10 janvier 2022

 Mrs Palfrey, Hôtel Claremont 

d' Elizabeth Taylor

****

Non, il ne s'agit pas de la Elizabeth Taylor qui a passé sa vie à se battre avec Richard Burton, il s'agit d'une autre Elizabeth Taylor, née vingt ans plus tôt et qui a passé la sienne à écrire.

Ceci est ma première lecture de cette auteure dont j'ignorais tout, lecture due à sa découverte dans une boîte à livres que je fréquente régulièrement. Pourquoi l'ai-je pris ? Parce que cela se passait dans un hôtel et ceux qui me connaissent savent que je ne peux pas résister à un roman localisé dans un hôtel ou autre pension de famille. Je m'attendais plus ou moins à lire une douce bluette surannée et un peu niaise mais ce n'était pas grave, le roman dépassait à peine ses deux cents pages et il faut bien se détendre parfois. Mais j'avais tort. Rien de niais ni de superficiel dans ce récit qui avait pourtant tout pour être convenu.

Nous sommes au début du vingtième siècle et, en Angleterre du moins -j'ai l'impression que nous n'avons pas eu l'équivalent en France, mais je me trompe peut-être-, les personnes âgées solitaires qui en ont les moyens mais ne peuvent plus entretenir une maison, vont vivre à l'hôtel ou dans des pensions en attendant que leur décrépitude les envoie dans des maisons de retraite ou des mouroirs. A l'heure actuelle, les différentes aides à domicile puis « résidences seniors » ont remplacé l'hôtel, mais ça se termine pareil évidemment. Nous assistons donc à l'arrivée à l'Hôtel Claremont, de Mrs Palfrey, récemment veuve et ne pouvant vivre chez sa fille. Elle y découvre aussitôt les autres locataires permanents, aussi seuls et âgés qu'elle et les interactions de ce microcosme. Nous allons suivre son adaptation à sa nouvelle vie et les rencontres somme toute nombreuses qu'elle fera, parachutée qu'elle est dans un nouvel univers avec ce so british souci de ne jamais paraître ni faible, ni déstabilisée.

Ce qui charme, c'est quand même l'originalité des rebondissements dans ce canevas qui avait tout pour être banal et surtout, la finesse de l'observation et de la description. Et il y a aussi toujours une légère touche d'humour, un recul amusé et tendre. Aucun manichéisme. Personne n'est blanc, personne n'est noir. Tous montrent de vraies natures, des passés, des rêves, des peurs, des espoirs s'amenuisant, des raisons, des mobiles, des philosophies etc. Mieux , ils sont tous vus avec autant d'indulgence que de lucidité, ce qui n'est pas facile, aussi bien dans la vie que dans les romans. C'est vraiment remarquable. Par ailleurs on est loin du monde d'Amélie Poulain ou de tout univers dans lequel tout le monde serait beau et tout le monde serait gentil. On est dans la réalité, brutale et indifférente, qui attend que les vieux meurent, sans faire trop d'histoires ni de dérangement. C'est une excellente peinture et une vraie réflexion sur l'âge et la solitude.

Je me laisserai sûrement encore tenter par le charme vieillot et la saveur douce-amère des romans de Mrs Taylor.


« Elle se rendit compte qu'il ne lui arrivait plus jamais, à présent, de marcher sans y penser ; elle devait même se concentrer ; naguère, marcher était semblable à respirer, une chose à laquelle on ne prêtait aucune attention. »


9782869304451

05 janvier 2022

La guerre des mondes

de H. G. Wells

*****

Passionnant ! 

Et comme ce roman a bien vieilli ! Sauf si vous êtes allergique à l'écriture classique vous allez passer un excellent moment avec cette "Guerre des Mondes" que tout le monde croit connaître, mais que peu ont vraiment lu. Eh bien, vous avez tort. Même si vous pensez connaître l'histoire (c'était mon cas) , cela vaut vraiment la peine d'être lu, et, comme le souligne J. Altairac dans son ouvrage "Il semble bien qu'avant Wells, il n’existe qu'un seul texte décrivant l'invasion de la terre par des extraterrestres . (...) Et revoilà Wells dans le rôle de créateur de thèmes de science-fiction. L'invasion extraterrestre va devenir, comme le voyage dans le temps, un des motifs les plus exploités du genre."

Et à propos, pourquoi "Martiens" et non "Marsiens", puisqu'ils viennent de Mars ? Eh bien, je vous le dirai vers la fin de ce commentaire, vous aurez au moins appris quelque chose.

Revenons à notre histoire. Nous sommes à Londres et sa proche banlieue, à la toute fin du 19ème siècle. Les Martiens, donc, débarquent près de Londres, dans des fusées (pas de soucoupe) qui atterrissent au rythme de une par jour. Les Anglais, déjà amplement persuadés de leur supériorité sur le reste du monde, ne doutent pas non plus beaucoup de l'élargir à cette nouvelle engeance. Pour l'instant, on observe, sans que cela déclenche un grand émoi dans la capitale toute proche et en répétant abondamment que la gravité bien plus forte sur Terre que sur Mars, les condamnera à une pénible et lente reptation...

 Et ce n'est pas faux, sauf que les Martiens n'ont jamais eu l'intention de se déplacer sur Terre, ils ont des machines, pour s'occuper de cela. Machines qui correspondent bien à ce qui est dessiné sur la couverture de l'édition Folio montrée ici. Après un temps de récupération, les machines se mettent en marche pour vaquer à leurs affaires. Les Terriens s'interposent, les Martiens les écrasent. On envoie l'armée, les canons, de plus en plus gros, d’autant que c'est vers Londres qu'ils vont. Il n'y a même pas vraiment de bataille, les envahisseurs s'en débarrassent comme nous nous débarrasserions  d'insectes envahissants... et poursuivent sans y prêter plus d'attention. Les populations fuient dans la plus grande pagaille. Le pays tout entier cesse bien vite de fonctionner. Pour tout arranger, on ne tarde pas à s'apercevoir que les Martiens se nourrissent du sang des humains, et les fusées continuent d'arriver : une par jour...

Le récit nous en est fait par un narrateur (ressemblant énormément à Wells lui-même) qui se trouvait non loin du lieu de la chute de la première fusée et qui, d'une curiosité insatiable, tient beaucoup à observer tout ce qui se passe. A un moment, son récit est complété par celui de son frère qui se trouvait à Londres même.

Par ailleurs, "Il est à mon avis absolument admissible que les Martiens puissent descendre d'êtres assez semblables à nous"... mais qui seraient beaucoup plus avancés dans l'évolution et auraient atteint un niveau qui nous réduit en comparaison, au rang d'animaux. A ce propos, Wells esquisse une prise de conscience de la réalité animale et de la nécessité qu'il y aurait à respecter en eux l'être vivant, au stade d'évolution où il est, même s'il est bien inférieur au nôtre. C'est assez avancé pour l'époque. "A coup sur, si nous ne retenons rien d'autre de cette guerre, elle nous aura cependant appris la pitié, la pitié pour ces âmes dépourvues de raison qui subissent notre domination."

En cours de route, nous verrons exposée par un autre personnage, une philosophie élitiste, eugéniste et dictatoriale dont on voit à son développement que, sur ces bases qui peuvent paraître défendables, ne peut s'installer qu'une épouvantable dictature stérile. Par ailleurs, un développement nous fera la surprise de rejoindre une idée développée dans "La machine à explorer le temps", nous aidant à mieux la comprendre.

Et alors, les Martiens ont-il gagné ? Eh bien, regardez autour de vous, vous aurez la réponse. Mais alors comment ??? Pour le savoir, il vous faudra le lire. N'hésitez pas.

En fin de roman, le narrateur tire la morale de la terrible leçon que les Terriens viennent de recevoir, elle tient en deux règles :

Ne pas se prendre pour les rois de l'univers, quelque chose d'inconnu peut tomber du ciel à tout instant et nous anéantir.

Inversement, puisqu’ils peuvent venir chez nos, nous pourrons aussi bientôt aller sur d'autres planètes et il faut y réfléchir.

J'adore Wells.

Néanmoins, je ne peux résister à vous présenter la terrible cuisine anglaise (surtout à l'époque) "Nous réparâmes nos forces en absorbant le contenu d'une boite de tête de veau à la tortue et une bouteille de vin." Ça fait envie.

Hum, et donc, nos marTiens... Le nom de la planète Mars vient du latin (Mars, Martem, Martis, Marti, Marte). L'adjectif martial par exemple a la même racine. Il semble que les deux écritures (martien et marsien) aient coexisté un moment en français. Mais c'est "martien" qui s'est imposé.


978-2070308552 



03 janvier 2022

 J'ai essayé de faire un bilan lectures de l'année, 

mais ça m'a tout de suite profondément ennuyée

Alors je vais plutôt lire les vôtres

Bonne année !

31 décembre 2021

Sidérations 

de Richard Powers

****+

"L’œil mental connaît deux sidérations : l'arrachement à la lumière, l'entrée dans la lumière."

Ce récit est rédigé à la première personne par Théo Byrne, astro-biologiste qui doit faire face à la rude tâche d'élever seul son fils de 9 ans, autiste. En effet, son épouse scientifique elle aussi, travaillant à un poste dirigeant dans une ONG de protection de la faune sauvage, est morte deux ans plus tôt dans un accident de voiture. Le métier, et la passion de Théo, c'est d'imaginer les différentes formes de vie possibles sur les autres planètes. Tous les soirs il calme et endort son fils Robin en imaginant avec lui une de ces planètes. Ces chapitres s'intercalent dans le récit qu'il fait de leur vie quotidienne. La vie de Robin dans son école américaine (où il m'a semblé, et ce n'était pas la première fois que j'ai cette impression, que l'on laisse bien plus les enfants se malmener mutuellement qu'on ne le fait en France) n'est pas facile. Il est la risée et la tête de turc de ses coreligionnaires qui ne lui pardonnent pas sa différence. La vie de Théo à son université où il aime enseigner mais où il déçoit ses collègues en n'ayant plus assez de disponibilité pour publier des articles, faire des recherches supplémentaires etc. n'est pas une franche réussite non plus.

 Le livre commence quand Théo, pour rompre une période particulièrement tourmentée pour Robin à l'école, l'emmène camper dans une réserve naturelle. Là, ils connaîtront quelques jours de bonheur, étant tous deux des écologistes convaincus, et des protecteurs de la nature végans. En fait le thème principal des angoisses de Robin est la destruction de la faune, de la flore et de la terre elle-même par les humains. Pendant cette trêve, ils campent en particulier au bord d'un torrent où Théo et la mère de Robin ont passés des moments idylliques. Mais même dans ces conditions, la vie avec un enfant autiste sujet à des crises incontrôlables, n'est pas facile. Bientôt il faut rentrer et la reprise de l'école s'accompagne bien vite de nouvelles crises. L'équipe éducative met en demeure le père de "faire soigner" son fils. Ce qui veut dire le mettre sous Ritaline. Théo ne veut pas en entendre parler mais va bientôt y être contraint car on l'accuse de non-soin à enfant en difficulté... Il se souvient alors d'un scientifique ami de sa femme, pour lequel il avait participé à une expérience neurologique et il se demande si les recherches de cet homme ne pourraient pas aider Robin, s'il acceptait de s'occuper de lui, même dans un cadre expérimental. C'est alors que l'histoire commence réellement.

Un roman fantastique et poignant avec une énorme charge écologique, une conscience permanente de la destruction du monde telle que la ressent Robin. Un stress presque continu malgré de magnifiques épisodes d'amour père-fils. Cela se passe à une période non précisée mais le président des USA (non nommé) est présenté comme une espèce de zigoto dément particulièrement stupide, on ne peut que penser à Trump mais un Trump qui aurait réussi ce que le vrai a raté, à savoir faire annuler les élections qui le blackboulaient sous un prétexte mensonger de fraude pour se faire réélire quelques mois plus tard et avec vraies fraudes cette fois. Cette prise de pouvoir entraîne la suppression des crédits aux recherches les plus prometteuses de la science car le Président n'en voit pas l’intérêt. Les budgets s'assèchent dans tous les secteurs de la recherche non immédiatement commerciale, en particulier en astronomie où les recherches pour un gigantesque et révolutionnaires télescope, le NextGen (mais si vous faites des recherches sur le Net, en France, on l'appelle plutôt NGST) sont abandonnées. On pense au télescope James-Webb qui vient justement d'être lancé, mais dans l'Amérique du roman, dans tous les domaines, la recherche scientifique marque le pas.


PS : Et vous tous, s'il vous plaît, ne faites jamais de cairns lors de vos promenades dans la nature ou au bord de la mer.

- « C'est quoi le problème, papa ?

- « Ces trucs, c'était le pire cauchemar de ta mère. Ça détruit les habitats de tout le monde dans la rivière. Imagine des créatures d'une autre planète qui se matérialiseraient dans notre espace aérien pour démolir nos quartiers, encore et encore. »

Il darda les yeux de tous côtés, en quête des chevaines, des ménés, des truites, des salamandres, des algues, des écrevisses et des larves flottantes, des ménopomes et poissons-chats menacés d'extinction, tous sacrifiés à l'art de marquer son territoire.

- « Il faut qu'en les enlève. »

9782330153182


 

26 décembre 2021

 Les enfants d'Icare

d' Arthur C. Clarke

*****


Science fiction

 Publié en 1953.

Encore un de ces romans situés par l'auteur dans le futur et qui est devenu du passé pour nous. J'aime bien, cela nous permet de faire notre malin et de distribuer bons points et corrections avec la plus parfaite assurance. Sentiment confortable. Publié en 1954, la période ici visée débute un peu après 1975 et dure, à la louche, 2 siècles ou un peu moins.

Dans cette fin des année 1970 donc, de gigantesques vaisseaux spatiaux ont pris position au dessus des capitales du monde. Elles renferment des extraterrestres que personne n'a vus et qui règnent sur le monde en n'imposant qu'une seule loi: interdiction de la guerre et d'infliger des souffrances inutiles, y compris aux animaux. Ils n'ont pas eu besoin eux-même de violence pour s'imposer, leur supériorité tant matérielle qu'intellectuelle, étant infiniment trop écrasante pour que des humains puissent espérer quoi que ce soit d'une tentative de rébellion. A contrario, ils ont soit négligé ceux qui s'y risquaient quand même, soit ont réduit leurs efforts à néant, sans jamais se livrer à la moindre mesure de rétorsion. (Très décourageant pour des résistants). En clair, ils sont tout puissants et bienveillants.

  Les extraterrestres, que les humains ont choisi d'appeler «les Suzerains» puisqu'ils ont tout pouvoir, laissent les humains vivre à leur guise dès lors qu'ils respectent la règle énoncée ci-dessus, mais cette seule modification du comportement humain, va peu à peu transformer la terre en une sorte de paradis où finalement, l'homme est plus heureux qu'il n'a jamais su l'être quand il allait à sa guise et alors que les humains étaient sur le point de détruire leur propre planète (guerre, surexploitation, pollution...) lorsque les Suzerains sont apparus. Cette fois, on a bien l'impression d'être dans «le meilleur des mondes»...

Mais finalement, il reste quelque chose que les humains sont incapables de maîtriser, même en faisant des efforts: leur curiosité. Les Suzerains n'ont jamais été vus par quiconque, ils refusent de se montrer. Pourquoi? Que cachent-ils. L'humain est un être qui ne peut accepter cette zone d'ombre.

Je ne vous en raconte pas plus. Vous voyez déjà que le point de départ est captivant, que la trame se tient, c'est "épais", il y a du matériau pour mener des extrapolations assez riches et je peux vous dire que le lecteur n'est pas déçu. La chose qui m'a frappée dans ce roman (à part le fait que l'idée était excellente), c'est le rythme. On n'est pas dans le récit speedé que l'on trouve le plus souvent aujourd'hui. Ce n'est pas lent non plus, mais c'est "posé". Clarke prend le temps de raconter son histoire, de préciser les divers arrière-plans et d'envisager des péripéties. Il écrit dans le confortable. Il prend son temps pour que son histoire, ample et riche, soit bien traitée et exploitée. J'ai aimé cette façon de faire. On attend parfois un moment (comme pour savoir à quoi ressemblent les Suzerains), mais on est jamais déçu, comme je vous le disais, le fond est toujours à la hauteur des espérances du lecteur. J'ai apprécié la précision du monde utopique auquel Clarke donne vie. Il ne lésine pas sur les détails, mais bon, ce n'est pas gênant. Il n'hésite pas non plus à évoquer de grands problèmes comme la création artistique, la sociologie, la philo ou la psychologie. Et tout est intelligent et intéressant, tandis qu'un coin de notre cerveau continue à se demander où vont nous conduire les Suzerains...

Un excellent travail de Science fiction donc, que je vous conseille très vivement.  

Et encore une fois le titre français me plonge dans un abîme de perplexité, le titre original "Childhood's end" étant moins étonnant (pour ne pas dire incongru).


PS: Ce qui est amusant, rétrospectivement, c'est que tous les auteurs de SF de cette époque étaient persuadés qu'à la nôtre (d'époque) l'homme serait allé sur la lune, Mars, Vénus au moins, et peut-être encore d'autres planètes. Aucun n'avait envisagé que nous nous serions détournés de l'exploration spatiale. Amusant, non?


978-2811209452 

21 décembre 2021

 La plus secrète mémoire des hommes

de Mohamed Mbougar Sarr

****+


 PRIX GONCOURT 2021

Citation:"Ça parle de quoi? (Cette question incarne le Mal en littérature)"

Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'auteur, et ça m'arrange bien de le citer (même si je ne suis pas absolument convaincue de la justesse de la déclaration) car il est un peu compliqué de dire en quelques phrases de quoi parle ce roman. Ce qui ne va pas m’empêcher d'essayer.

 C'est l'histoire d'un jeune écrivain sénégalais (Diegane Faye) qui est fasciné par un autre auteur sénégalais de deux générations son aîné (T.C. Elimane), qui a écrit un roman unanimement célébré en France avant d'être tout aussi unanimement condamné et méprisé pour plagiat. Elimane n'a jamais répondu aux accusations et a purement et simplement disparu à la suite du scandale. Il n'a jamais publié d'autre livre. Pourtant, le premier était exceptionnel:

"A la fin de sa lecture, la sidération dura une longue minute silencieuse, puis les débats s'ouvrirent dans le fracas. On débattit avec rage et outrance. On fut de mauvaise foi, on jura."

Diégane finit par rencontrer une femme qui l'a connu mais a surtout connu une autre femme (la poétesse haïtienne) qui fut très proche d'Elimane. Mais même ainsi, la piste, déjà froide, n'est pas facile à remonter et il faudra bien du temps et des recherches pour savoir ce qu'est devenu le "Rimbaud nègre". Cette quête l'amènera à beaucoup réfléchir (et nous avec) sur ce qu'est la littérature et ce qu'est être écrivain.

« Est-ce que les choses ont changé aujourd'hui? Est-ce qu'on parle de littérature, de valeur esthétique ou est-ce qu'on parle des gens, de leur bronzage, de leur voix, de leur âge, de leurs cheveux, de leur chien, des poils de leur chatte, de la décoration de leur maison, de la couleur de leur veste? est-ce qu'on parle de l'écriture ou de l'identité, du style ou des écrans médiatiques qui dispensent d'en avoir un, de la création littéraire ou du sensationnalisme de la personnalité? »

 Mais ça, c'est l'histoire vue de Paris. Vue du Sénégal, l'histoire est bien différente. C'est celle d'une famille détruite par le départ de certains de ses éléments majeurs, fascinés par la France ou/et la littérature, la culture française qu'on leur a donnée à admirer, au détriment de leur propre culture. Là encore, cela se passe sur plusieurs générations. Le père d'Elimane, puis Elimane lui-même n'ont pas envisagé de développer leurs capacités dans leurs foyers, dans leur pays. Il leur est toujours apparu comme une évidence qu'ils devaient rejoindre la France. Avaient-ils raison ? Tant le tirailleur sénégalais fondu dans la boue des Ardennes que l'auteur jouant les "Rimbaud nègre" dans la presse parisienne, avaient-ils raison de croire que leurs vies devaient se jouer là ? Sans regarder en arrière, Elimane comme son père, a préféré l'idée qu'ils se faisait de la littérature à l'amour de sa famille. Son oncle, resté auprès de sa mère et voix du Sénégal traditionnel, condamne ce choix :

"Je l'aurais refait. Si c'était à refaire, j'aurais encore une fois caché à Mossane le livre et la lettre de son fils. Savoir qu'il était vivant, qu'il avait écrit un livre pendant tout ce temps sans lui adresser un mot, savoir tout cela, dans l'état où elle se trouvait, l'aurait achevée."

Et Diégane, qu'en pense-t-il ? Et Mbougar Sarr ?

Tout autant qu’il est une réflexion sur la littérature et le rôle de l'écrivain, ce roman analyse les relations des intellectuels de l'Afrique francophone avec la France. Il explore aussi l'empreinte que le passé laisse sur le présent. Et réciproquement.

"On croit, avec la force de l'évidence, que c'est le passé qui revient habiter et hanter le présent. Il faudrait considérer que la proposition inverse soit aussi vraie sinon davantage, et que ce soit nous qui hantions sans jamais leur laisser de repos ceux qui nous ont précédés. Nous sommes les vrais fantômes de notre histoire, les fantômes de nos fantômes."

Mais le temps passe. Nous en savons chaque jour un peu plus sur la vie et le monde tels qu'ils vont. Nous comprenons mieux ce qui se passe et, quand tout va bien, notre nombrilisme s'atténue un peu :

« Le temps est assassin? Oui. Il crève en nous l'illusion que nos blessures sont uniques. Elles ne le sont pas. Aucune blessure n'est unique. Tout devient affreusement commun dans le temps. Voilà l'impasse; mais c'est dans cette impasse que la littérature a une chance de naître. »

La fin de ce roman, qui nous dévoilera tous les mystères, ne décevra pas le lecteur et pour ma part, je l'ai beaucoup appréciée.

Alors, en conclusion, pour moi, cette année, le Goncourt ne nous a pas trompés et nous a livré une vraie œuvre littéraire de première qualité. Ne doutons pas que son succès sera loin de celui de la trop commune "Anomalie", Goncourt de l'année dernière. On ne joue pas dans la même cour et si tous les lecteurs de M. M. Sarr peuvent lire "l'Anomalie", le contraire n'est pas vrai. "La plus secrète mémoire des hommes" n'est pas un roman facile et les lecteurs superficiels s'y perdront, j'en suis certaine. Les lecteurs exigeants par contre, s'y régaleront. Un excellent Goncourt !

Encore une petite citation pour la route:

"- Ça finira mal... j'ai beaucoup entendu cette phrase récemment.

- C'est parce que la plupart des choses finissent mal. Et la plupart des gens le savent.

- Ils ne savent rien. C'est un désabusement sans profondeur, le pessimisme facile qui se déguise en lucidité, le cynisme démissionnaire qui se cache sous la sagesse du fatalisme, la peur de la vie grimée en philosophie de l'inquiétude."


 PS : L'auteur indique que le titre est tiré des "Détectives sauvages" de Roberto Bolaño, auteur qui a eu une grande influence sur lui.

9782848768861

16 décembre 2021

 Nuit 

d'Edgar Hilsenrath 

 *****


L'asile de nuit * 

 Edgar Hilsenrath est né à Leipzig en 1926. En 1938, il fuit en Roumanie pour échapper aux persécutions nazies. En 1941, il est déporté en Ukraine. À la Libération, il émigre  en Palestine, en France,  puis aux États-Unis où il restera 25 ans. Installé à Berlin depuis 1975, il est mort en 2018, à 92 ans.

 Dans "Fuck America", Edgar Hilsenrath nous présentait son double littéraire Jakob Bronsky, à New-York, en train d'écrire un livre alors élégamment intitulé « Le branleur » et qui devait en fait être celui-ci, enfin traduit sous le titre "Nuit", car ce "Nacht" fut son premier livre.  Hilsenrath mit 12 ans à l'écrire. Il est la conséquence de ce qu'il a vécu dans le ghetto de Mogilev-Podolsk en Roumanie qui deviendra Prokov dans ce roman, et comme il nous l'avait dit: "il y a eu deux Jakob Bronsky. Le premier Jakob Bronsky, mort avec les six millions, et l’autre Jakob Bronsky, celui qui a survécu aux six millions." Ici, on comprend pourquoi.

 Bronsky est devenu Ranek. Enfin, schématiquement parlant, bien sûr.

Nous sommes en 1941, les Allemands ont envahi une partie de la Roumanie qui a elle-même expulsé les Juifs dans cette zone coincée contre le fleuve. Ici, ni barbelés, ni miradors (bien que sur le pont les soldats tirent sur ceux qui essaient de passer), c'est inutile, si un Juif sort du ghetto, n'importe qui peut le tuer à tout moment et ne s'en privera pas ; il ne trouvera nulle part d'asile. 

Prokov, qui leur a été attribué comme ghetto a été lourdement bombardé et rares sont les bâtiments encore debout. Insuffisants en tout cas pour abriter les arrivages constants de nouveaux expulsés. Aussi tout abri est-il pris d'assaut et occupé par une foule qui s'y entasse et en défend l'entrée car la nuit, soldats ukrainiens, roumains et milice juive (!) ratissent les rues, ramassent les sans-abris qui de leur côté tentent désespérément de se cacher, et les déportent sans ménagement vers les camps de travail et la mort.

 D'autre part bien sûr, tout manque dans ce ghetto peuplé de gens à qui l'on a tout arraché pour les parquer dans une ville presque rasée. Les gens tombent comme des mouches. Les morts que plus personne n'a la force de ramasser, traînent dans la rue, écrasés par les quelques charrettes passant encore sur la chaussée, piétinés par les survivants sur les trottoirs. La cause la plus fréquente du décès est la mort de faim mais il y a aussi le typhus, et autres maladies ainsi que les rixes et assassinats car la loi de la jungle reprend le dessus, bien qu'étonnamment pas totalement ; et l'on se retrouve dans un étrange mélange de respect des règles anciennes et de force brutale. Tout est possible.

« Il n'y a pas d'explication.

- Tu as raison. Plus rien ne s'explique. »

Nous suivons Ranek, homme jeune qui tente âprement de survivre dans le ghetto. Rapidement, comme tous, il est devenu capable de tout, et non seulement capable, mais il est souvent passé à l'acte. On le craint car il est encore fort et on sait sa détermination à survivre. Pourtant, au départ, Ranek aurait pu rentrer dans la milice juive et se mettre ainsi à l'abri de tout et ça, il l'a refusé. 

Il faut surtout savoir que nous avons ici une œuvre littéraire (et de première grandeur) et pas un documentaire. Hilsenrath a transposé les choses. Il a volontairement donné dans une sorte d'hyperréalisme qui a tué le réalisme. On lit les pires horreurs comme on les lit dans "La route" de Cormac McCarthy. Elles sont à la fois poignantes et irréelles. C'est une "traduction" des choses. Ça nous les fait voir avec une totale réalité et en même temps on sait que ça ne s'est pas vraiment passé comme cela. Ces évènements sont sans doute arrivés, mais pas "comme cela". J'ai été frappée par le fait que cela colle parfaitement avec les illustrations de couvertures de Henning Wagenbreth: tout y est mais cela ne ressemble pas vraiment à l'objet réel, que cependant l'on reconnaît parfaitement au premier coup d’œil. Le récit d' Hilsenrath, c'est exactement pareil. Et la littérature, avec un grand L, c'est cela justement : transposer, phagocyter, assimiler la réalité.

Edgar Hilsenrath a fait avec "Nuit" un travail admirable mais qui ne collait pas avec la vision consensuelle de l'holocauste, on ne le lui a pas pardonné. Il a eu beaucoup de mal à se faire éditer et la parution a suscité de tels remous que son éditeur allemand a renoncé à le rééditer alors que la première édition (1964) avait été épuisée (et boycottée) en six mois. Une édition suivra aux Etats-Unis en 66, favorablement accueillie puis suivie d'autres romans d'Hilsenrath. Mais il a fallu attendre jusqu'à 2012 pour que "Nuit" soit traduit en français!! 

Ce livre est GRAND. N'ayez pas peur. Lisez-le.


* C'était le premier titre choisi par Hilsenrath pour ce livre.

978-2370550279 


11 décembre 2021

 Le musée du silence  

de Yoko Ogawa

*****

Que préserve un musée?


Le narrateur, un homme jeune et solitaire, a une passion pour les musées. Cette passion est aussi son métier: il aide à leur installation. Il arrive ici en un lieu retiré, en réponse à une petite annonce passée par une vieille femme acariâtre qui veut ouvrir un musée tout à fait particulier. Depuis son enfance, elle vole à chaque décès dans son village, un objet représentatif du défunt. Ces objets s'accumulent fort nombreux dans une remise poussiéreuse mais elle se souvient de tous les détails de chaque objet et de chaque défunt. Elle veut que ce bric-à-brac soit organisé en un musée bien agencé et ouvert aux visites.

Comme en général avec Yoko Ogawa, on ne peut situer exactement ni le lieu ni l'époque, sans doute parce que l'auteur vise des constantes humaines non dépendantes d'un contexte historique ou géographique. Les personnages principaux sont donc le jeune muséographe dont la préoccupation essentielle, obsessionnelle pourrait-on même dire, est de parvenir à ordonner "les fragments constitutifs de ce monde.". Le musée lui semble le meilleur moyen de "ranger" et de donner sens à tous ces éléments que l'existence fait pleuvoir sur nous, à tous ces évènements que l'existence fait pleuvoir sur lui. Vient ensuite l'étrange très vieille dame ni bonne ni méchante selon sa fille, mais tout de même très agressive et ne connaissant que les insultes voire les coups de canne pour alimenter ses relations au monde. Son maigre entourage lui est néanmoins très attaché et le muséographe le deviendra aussi. Il y a tout d'abord "la jeune fille", très jeune, presque une enfant, adoptée on ne sait pourquoi ni comment par la vieille dame; et un couple jardinier-cuisinière, très polyvalents tous les deux. Ils vivent tous dans le manoir à l'écart de la ville et ne fréquentent personne. Sauf peut-être parfois les étranges moines du silence qui partagent la montagne avec les non moins étranges "bisons des roches blanches".

 Le muséographe se passionne au rangement et à l'archivage des pièces hétéroclites de l'étrange musée. Le soin méticuleux du travail d'archivage des objets dont Yoko Ogawa donne une description extrêmement précise est le rituel de prise de possession des choses et, à travers elles, des évènements. Ce travail l'apaise. Sa vie personnelle se limite à l'envoi de lettres à son frère aîné adoré. Quand la vieille dame n'est plus en état de le faire, il accepte de prendre la relève et d'aller à sa place dérober des objets chez les morts. Entreprise non sans risque et à propos de risques, le monde extérieur est violent. Une fête populaire peut dégénérer, il peut y avoir des bombes dans les endroits publics et voilà que frappe un tueur en série... la police est sur les dents mais au manoir, la vie continue, entièrement orientée vers la création du musée.

Un grand roman porté par une écriture superbe et dont je ne veux pas déflorer davantage les éléments tous très originaux. Une réflexion approfondie sur les tentatives de donner sens aux vies humaines, même si au monastère, on pense qu'il n'y a vraiment rien à dire.


Citations :

Musée

"Quand j'étais jeune, j'ai visité les musées du monde entier. De toutes sortes, allant du national, énorme, dont trois jours de visite ne viennent pas à bout, au cabanon bricolé par un vieillard obstiné à seule fin de rassembler des outils agricoles. Ce ne sont que des débarras. Ils ne révèlent aucune trace de la passion qui mène à faire une offrande aux déesses de la sagesse. Ce que je vise, c'est un musée qui transcende l'existence humaine. "


Eté

"L'été se termine brusquement. Sans laisser de regret, d'un seul coup. Quand on se retourne et que l'on s'en rend compte, c'est trop tard. Plus personne ne peut se rappeler même sa silhouette vue de dos."

978-2742754915

07 décembre 2021

 Aberzen   

de Marc N'Guessan

****+


Je me plains si souvent du manque d'imagination et d'originalité des scenarii des quelques  BD que je lis que j'accroche tout de suite les 4½ étoiles sur celle-ci, malgré ses quelques défauts dont je parlerai plus loin.

Ce qu'il faut savoir avant même d'entamer cette lecture, c'est qu'il ne s'agit pas d'une série qui se prolongerait sur 4 albums, mais bien d'une seule histoire dont le récit a nécessité 4 albums. La différence, vous l'aurez compris, c'est qu'on ne peut pas lire ces albums dans le désordre ni même juger "Aberzen" avant d'avoir tourné la dernière page du dernier opus. C'est tout particulièrement vrai ici car les 3 premiers albums nous font découvrir une histoire extraordinaire avec les yeux étonnés des personnages qui tentent de comprendre un peu ce qui se passe dans ce monde plus qu'étrange où ils ont été projetés. Nous faisons leurs erreurs, nous tentons comme eux de nous repérer dans cette avalanche d'évènements étonnants (très). Alors que le quatrième album met à jour l'explication qui nous permettra de remettre en ordre et comprendre tout ce qui s'est passé avant.

La meilleure solution étant de trouver l'édition groupée des 4 albums en un seul (notre couverture et il y a une autre édition avec une couverture un peu différente) Mais là encore, méfiez-vous! (notre vie de bdphiles est aussi aventureuse que celles de nos héros) il y a semble-t-il une étonnante édition regroupant les 3 premiers albums seulement (une sorte de couteau sans lame, quoi). Il sera sans doute prudent de vérifier que vous avez les 4 titres:

    1) Commencer par mourir

    2) Plusieurs noms pour le bleu

    3) Au-delà des mers sèches

    4) Un temps par dessus l'autre

Ce qu'il faut savoir ensuite, c'est que cette bande dessinée ne se prête pas à une lecture distraite, Si vous avez l'habitude de lire vos BD d'un œil et très vite, il vous faudra changer vos manières ou pleurer que celle-ci est incompréhensible. 

C'est d'ailleurs là le léger défaut de l'ouvrage: les personnages étant des êtres bizarres proches d'animaux ou de machines (plusieurs ressemblant beaucoup à des ours bruns humanoïdes). Il est difficile de les distinguer les uns des autres. (car reconnaître une tête d'ours d'une autre...) L'auteur a fait ce qu'il pouvait mais cela demande tout de même une attention soutenue du lecteur. Pensez à noter les pièces de vêtements et autres repères qui pourront vous éviter un malentendu. Car si vous ajoutez les erreurs de lecture à une histoire déjà bien complexe, vous irez dans le mur. C'est le risque ici.

De même, il vous faudra lire l'intégralité des bulles, faute de quoi là encore, vous rateriez l'histoire et perdriez rapidement le fil.

Voilà le seul défaut de cette BD: la lisibilité. C'est vrai que Marc N'Guessan aurait pu (et dû) différencier davantage ses personnages (ours, gorbin etc.) Il n'en reste pas moins que nous avons là une très intéressante et très belle (d'un point de vue esthétique) bande dessinée, qui nous console des Nièmes histoires de vampires ou de "nouvelles-existences-dans-un-monde-détruit" qui semblent être les seules qui viennent  inspirer la plupart des auteurs actuels. Ici l'imagination est vraiment très riche, aussi bien pour l'histoire elle-même que pour les décors, les personnages et la foule des créatures, petites et grosses, inventées avec beaucoup d'originalité tant pour les rôles principaux que pour la figuration d'arrière-plan. 

Pour toutes ces raisons, je vous la recommande sans réserve. Elle mérite même l'achat si vous ne la trouvez pas en bibli, mettez-là sur votre liste de cadeaux de bédéphile, et n'oubliez pas: les quatre, sinon rien!

978-2845651524

03 décembre 2021

 

Le Club des policiers yiddish 

  de Michael Chabon

***+


 Tout d'abord, il faut préciser que ce roman policier est une uchronie (ce qui lui a valu le Prix Hugo qui couronne des ouvrages de science fiction). Cependant, il y a gros à parier que les amateurs de science-fiction n'y trouveront pas leur compte car l'imagination uchronique se limite à situer l'action dans un monde tel qu'il aurait pu être si le le projet Ickes pour l'Alaska (1939) avait été mené à terme. Il consistait à attribuer aux Juifs fuyant l'Europe une terre d'asile provisoire dans un bout de l'Alaska. Le monde en question n'est guère différent de ce que furent les grosses villes américaines pleines de gangsters, sauf qu'ici, les gangster sont tous juifs pratiquants voire orthodoxes, comme la majorité de la population, partageant le territoire avec des Indiens autochtones peu nombreux. La cohabitation des deux peuples n'a pas toujours été tendre, mais on est arrivé à une espèce de statu quo. Ces gens sont les descendants directs des rescapés des camps.

"Le père de Landsman, de retour de fraîche date d'une tournée des camps de la mort et de déportation européens, venait d'arriver seul à Sitka à bord du Williwaw. Il avait vingt cinq ans, il était chauve et presque édenté. Il mesurait un mètre quatre-vingt-deux pour soixante trois kilos, Il dégageait une drôle d'odeur, tenait des propos bizarres et avait survécu à toute sa famille."

De plus, on arrive au terme du mandat que les Juifs avaient sur ce territoire : il va leur falloir partir ! Tout le monde est très tendu. L'ambiance est bien rendue.

"Noceurs et touristes ont cédé le pas à une population de personnages interlopes et d'immigrés russes, une poignée de Juifs ultra-orthodoxes et une bande de semi-professionnels bohèmes, amoureux de l'ambiance de fête gâchée traînant dans le voisinage, telle une guirlande de Noël accrochée à la branche d'un arbre dénudé."

 On a donc plutôt affaire à un roman policier. L'inspecteur Landsman, divorce malheureux et alcoolique (que c'est original !) vit dans un hôtel particulièrement minable où un junkie vient d'être abattu. Ce n'est pas une affaire bien passionnante, mais comme cela a eu lieu pratiquement "chez lui", il se sent vexé et décide d'essayer d'élucider l'affaire qui, d'allure quelconque au départ, se révèle de plus en plus grosse et compliquée au fil des recherches...

 Alors, c'est un gros livre (presque 500 pages), qui, je l'ai dit ne plaira sans doute pas aux amateurs de science-fiction, et, je le précise maintenant, sans doute pas davantage aux amateurs de romans policiers car il est vraiment peu lisible. Le gros problème est un problème de clarté. D'abord, il y a le vocabulaire. Énormément de termes yiddish, au point qu'un glossaire a été ajouté en fin d'ouvrage. Cela part d'une bonne intention, mais cela ne suffit pas. Déjà, beaucoup de termes n'y sont pas et puis, s’interrompre toutes les dix lignes pour aller chercher à la fin de l'ouvrage ce qu'on peut bien être en train d'essayer de vous raconter, franchement, ça n'aide pas à maintenir le fil de l'histoire. Fil de l'histoire qui est déjà, bien compliqué, tordu et emmêlé, le lecteur a du mal à s'y retrouver. Les passages abrupts d'un moment ou d'un lieu à un autre n'arrangent rien non plus. Il y a aussi des personnages que j'ai mal identifiés, ou confondus... Bef, je me suis plusieurs fois retrouvée à me demander ce que je pouvais bien être en train de lire... Pourtant, je ne sais pas trop pourquoi, pur entêtement ou peut-être quand même une belle écriture par moments ou un personnage sympa comme son adjoint Berko, géant mi-juif, mi-indien, qui sera d'ailleurs pas mal oublié et évacué n'importe comment à la fin du roman. Fin qui ne sera d'ailleurs pas plus claire que ne l'ont été toutes les pages précédentes. 

"Je pensais que je travaillais pour tout le monde. Tu sais, le service public, le respect de la loi. Mais, non, en réalité je travaillais pour Cashdollar."

 En conclusion, je me demande bien comment ce roman abscons a pu avoir des prix. Encore un grand mystère de l'entre-soi éditorial, je suppose. Clairement, ça ne valait pas le temps que j'y ai passé. J'ai cependant décidé d'essayer de lire un autre roman de Michael Chabon parce qu'il y a tout de même "quelque chose", mais cette fois, j'ai décidé d'avance de ne pas insister s'il recommence dans le même style hermétique puisque je sais maintenant que "le moment où ça s'arrange et où le livre s'éclaire" n'arrive jamais. Je vous tiens au courant.

 


978-2264050441