent trouvé le temps long... Dénoncer la torture et les assassinats policiers sur un mode humoristique, est un pari difficile, qui ne fonctionne pas trop bien avec moi semble-t-il.

Notre Evaristo mène l'enquête n'importe comment et sa progression doit peu à sa capacité de déduction. Il est plutôt comme une boule de flipper rebondissant d'un choc à l'autre. L’intérêt revient dans les vingt dernières pages avec, pour ma part, la petite satisfaction vaniteuse d'avoir trouvé depuis longtemps qui avait fait le coup. Et l'écriture est belle malgré le choix d'un lyrisme échevelé qui flirte parfois avec le ridicule.

C'est macho, c'est sexiste et homophobe. Comme ça, la messe est dite, amateurs de politiquement correct, reposez ce livre !

Il paraît que les collègues écrivains de Serna ont peu apprécié sa peinture du monde littéraire, on comprend bien pourquoi. C'est un vrai massacre. On a évidemment les mêmes choses en France et partout, mais d'une façon plus discrète et plus policée. Il n'est néanmoins pas mauvais de ne pas l'oublier. 

"Il fut particulièrement intéressé par Les illusions perdues de Balzac, où il trouva des points communs avec son roman. Le personnage principal, le jeune poète Lucien de Rubempré, partait à Paris avec l'illusion de faire une carrière littéraire sans trahir ses idéaux, mais en se mêlant au petit monde littéraire de l'époque, un tas de fumier où aucun critique ne disait ce qu'il pensait et où des magouilles mafieuses décidaient du succès ou de l'échec d'un livre, il finissait par devenir un pharisien, vendant sa dignité aux clans d'écrivaillons qui détenaient le pouvoir littéraire."

9782752901958


26 janvier 2022

 Anéantir  

de Michel Houellebecq

****


Pas le meilleur Houellebecq, mais un roman qui se lit bien, même si le démarrage façon thriller fait un flop. J'attendais beaucoup de cette incroyable organisation terroriste qui réalisait avec une efficacité extraordinaire des attentats inédits et inimaginables. Comment notre Michou allait-il bien pouvoir nous expliquer tout ça ??? Eh bien, il n'a pas pu, et après avoir un peu glissé sur une pente Dan Brownienne et pataugé dans un marais sataniste où je commençais à craindre l'arrivée des Illuminati d'un moment à l'autre, il fait un flop tel qu'on ne réalise même pas quand l'affaire est considérée comme terminée... Mais bon, ça a eu le mérite de mettre un peu de tension dans ce roman, de surprendre et de soutenir l’intérêt du lecteur friand d'histoires étonnantes, comme moi.

En dehors de cela, je n'ai pas non plus trouvé Houellebecq au plus brillant de sa forme de témoin, voire d'analyste du monde actuel. On l'a connu plus lucide et même acéré. Sa déification de Bruno Le Maire surprend, et laisse dubitatif. On avait évoqué une peinture des Ehpad dont j'espérais qu'elle serait plus fouillée, plus développée et plus précise. Et que l'auteur aurait vraiment mis le projecteur sur un vrai problème de notre époque. En fait, elle se réduit à peu de choses. Il est clair que les personnages ne sont pas vraiment concernés. Ils trouveront toujours un moyen de ne pas être le grabataire maltraité qui achève son existence dans son lit souillé. En fait ce n'est pas Houellebecq, mais "Les fossoyeurs" de Victor Castanet, paru 3 semaines après qui a fait le boulot. Pour ce qui est de l'analyse politique : les activistes d’extrême droite, sont de braves gars bien disciplinés bien que capables de violence, par contre les écolos sont de « dangereux imbéciles », l'économie française n'a jamais été aussi brillante, on ne croit en rien mais on ne boude ni une messe ni quelques cierges dans les périodes difficiles, les femmes font de bonnes infirmières, la syndicaliste qui exige que les maigres moyens de l'Ehpad soient équitablement répartis entre tous les résidents est une salope. D'ailleurs, les syndicalistes sont tous des vendus, ce dont on voit le narrateur se réjouir car « le quinquennat s'était déroulé dans une ambiance de paix sociale inédite, le nombre de jours de grève n'avait jamais été aussi bas depuis le début de la V° République, alors que pourtant les effectifs de la fonction publique baissaient lentement mais inexorablement au point que certains territoires ruraux, du point de vue services publics et couverture médicale, étaient à peu près tombés au niveau d'un pays africain. » Tout ça grâce à notre « meilleur ministre des finances depuis Colbert ». Mais pas de panique, ce sera en 2027.

 On s'égare aussi parfois dans des considérations brumeuses (par exemple trois pages sur des « expériences de mort imminente » avec lumière bleue au bout d'un tunnel etc.), il présente sa simple opinion comme un fait objectif en des jugements de valeurs catégoriques mais non argumentés, ou de fortes pensées qui seraient sans doute profondes si elles ne flirtaient pas si fort avec les lapalissades : « Ce moment s'était produit, il aurait pu ne pas le faire. Des moments ont lieu ou n'ont pas lieu, la vie des personnes s'en trouve modifiée et parfois détruite, et que peut-on en dire ? Que peut-on y faire ? De toute évidence, rien » (703) On se croirait à un coin de comptoir ou au marché.

 Ceci dit, il reste un livre qui sait capter l'attention de son lecteur sur plus de 700 pages. C'est plaisant à lire. Il n'y a pas une vraisemblance extraordinaire (et même pas du tout en ce qui concerne les attentats) mais le tout est assez vivant. Il y a du rythme, plusieurs histoires d'amour, les personnages peuvent intéresser et on se croirait presque parfois dans les coulisses du pouvoir même si bien sûr, ce qui est montré n'est encore que ce qu'on veut bien nous laisser voir et croire. Le thème de la fin de vie court tout au long du roman et pousse chacun à y réfléchir. Par contre, la douleur est minorée, voire ignorée (un personnage a la mâchoire mangée par une tumeur sans que cela semble insupportable) et l'euthanasie n'est vue que comme une façon de se débarrasser des vieux trop encombrants, mais on peut espérer que le lecteur lui, sera capable de l'envisager aussi comme un droit à faire cesser une ultime torture trop effroyable.


PS: Bruno nous récite quand même son petit Corneille avec deux erreurs en deux vers, ça fait tache.

"Rome, unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui ton bras vient d'immoler mon amant !"

au lieu de...  demandez à votre mémoire (ou à Google si elle vous fait défaut)

978-2080271532

20 janvier 2022

Le canapé rouge

 de Michèle Lesbre

****

Une belle écriture pour ce récit intimiste d'un long voyage à travers la Russie jusqu'au bord du lac Baïkal. La narratrice a pris le transsibérien, mais pas dans les compartiments de luxe, non, ils sont plusieurs dans son compartiment. Elle côtoie plus ou moins les autres voyageurs, autochtones ceux-là, les observe, leur parle, car elle parle  suffisamment russe pour des échanges simples. Elle nous montre ce wagon où elle est, évoque Irkoutsk où elle va et Paris qu'elle a quitté.

Irkoutsk, c'est Gyl, un ancien amour, perdu de vue depuis longtemps et qui ne lui écrit même plus. L'idée lui est venue soudain d'aller le retrouver pour voir ce qu'il était devenu – et peut-être, renouer ?- mais elle n'y croit pas vraiment elle-même. Disons que c'est son but parce qu'il en faut bien un pour se lancer dans un voyage pareil. Mais c'est bien connu, le but, c'est le voyage.

Paris, c'est Clémence, sa vieille voisine qui termine doucement sa vie assise sur son canapé rouge, en évoquant son passé et son amour perdu (elle aussi), mais ce qu'elle perd surtout, tout doucement, ce sont ses facultés mentales. Entre la narratrice qui lui fait la lecture et elle, se sont tissés des liens affectueux.

140 pages d'un récit tendre et mélancolique qui vaut surtout pour sa très belle écriture et pour l'évocation d'une façon d'être marquée par la douceur et par la recherche constante de contacts humains. Beaucoup de références culturelles. Récit un peu intemporel, écrit il y a quinze ans (en pleine vague de récits de voyages par le transsibérien) mais qui n'a pas mal vieilli.


 « Pendant ces heures un peu lentes, un peu lascives, trimballée dans ce paysage qui n'en finissait pas de s'étirer sous mes yeux, je me découvrais une aptitude à la vie contemplative que je ne soupçonnais pas. Face à la précipitation moderne et à l'esprit de système, cela m'apparaissait comme un excellent antidote. J'allais sans doute rentrer plus sereine, avec un brin de scepticisme et encore moins de certitudes. »

‎ 978-2070355976

15 janvier 2022

 Le Voyant d'Étampes 

d' Abel Quentin

*****


Prix de Flore 2021

J'ignorais tout d'Abel Quentin et je suis tombée un peu par hasard sur ce roman qui est son deuxième. J'ai été tellement emballée que je viens d'acheter son premier « Sœur » et que le jour où il nous en proposera un troisième, je me précipiterai. Ce voyant d'Etampes a été couronné du Prix de Flore et c'est on ne peut plus mérité. Toutes mes félicitations à l'auteur pour ce roman brillant et si intelligent.

 Jean Roscoff est un universitaire retraité depuis peu. Divorcé, sa vie sentimentale est au point mort, ses relations avec sa fille sont compliquées malgré leur affection réciproque et sa vie professionnelle n'a pas été aussi brillante qu'il l'avait espéré. Somme toute, son apogée fut le concert de SOS Racisme en 1995 dont il fut un des organisateurs. 

Roscoff est alcoolique, il l'admet, mais ne pense pas pouvoir se corriger. Facilement méprisant, Roscoff n'est pas sympathique. Roscoff est un Bobo, là encore, pas aussi riche qu'il l'aurait voulu, mais c'est, estime-t-il, qu'il a joué de malchance avec son premier livre, et n'a jamais produit le second. Il va d'ailleurs décider de le faire, maintenant que la retraite lui donne du temps libre. Ce second livre fera découvrir au public un poète noir américain qui vint à Paris à l'âge d'or de Saint Germain des prés, y retrouva son compatriote Richard Wright (avec lequel il a beaucoup de points communs), fréquenta Sartre, Camus et Vian, avant de se retirer à Etampes où il ne vit plus personne et se consacra à sa poésie avant de mourir exactement de la même façon que Camus.

 Roscoff espère beaucoup de cette biographie qu'il n’hésite pas à transformer en interprétation et dans laquelle il s'implique. Il espère qu'elle le fera enfin connaître autant qu'elle fera découvrir au grand public ce poète méconnu, et en effet, c'est ce qui se passera, mais sans qu'il en soit particulièrement satisfait.

Et c'est à ce moment que le roman devient génial. Roscoff va involontairement déchaîner contre lui toutes les forces de la bien-pensance du Net. Tout ce qui se fait de woke va s'intéresser à son cas puis se jeter sur lui et tenter de le détruire par tous les moyens possibles (et pas seulement virtuels). Plus il tentera de se justifier, plus les attaques se préciseront et seront féroces. Au début, il ne réalise pas la virulence et le sérieux de l'attaque, mais il va bientôt découvrir à quel point elle est globale.

Abel Quentin a su observer, décrire et analyser un phénomène qui sévit actuellement. J'ai admiré comme il avait bien vu les procédés et comme il nous a pris, en même temps que Roscof dans une spirale dont on a au début, l'impression qu'on peut se sortir, mais dont on découvre bientôt qu'il n'en est rien. Quand on guette tout ce que vous dites dans le seul but d'en tirer les mots que l'on pourrait vous reprocher, on trouve toujours quelque chose. Plus vous vous expliquerez, plus vous vous enfoncerez. "Tout était vrai et faux. Je lisais un procès-verbal falsifié. Tronqué selon un dessein précis. Malhonnête. C'est malhonnête." 

Au début, le lecteur en veut à Roscoff qu'il trouve en effet maladroit si ce n'est effectivement coupable, même involontairement. Puis il réalise que de toute façon, il ne pouvait s'en tirer. Abel Quentin montre parfaitement bien ce phénomène létal. Il a produit là un roman admirable, très intelligent et très cultivé. Les références culturelles sont nombreuses, même si celle à laquelle on ne cesse de penser ne sera jamais évoquée : l'horrible polémique J. K. Rowling.

On ne peut plus d'actualité, une lecture et une réflexion, à mon avis, indispensables en ces années 2020 et quelques...

979-1032909294

10 janvier 2022

 Mrs Palfrey, Hôtel Claremont 

d' Elizabeth Taylor

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Non, il ne s'agit pas de la Elizabeth Taylor qui a passé sa vie à se battre avec Richard Burton, il s'agit d'une autre Elizabeth Taylor, née vingt ans plus tôt et qui a passé la sienne à écrire.

Ceci est ma première lecture de cette auteure dont j'ignorais tout, lecture due à sa découverte dans une boîte à livres que je fréquente régulièrement. Pourquoi l'ai-je pris ? Parce que cela se passait dans un hôtel et ceux qui me connaissent savent que je ne peux pas résister à un roman localisé dans un hôtel ou autre pension de famille. Je m'attendais plus ou moins à lire une douce bluette surannée et un peu niaise mais ce n'était pas grave, le roman dépassait à peine ses deux cents pages et il faut bien se détendre parfois. Mais j'avais tort. Rien de niais ni de superficiel dans ce récit qui avait pourtant tout pour être convenu.

Nous sommes au début du vingtième siècle et, en Angleterre du moins -j'ai l'impression que nous n'avons pas eu l'équivalent en France, mais je me trompe peut-être-, les personnes âgées solitaires qui en ont les moyens mais ne peuvent plus entretenir une maison, vont vivre à l'hôtel ou dans des pensions en attendant que leur décrépitude les envoie dans des maisons de retraite ou des mouroirs. A l'heure actuelle, les différentes aides à domicile puis « résidences seniors » ont remplacé l'hôtel, mais ça se termine pareil évidemment. Nous assistons donc à l'arrivée à l'Hôtel Claremont, de Mrs Palfrey, récemment veuve et ne pouvant vivre chez sa fille. Elle y découvre aussitôt les autres locataires permanents, aussi seuls et âgés qu'elle et les interactions de ce microcosme. Nous allons suivre son adaptation à sa nouvelle vie et les rencontres somme toute nombreuses qu'elle fera, parachutée qu'elle est dans un nouvel univers avec ce so british souci de ne jamais paraître ni faible, ni déstabilisée.

Ce qui charme, c'est quand même l'originalité des rebondissements dans ce canevas qui avait tout pour être banal et surtout, la finesse de l'observation et de la description. Et il y a aussi toujours une légère touche d'humour, un recul amusé et tendre. Aucun manichéisme. Personne n'est blanc, personne n'est noir. Tous montrent de vraies natures, des passés, des rêves, des peurs, des espoirs s'amenuisant, des raisons, des mobiles, des philosophies etc. Mieux , ils sont tous vus avec autant d'indulgence que de lucidité, ce qui n'est pas facile, aussi bien dans la vie que dans les romans. C'est vraiment remarquable. Par ailleurs on est loin du monde d'Amélie Poulain ou de tout univers dans lequel tout le monde serait beau et tout le monde serait gentil. On est dans la réalité, brutale et indifférente, qui attend que les vieux meurent, sans faire trop d'histoires ni de dérangement. C'est une excellente peinture et une vraie réflexion sur l'âge et la solitude.

Je me laisserai sûrement encore tenter par le charme vieillot et la saveur douce-amère des romans de Mrs Taylor.


« Elle se rendit compte qu'il ne lui arrivait plus jamais, à présent, de marcher sans y penser ; elle devait même se concentrer ; naguère, marcher était semblable à respirer, une chose à laquelle on ne prêtait aucune attention. »


9782869304451

05 janvier 2022

La guerre des mondes

de H. G. Wells

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Passionnant ! 

Et comme ce roman a bien vieilli ! Sauf si vous êtes allergique à l'écriture classique vous allez passer un excellent moment avec cette "Guerre des Mondes" que tout le monde croit connaître, mais que peu ont vraiment lu. Eh bien, vous avez tort. Même si vous pensez connaître l'histoire (c'était mon cas) , cela vaut vraiment la peine d'être lu, et, comme le souligne J. Altairac dans son ouvrage "Il semble bien qu'avant Wells, il n’existe qu'un seul texte décrivant l'invasion de la terre par des extraterrestres . (...) Et revoilà Wells dans le rôle de créateur de thèmes de science-fiction. L'invasion extraterrestre va devenir, comme le voyage dans le temps, un des motifs les plus exploités du genre."

Et à propos, pourquoi "Martiens" et non "Marsiens", puisqu'ils viennent de Mars ? Eh bien, je vous le dirai vers la fin de ce commentaire, vous aurez au moins appris quelque chose.

Revenons à notre histoire. Nous sommes à Londres et sa proche banlieue, à la toute fin du 19ème siècle. Les Martiens, donc, débarquent près de Londres, dans des fusées (pas de soucoupe) qui atterrissent au rythme de une par jour. Les Anglais, déjà amplement persuadés de leur supériorité sur le reste du monde, ne doutent pas non plus beaucoup de l'élargir à cette nouvelle engeance. Pour l'instant, on observe, sans que cela déclenche un grand émoi dans la capitale toute proche et en répétant abondamment que la gravité bien plus forte sur Terre que sur Mars, les condamnera à une pénible et lente reptation...

 Et ce n'est pas faux, sauf que les Martiens n'ont jamais eu l'intention de se déplacer sur Terre, ils ont des machines, pour s'occuper de cela. Machines qui correspondent bien à ce qui est dessiné sur la couverture de l'édition Folio montrée ici. Après un temps de récupération, les machines se mettent en marche pour vaquer à leurs affaires. Les Terriens s'interposent, les Martiens les écrasent. On envoie l'armée, les canons, de plus en plus gros, d’autant que c'est vers Londres qu'ils vont. Il n'y a même pas vraiment de bataille, les envahisseurs s'en débarrassent comme nous nous débarrasserions  d'insectes envahissants... et poursuivent sans y prêter plus d'attention. Les populations fuient dans la plus grande pagaille. Le pays tout entier cesse bien vite de fonctionner. Pour tout arranger, on ne tarde pas à s'apercevoir que les Martiens se nourrissent du sang des humains, et les fusées continuent d'arriver : une par jour...

Le récit nous en est fait par un narrateur (ressemblant énormément à Wells lui-même) qui se trouvait non loin du lieu de la chute de la première fusée et qui, d'une curiosité insatiable, tient beaucoup à observer tout ce qui se passe. A un moment, son récit est complété par celui de son frère qui se trouvait à Londres même.

Par ailleurs, "Il est à mon avis absolument admissible que les Martiens puissent descendre d'êtres assez semblables à nous"... mais qui seraient beaucoup plus avancés dans l'évolution et auraient atteint un niveau qui nous réduit en comparaison, au rang d'animaux. A ce propos, Wells esquisse une prise de conscience de la réalité animale et de la nécessité qu'il y aurait à respecter en eux l'être vivant, au stade d'évolution où il est, même s'il est bien inférieur au nôtre. C'est assez avancé pour l'époque. "A coup sur, si nous ne retenons rien d'autre de cette guerre, elle nous aura cependant appris la pitié, la pitié pour ces âmes dépourvues de raison qui subissent notre domination."

En cours de route, nous verrons exposée par un autre personnage, une philosophie élitiste, eugéniste et dictatoriale dont on voit à son développement que, sur ces bases qui peuvent paraître défendables, ne peut s'installer qu'une épouvantable dictature stérile. Par ailleurs, un développement nous fera la surprise de rejoindre une idée développée dans "La machine à explorer le temps", nous aidant à mieux la comprendre.

Et alors, les Martiens ont-il gagné ? Eh bien, regardez autour de vous, vous aurez la réponse. Mais alors comment ??? Pour le savoir, il vous faudra le lire. N'hésitez pas.

En fin de roman, le narrateur tire la morale de la terrible leçon que les Terriens viennent de recevoir, elle tient en deux règles :

Ne pas se prendre pour les rois de l'univers, quelque chose d'inconnu peut tomber du ciel à tout instant et nous anéantir.

Inversement, puisqu’ils peuvent venir chez nos, nous pourrons aussi bientôt aller sur d'autres planètes et il faut y réfléchir.

J'adore Wells.

Néanmoins, je ne peux résister à vous présenter la terrible cuisine anglaise (surtout à l'époque) "Nous réparâmes nos forces en absorbant le contenu d'une boite de tête de veau à la tortue et une bouteille de vin." Ça fait envie.

Hum, et donc, nos marTiens... Le nom de la planète Mars vient du latin (Mars, Martem, Martis, Marti, Marte). L'adjectif martial par exemple a la même racine. Il semble que les deux écritures (martien et marsien) aient coexisté un moment en français. Mais c'est "martien" qui s'est imposé.


978-2070308552 



03 janvier 2022

 J'ai essayé de faire un bilan lectures de l'année, 

mais ça m'a tout de suite profondément ennuyée

Alors je vais plutôt lire les vôtres

Bonne année !