26 octobre 2021

Vie de Joseph Roulin 

de Pierre Michon

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Vous connaissez Joseph Roulin. Mais si. Van Gogh vous l'a présenté. Vous êtes comme moi, vous l’avez déjà vu et plusieurs fois sûrement. Peut-être même l’original, si vous faites partie des veinards… En tout cas, des reproductions, c’est sûr.


Et tout au long de votre lecture, vous aurez cette bouille sous votre regard mental et vous aussi vous serez familier de cet homme dont Pierre Michon vous parle, comme Van Gogh l’a été. Vous aurez l’impression que l’on vous parle de quelqu’un que vous connaissez, au moins de vue, et depuis longtemps. Cet artifice donne au texte une emprise notable sur le lecteur. Il se trouve de plain pied dans notre «familier» et cela modifie la réception,  change l’impact des mots lus.

Roulin fait partie des gens avec lesquels Van Gogh s’est lié à Arles, quand ça n’allait pas bien. Il travaillait à la poste, buvait trop, parlait trop, n’avait rien de particulièrement sympathique et pourtant, on retrouvait chez lui ce qui fait que l’humain mérite que l’on s’y intéresse et il était capable comme on le verra finalement, de fulgurances. Il avait cette soif d’étoiles qui nous fait. Et Vincent lui en offrit une part. Non par ou pour ce qu’il comprit de sa peinture car il y comprit peu de choses, mais par et pour ce qu’il comprit de l’homme. En récompense de quoi, au bout du compte, «Il devait à ce jeune homme d’avoir connu un grand peintre, d’avoir vu et touché une chose en quelque sorte invisible, pas seulement un misérable à qui on donne des confitures.» (p. 61)

Pierre Michon sait nous montrer cet homme, sait nous le faire sentir, nous offrir en quoi il est unique et en quoi le monde avait besoin qu’il existe. Le monde, Vincent, vous, moi.

Michon est nos yeux.

Et il est lui aussi portraitiste. Que fait-il d’autre dans toutes ces vies minuscules qui peuplent son œuvre? Ici, comme Van Gogh, il travaille la pâte -des couleurs ou des mots-  pour faire jaillir l’image approximative et exacte de son modèle. Nous le révéler dans toute la puissance de son évidence.

Et pour ce qui est du talent, du génie et de l’art: «Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien? Est-ce que ce sont nos yeux, qui sont les mêmes, ceux de Vincent, du facteur et les miens? Est-ce que ce sont nos cœurs qu’un rien séduit, qu’un rien éloigne?» (p. 65)


Extraits :

- (…) on est devenu très fort depuis qu’on sait que tout le langage ment. On a appris le pire, on y est installé. (p. 14)

- Et il ne fut pas étonné davantage d’être promis à un tout petit métier, d’avoir à gagner sa vie et d’avoir à la perdre un jour, et de devoir moralement, gaillardement, affronter cela. (p. 19)

- Cette ombre longtemps l’épaula seule dans le refus d’être Roulin, c'est-à-dire dans l’acceptation de faire mine d’être Roulin; cela le revêtit chaque matin de la grande vareuse, sans ménagement le poussa avant le jour vers les sacs postaux et les engueulades, mais comme si ce n’était pas lui. Le prince batifolait ou massacrait dans un coin de facteur, qui faisait son devoir. Cela lui fit une vie intérieure (…) (p. 23)

978-2864320661

20 octobre 2021

 La Porte du voyage sans retour

de David Diop

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Le sous-titre "Les cahiers secrets de Michel Adanson", vous place exactement l'affaire : Un scientifique égoïste, sentant sa mort prochaine, se rapproche de sa fille négligée jusqu'alors et rédige à son intention des mémoires censées lui permettre de mieux le comprendre. Nous sommes en plein milieu du 18ème siècle, le siècle des Lumières, l'esprit scientifique s'éveille, pour Michel Adanson ce sera la botanique et la zoologie des terres africaines. Le Sénégal en l’occurrence. Il voyagera et séjournera dans les bagages du commerce triangulaire. Il ira prospecter, collecter, classer, étiqueter et reviendra riche de ses collections, se faire admirer et titrer. A l'heure de sa mort cependant, il est un peu déçu, son projet de relevé exhaustif des faunes et flores du Sénégal était déraisonnable et n'a bien sûr pas pu être mené à terme. Il n'intéressait d'ailleurs pas grand monde. Adanson n'a pas non plus été reconnu et doté à hauteur de ses ambitions. Aussi, n'est-ce pas à cela qu'il consacrera ses dernières réflexions et mémoires confiées aux "cahiers secrets", mais à la seule histoire d'amour qu'il connut, un coup de foudre d'autant plus marquant et sublimé, qu'il ne put se réaliser d'aucune façon. Cela se passa au Sénégal, alors qu'il avait vingt ans.


Voilà pour l'histoire, une histoire qui nous immerge pendant 250 pages dans un monde raciste sans vergogne et où tant de choses reposent sur le trafic d'esclaves que nul ne songe à le contester.

"La religion catholique dont j'ai failli devenir un serviteur, enseigne que les Nègres sont naturellement esclaves. Toutefois, si les Nègres sont esclaves, je sais parfaitement qu'ils ne le sont pas par décret divin, mais bien parce qu'il convient de le penser pour continuer de les vendre sans remords."

Car avant même de trouver l'amour, Michel Anderson, assez jeune et libre d’intérêt pour ne pas être complètement aveuglé, a découvert les Africains et a reconnu leur humanité.

"J'ai fait ce voyage au Sénégal pour découvrir des plantes et j'y ai rencontré des hommes."


Un beau livre, qui résonne et raisonne avec pertinence sur divers sujets humains et nourrira votre réflexion. Par exemple : "L'homme qui avance sur le chemin de la vie tombe sur des embranchements, des carrefours fatals, qu'il ne reconnaît comme tels qu'après les avoir passés."


Bonne route à vous !


Extraits :

"Les palais, les châteaux, les cathédrales dont nous nous glorifions en Europe, sont le tribut payé aux riches par des centaines de générations de pauvres gens dont personne ne s'est soucié de conserver les masures. Les monuments historiques des Nègres du Sénégal se trouvent dans leurs récits, leurs bons mots, leurs contes, transmis d'une génération à l'autre par leurs historiens-chanteurs, les griots. Les paroles des griots qui peuvent être aussi ciselées que les plus belles pierres de nos palais, sont leurs monuments d'éternité monarchiques."


Mémoire :

"Parfois, lorsque nous nous retournons sur notre passé et sur nos croyances anciennes, nous tombons en présence d'un inconnu. Cet inconnu ne l'est pas vraiment, car il s'agit de nous-même. Même s'il est toujours là, dans notre esprit, il nous échappe souvent. Et quand nous le retrouvons au détour d'un souvenir, nous reconsidérons cet autre nous-même, tantôt avec indulgence, tantôt avec colère, parfois avec tendresse, parfois avec effroi, juste avant qu'il ne se volatilise à nouveau."


L'Art :

"Je compris alors que la peinture et la musique ont le pouvoir de nous révéler à nous-même notre humanité secrète. Grâce à l'art, nous arrivons parfois à entrouvrir une porte dérobée donnant sur la part la plus obscure de notre être, aussi noire que le fond d'un cachot. Et, une fois cette porte grande ouverte, les recoins de notre âme sont si bien éclairés par la lumière qu'elle laisse passer, qu'aucun mensonge sur nous-même ne trouve plus la moindre parcelle d'ombre où se réfugier, comme lorsue brille un soleil d'Afrique à son zénith."


978-2021487855


16 octobre 2021

 Ablutions 

de Patrick deWitt

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Cela fait vraiment longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi déprimant ! Vraiment, c'est à se pendre. Je vous préviens pour que vous ne vous y lanciez pas si vous n'êtes pas dans une période particulièrement sereine et optimiste. Je ne m'attendais pas du tout à cela en attaquant ce roman de P. deWiit qui jusqu’alors m'avait toujours fait rêver (Heurs) ou sourire (French exit).

 Sous-titré « Notes pour un roman », ce texte est censé être les notes que le barman de nuit prend en vue du livre qu'il voudrait écrire un jour, lui qui ne se voit bien sûr pas finir comme les épaves qu'il contemple quotidiennement. Ainsi les courts chapitres commencent-ils souvent par « Parler de ... » mais s'y intercalent aussi de plus en plus de notes sur lui-même. Ce bar de Los Angeles, est vraiment glauque. On y vient seul pour s'y saouler le plus rapidement et le plus radicalement possible. Toutes les drogues et «cachets» sont aussi de la partie. Comme on s'en doute, ceux qui sont là ne sont pas spécialement sur la voie ascendante. Ce sont bien au contraire des déçus de leurs vies qui viennent ici noyer leurs rêves qui ont sombré. Ils se racontent à l'envi -mais personne n'écoute personne-, exagérant leurs efforts, magnifiant leurs résultats, surévaluant leurs espoirs. Un seul, à la surprise générale, parviendra à la réussite, s'attirant malgré sa gentillesse, une haine unanime. Vous êtes prévenus, on n'est pas dans les beaux sentiments.

"Les habitués sont chaleureux les uns envers les autres, mais le plus souvent ils arrivent et repartent seuls, et d'après ce que tu sais, ils ne se fréquentent pas. Cela éveille en toi un sentiment de solitude, le cœur des hommes te semble froid et mesquin, et il te vient à l'esprit l'expression 'chacun pour soi', qui dans ton enfance te donnait envie de t'allonger et 'd'être tué' ."

Certains lecteurs prétendent avoir vu de l'humour dans cette succession de micro-récits mais franchement, bien qu'aimant l'humour noir, je l'ai rarement vu (sauf la scène de l'enterrement peut-être). Ici, il n'y a pas ce léger décalage ou recul qui fait qu'une scène passe du glauque à l'amusant. On a trop la tète dans le sordide et la misère, les deux tant matériels que psychologiques. Je pense que cela est dû au fait que le récit est fait par ce barman qui est en aussi mauvais état que les autres.

"Les gens sont partagés à ton sujet : certains te disent stupide, d'autres grossier."

Pourtant un beau roman que je conseille. Une belle écriture qui touche là où il faut. Une peinture percutante et qui semble juste. Selon son éditeur, l'auteur a été barman pendant six ans, c'est là qu'il a trouvé son matériel. J'espère pour lui que ce récit n'est cependant pas autobiographique, le pauvre ! Mais on y croit tellement !

Que me réservent Les frères Sister, le prochain deWitt de ma pile ?

Pour ceux qui vont me répondre que "mais non, c'est pas si triste, faut pas tout prendre au tragique." :

"La souffrance et la chaleur ne se calmant pas, tu avales difficilement quatre aspirines avant de te rallonger dans l'espoir de dormir, mais les brulures t'en empêchent et, tandis que les vagues de douleur s'intensifient, tu t'entends pleurer et gémir, jamais tu n'as entendu de son plus misérable et solitaire, et la tristesse s'abat sur toi comme une chape de plomb, et maintenant, sans alcool ni stupéfiant pour masquer une émotion dissimulée depuis longtemps, elle prend possession de ton corps."

978-2742789283

12 octobre 2021

 Née de la côte d’Adam  

de Nuruddin Farah

****+


Notre trilogie est une tétralogie

Peut-être plus léger, moins pesé que les suivants, ce premier roman de notre auteur somalien, m’a beaucoup plu. Vif et intéressant, il est facile et agréable à lire tout en nous éclairant sur cette société qui nous est si étrangère : le monde somalien, tant celui des nomades, auquel l’héroïne appartient et où elle se trouve au début du livre, que celui des citadins qu’elle rejoint, gagnant une petite ville d’abord, puis Mogadiscio.

Notre héroïne, c’est Ebla, elle n’a pas encore 19 ans et toute la famille qui lui reste se résume à une jeune frère et à un grand père quasi impotent. Mais même âgé, impotent et dépendant, le

grand-père a encore un pouvoir de nuisance puisqu’il lui annonce un jour qu’il l’a vendue contre deux chameaux. Ebla ne veut pas de ce vieux mari qu’on lui impose et, chose inouïe dans son monde, s’enfuit. Elle veut abandonner l’existence nomade pour vivre en ville où elle pense avoir une meilleure existence. Ce qui frappe, c’est qu’Ebla est plutôt solitaire, elle ne cherche pas l’amitié d’autres femmes, n’éprouve pas le besoin de s’épancher ou d‘être soutenue ou sécurisée. Elle est jeune et pleine de vigueur, pas encore décidée à se résigner au sort désespérant qui traditionnellement lui échoit. Plus tard, nous verrons qu’elle n’est pas non plus particulièrement tendre et altruiste. On pouvait se douter qu’elle ne trouverait pas en elle cet esprit de sacrifice que tout le monde s’attend à lui voir manifester. Et c’est ce qui fait le sel de ce roman.

Arrivée à la première ville, Ebla rejoint la maison d’un lointain cousin et s’y fait accueillir comme parente-servante. Elle fait aussi la connaissance d’une voisine "la veuve" qui lui fera profiter de son expérience et lui apprendra un peu ce qu’est la vie. Bien sûr, assez rapidement, le cousin lui aussi la vend à un prétendant. Mais notre Ebla a toutes les audaces et après avoir franchi autrefois le pas de l’évasion, elle n’hésite pas cette fois à se faire enlever par un autre homme qui l’emmène aussitôt à Mogadiscio. Là elle connaîtra la vie d’une citadine et d’une femme mariée (même trop d’ailleurs car à un moment il y aura deux maris simultanément…)

 "Dorénavant, je serai moi-même, je m’appartiendrai à moi-même et mes actions m’appartiendront. Et moi, à mon tour, je leur appartiendrai."

Nous verrons autour de ce personnage solaire les positions abusives et faibles des hommes (le grand-père même pas autonome, le frère incapable lui, de s’insérer à un monde moderne et affectant de se replier dans un mode de vie rétrograde, les cousins, maris etc.)

 "Je me demande si c’est vrai que dieu a dit que pour une femme, le prophète, celui qui vient au deuxième rang après dieu, c’est son mari. Si c’est vrai, alors, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue."

Les héroïnes de Nuruddin Farah sont grandes, grâce lui en soit rendue, tout particulièrement dans ce monde qui vit sur l’écrasement des femmes.


PS : A noter que nous retrouverons Ebla bien plus tard dans le deuxième roman de la trilogie "Variations sur le thème d’une dictature africaine". Je ne comprends donc pas pourquoi ce premier roman n’est pas lié aux trois suivants, faisant de cette trilogie une tétralogie. Peut-être de simples raisons éditoriales…


978-2218075391

08 octobre 2021

 Le Petit Joueur d'échecs  

de Yôko Ogawa

****+


Un roman original et très beau. C'est vraiment l'aspect esthétique qui m'a le plus marquée ici. Nous avons un conte dont le thème serait le danger qu'il y a à grandir ou grossir. Physiquement d'abord mais aussi mentalement à l'image de ce "petit joueur d'échecs". (Notez "petit", pas jeune). 

C'est parce qu'elle avait trop grossi que l'éléphante Indira n'a jamais pu repartir de sa terrasse d'immeuble où elle faisait un séjour publicitaire. C'est parce qu'elle avait trop grandi que la petite Miira est restée coincée entre les deux maisons. C'est parce qu'il était trop gros que le maître d'échecs n'a pas pu être secouru ni même sorti de son logement lors de sa crise cardiaque. Et enfin, le petit joueur d'échecs ne pourrait plus actionner l'automate s'il devenait plus grand... Sa crainte est telle que son corps cesse sa croissance et qu'il restera petit, à son grand soulagement. 

Orphelin élevé par des grands-parents simples et aimants, il restera aussi une sorte de petit garçon, sage, silencieux, ignorant du monde, sans curiosité de l'extérieur, sans éveil sexuel. Il vivra toujours dans un univers volontairement restreint au maximum, tant matériellement que mentalement. Seuls l'intéressent les échecs, découverts dans son jeune âge et aimés à jamais. Il deviendra un champion sans titre, ne pouvant supporter la présence réelle d'une autre personne en face de lui. (Mais à ce propos, précisons qu'on peut tout à fait apprécier le roman même si on ne connaît pas les échecs.)

Un conte silencieux et lent. Beau. Je vois sur les commentaires que certains ont moins aimé la dernière partie (quand il est "adulte") mais ça n'a pas été mon cas. D'abord parce que j'adore les microcosmes et que j'ai trouvé celui-là parfaitement à la hauteur de l'originalité du reste du récit, et parce qu'il fallait bien qu'il quitte le cocon familial (même si c'est pour en retrouver un autre).

Je recommande ce roman de Yoko Ogawa


 978-2330053277

04 octobre 2021

Black Boy  

de Richard Wright

****+


Autobiographie T1

J'ai intitulé ma chronique « Autobiographie Tome 1 » car il faut savoir que ces souvenirs d'enfance vont de la naissance jusqu'à un peu plus de 20 ans quand il quitte le Sud pour Chicago, et qu'il était dès le départ prévu qu'il serait suivi d'un tome 2, même si de nombreuses années devaient séparer les deux parutions. Le second tome s'intitulait « American Hunger » traduit en français pas « Une faim d'égalité ».

L'enfance de Richard Wright a été placée sous le signe de la pire misère. Il a pratiquement tout le temps souffert de la faim, parfois au pont de s'évanouir. Plus tard, quand il a commencé à  gagner quelques sous, cela a continué car d'une part, il était très peu payé, et de l'autre, il voulait à tout prix économiser pour ses projets d'une vie meilleure et, considérant qu'il était bien entraîné pour jeûner, il a continué à se priver et là encore, souvent trop. Je pense que cette malnutrition permanente de toutes sa jeunesse a pu jouer un rôle dans sa mort prématurée par « crise cardiaque ». Mais je ne suis pas médecin. 

Cet ouvrage nous ouvre donc un monde comme on voudrait tant qu'il n'en existe pas. Un père qui, bien sûr décide bien vite qu'il serait mieux loti à garder sa maigre paie pour lui seul et laisse femme et enfants (deux frères) survivre seuls comme ils peuvent. Une mère qui elle, ne songe jamais à les abandonner mais qui a bien du mal à élever seule deux fils turbulents et qui ne se rendront compte que plus tard de son mérite. Mais cette mère pratique aussi les châtiments corporels extrêmes, comme elle l'a toujours vu faire... Une maison où l'on a froid et faim, heureux encore quand on a un toit. Voilà la vie qu'a connue l'auteur. La famille aide parfois mais en échange d'une soumission complète à leurs convictions d'une bigoterie absolue, le fanatisme religieux ordinaire rajoutant encore des chaînes à celles déjà portées par tout Noir. 

« Chaque fois que je rencontrais la religion dans ma vie, je trouvais le désaccord, la lutte, la tentative d'un individu ou d'un groupe de gouverner l'autre au nom de dieu. La convoitise du pouvoir semblait toujours marcher dans le sillage d'un cantique. »

Mais Richard est fort réfractaire à tout cela. Il est la brebis galeuse d'un troupeau misérable.

Et puis il y a l'incroyable découverte de la lecture et toute une vision du monde qui bascule.

« Les intrigues et l'action des romans m’intéressaient moins que le point de vue qu’ils révélaient. Je me donnais sans réserve à chaque roman, sans chercher à le critiquer. La lecture était comme une drogue, un stupéfiant. Les romans créaient en moi des états d'âme qui persistaient durant des semaines. »

Entraînant la soif d'études.

Bientôt suivi de la découverte du monde des Blancs, dont il avait été jusqu'alors séparé et de leur incroyable racisme qui vaut à tout Noir d'être perpétuellement en danger de mort.

« Il fallait dire "oui Monsieur, non Monsieur" , et me comporter de façon que les Blancs ne pensent pas que le m'imaginais être leur égal. »

 Il est même obligé de faire semblant de ne pas savoir lire et d'emprunter des livres à la bibliothèque comme commissionnaire avec la carte d'un Blanc (les bibliothèques ne prêtent pas aux Noirs et malheur à celui qui donnerait l'impression de vouloir s'instruire!). On comprendra que son départ vers le Nord sera tout simplement une fuite. Nous le quittons au moment où il part pour Chicago.

Un récit poignant de bout en bout mais aussi, plein d'espoir. Dans les pires conditions, on trouve des hommes qui redressent la tête et même parviennent à surmonter tous les obstacle car on sait déjà que Richard Wright connut tout de suite un grand succès. Il fut le premier noir américain à publier des best sellers. Quand on songe d'où il est parti...

978-2070369652 

30 septembre 2021

 Duluth  

de Gore Vidal

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Duuuuuluth, son univers impitoyaaableu ♫♪

Evidemment, plus personne ne connaît, mais tant pis.

Duluth est une ville du nord des Etats-Unis, dans le Minnesota plus précisément, mais ce n'est pas (du moins pas exactement) d'elle dont nous parlons aujourd'hui, car la  Duluth de ce roman est une version vidalienne de cette ville, qui conservera des caractéristiques de la vraie, mais s'en verra aussi octroyer de nouvelles. Ainsi par exemple, elle borde le Lac Supérieur mais... a également une frontière commune avec le Mexique dont elle recueille une foule d'émigrés clandestins. Ce n'est pas compliqué, il vous suffira de prendre pour argent comptant tout ce que vous dira Gore Vidal, et vous aurez la  Duluth du roman.

Ou du moins l'une d'elle, parce que dans ce roman, « Duluth », c'est aussi le titre d'un feuilleton télévisé à grand succès (Frère inspiré du « Dallas » que nous connaissons) dont on va beaucoup parler, ainsi que la ville fictive où se situe l'action de cette série télé. Ça a l'air compliqué comme ça, mais une fois lancé, vous verrez, on s'en sort très bien. Ce n'est pas si difficile. Il y a une sorte d'évidence là-dedans. Pour reprendre l'exemple de Dallas, je parie que cela n'a jamais gêné personne que la ville de Dallas du feuilleton n'ait pas été exactement semblable à la vraie et que personne n'a confondu cette ville fictive avec la vraie, ni avec le titre du feuilleton.

Eh bien, c'est pareil.

Donc, nous sommes à  Duluth et nous suivons, en 89 brefs chapitres, d'assez nombreux personnages qui y ont une place importante ou modeste. Mais, parce qu'il n'existe somme toute qu'un nombre limité de types de personnages et de situations, on retrouve les mêmes dans les différents plans de récits (feuilletons, réalité, livres...) et il peut arriver qu'ils se souviennent de ce qu'ils ont vécu dans une autre histoire et veuillent intervenir dans un autre niveau, ce qu'ils parviennent parfois à faire. Mais faites confiance à l’auteur, vous ne serez jamais perdu. Pour ce qui est de la « réalité » du roman, il va y avoir l'élection d'un nouveau maire. L'ancien se représente et le chef de la police brigue aussi la place. Tous les coups sont permis et on ne s'en prive pas, on fait même preuve d'une remarquable imagination en la matière. Le plus dépourvu de scrupules a le plus de chances de l'emporter, mais la concurrence est rude. La pègre locale sera mise à contribution (comme si les « bons citoyens » n'étaient pas au même niveau) et pour tout arranger, un OVNI est arrivé (mode de propulsion étrangissime! Vous verrez) et ses occupants pourraient bien devenir les maîtres de la ville... ou être annexés par elle. Vous l'avez compris, tout est en permanence possible, par-delà même toute notion de vraisemblance.

 Il n'en reste pas moins qu'un de ces personnages règne en secret sur tout, seulement connu sous le pseudonyme étonnant du "Mecton". Saurez-vous le démasquer ? (moi, je m'étais trompée)

L'auteur se régale ici dans cette satire de la société américaine moderne et du style lamentable de ces créations (dont certains écrivains ne savent pas lire les mots de plus de 3 lettres). Leur auteur principal, la redoutable Rosemary Klein Kantor est championne du monde toutes catégories en mensonge éhonté, plagiat et écriture débile (que Vidal s'amuse à pasticher par moments) pleine de répétitions, de clichés, de non-sens et déclarations délirantes ("Tout le monde tient pour acquis que le Maire ressortira de l'engin, ou pas." ou "Ils peuvent causer, causer jusqu'à plus soif. Et pendant plusieurs secondes de suite" etc. c'est sans fin, comme dans ces fictions). Les autres personnages du roman sont également originaux, remarquables et saisissants. Avec une mention spéciale pour la policière (Darlène) plus que bien placée aussi dans sa catégorie. Il y a quelques scènes de sexe très crues et très drôles. Tout est débridé à Duluth.

Gore Vidal a voulu montrer combien réalité et fiction étaient inextricablement mêlées dans le monde américain, au point qu'il soit devenu réellement impossible de les séparer. Ils se recoupent toujours. Et il avait parfaitement raison. Un exemple : en 2012,  l'acteur Larry Hagman-J.R. dans la série Dallas, est mort. Peu après, on pouvait lire dans les News :  « La mort de JR sera intégrée au scénario :  Près de trois semaines après le décès de Larry Hagman, le génial interprète de JR dans Dallas, les producteurs de la nouvelle  version de la série feront également mourir le personnage lors du 8ème épisode de la saison 2. » Vidal avait raison, nous arrivons dans un monde où réalité et fiction sont sur le même pied, mêlés, et indiscernables.


Citation : 

"Bellamy parle toujours aux inférieurs comme à des inférieurs. Cela signifie qu'il est très poli dans la façon dont il parle, mais impoli par sa manière de ne pas écouter ce qu'ils disent."

978-2351763247 

27 septembre 2021

 Le Serpent majuscule

de Pierre Lemaître

****+


Présenté par l'auteur comme son dernier polar (mais la vie nous réserve parfois des surprises...) "Le serpent majuscule" est également le premier écrit. Un polar qui n'avait jamais été proposé à un éditeur mais qui a dormi toutes ces années au fond d'un tiroir pour différentes raisons ayant peu à voir avec lui. Je suis enchantée qu'il en ait été sorti car j'aurais beaucoup regretté de ne pas le lire. J'ai en effet passé un excellent moment avec ce roman déjanté hyper saignant, à l'humour dévastateur au sens propre du terme.

"L'action du livre se déroule en 1985, heureux temps des cabines téléphoniques et des cartes routières, où l'auteur n'avait pas à craindre que son histoire soit rendue impossible par le téléphone portable, le GPS, les réseaux sociaux, les caméras de surveillance, la reconnaissance vocale, l'ADN, les fichiers numériques centralisés etc."

Ne reste plus que la nature humaine... et ses effroyables incertitudes.

Ne nous le cachons pas, quand un tueur à gage (une, en l’occurrence), sans doute un peu trop vieux, se met à yoyoter et à ne plus bien se souvenir de ce qu'il a fait et doit faire, les complications ne tardent pas à survenir. Ça aussi, c'est fatal. Les choses sont encore pires quand le dit-tueur est particulièrement efficace, qu'il a par ailleurs toujours manifesté une totale absence d'empathie et que la peur lui est tout autant inconnue. Un caractère quelque peu "soupe au lait" n'y arrange rien. Bref, voilà notre Mathilde qui part en roue libre et il va y avoir des dégâts. Beaucoup. Et souvent imprévus. Même pour elle.

Je me suis régalée ! J'ai ri et souri presque en permanence malgré ma consternation non feinte devant certains décès, car dans ce roman, tout peut arriver et avec Mathilde, c'est souvent le pire. Mais qui a dit que le lecteur n'aime pas être bousculé ? Vraiment, je recommande vivement à tous ceux qui aiment l'humour noir et le déjanté.

Des défauts à cette œuvre de jeunesse ? Bien sûr, qui n'en a pas ? Mais surtout des qualités bien plus rares et plus importantes, avec en premier lieu, l'originalité.


Extraits:

"Le problème, avec ces gars-là, Henri, c'est que souvent, ils sous-estiment la cible. Une vieille bonne-femme comme moi, il a pensé qu'il n'en ferait qu'une bouchée. C'est l'erreur classique. Vous avez de drôles d'idées sur les femmes. Surtout les vieilles. Maintenant, il n'aura pas le loisir de méditer sur cette question (...)"


"En mettant le focus sur l'action d'une bande rivale, on a fourré dans la tête des frères Tan le virus de la vengeance. S'ils étaient moins cons, on ne craindrait rien, mais leur esprit fonctionne en mode binaire. On a ouvert la boîte de Pandore et peut-être donné le signal d'une guerre des gangs. Ces règlements de comptes entre truands, surtout chez les plus minables, tournent facilement au pugilat. Ça défouraille dans tous les coins pendant des semaines, un meurtre en entraîne un autre et ça ne se calme pas facilement.

- Allez, dit le commissaire, on les relâche.

Quand ils sortent de la PJ, on jurerait deux furets à l'ouverture de la chasse."

9782226392084

23 septembre 2021

 

Et Nietzsche a pleuré  

d'Irvin Yalom

*****


Ce roman imagine ce qu'aurait pu être, en 1882, une rencontre entre le philosophe encore méconnu Friedrich Nietzsche et le médecin à succès Joseph Breuer qui tâtonne sur les voies de la pré-psychanalyse. «Faisons-les se rencontrer» se dit sans doute I. Yalom et voyons un peu comment ces deux-là vont mettre en relief ce creuset viennois de la pensée de la fin du 19ème siècle qui, après avoir hésité entre mesmérisme, phrénologie et s'être pas mal cherchée dans toutes les directions y compris les plus hasardeuses (parapsychologie par exemple), va donner naissance à la psychanalyse.

Et nous le voyons en effet. Tout comme nous voyons s'accumuler le terreau sur lequel fleuriront les études sur l'hystérie que Breuer et Freud (les vrais cette fois) mèneront longuement malgré la curieuse cécité dont le premier fait preuve ici en observant Nietzsche. (mais j'oubliais que l'hystérie ne peut concerner que des femmes...)

Notre Breuer donc affronte la crise des 40 ans avec son habituel cortège de pulsions de tout plaquer pour se donner une deuxième chance (forcément meilleure et liée -mais c'est par hasard bien sûr- à une expérience sexuelle motivante) et Nietzsche y sera bientôt, bien qu'il n'en ressente pas encore les effets (mais il en connaît d'autres...). Voilà deux personnages assez passionnants pour scotcher tout lecteur surtout quand ils négocient comme c'est le cas ici, chacun un tournant de leur existence et de l'histoire de la pensée. Pour ne rien dire d'un troisième larron: Sigmund, encore étudiant et découvrant peu à peu en arrière plan ce qui va révolutionner le monde moderne: l'inconscient. (Eh oui, rien de moins.) Il est donc impossible de ne pas s'intéresser énormément à tout ce qui va se jouer dans ces quelques 500 pages.

500 pages pendant lesquelles d'autre part, I. Yalom psychanalyste, ne l'oublions pas, reprend et creuse à nouveau son champ de recherche préféré: «l'entre deux», les relations entre le patient et son psy, le psy et son patient. Il le dit d'ailleurs (par la bouche de Breuer):  

«De même qu'un chirurgien doit d'abord connaître l'anatomie, le futur "médecin de l'angoisse" devra au préalable comprendre le lien qui se tisse entre celui qui conseille et celui qui est conseillé. Si je veux apporter ma contribution à cette nouvelle science du conseil, je dois pouvoir observer cette relation aussi objectivement que j'observe la cervelle d'un pigeon.» (370)

A noter également la notion de «conseiller philosophique» que l'on trouve aussi au cœur de «La méthode Schopenhauer» et qui témoigne des nombreuses passerelles que Yalom établit entre les deux disciplines, tout en les distinguant.

J'ai été moins convaincue par le personnage de Lou Salomé mais elle demeure annexe, sauf au début, ce qui a occasionné chez moi un démarrage un peu lent dans cette lecture.

Un livre passionnant néanmoins. J'ai adoré.


Extraits :

Symptôme :

 "Le symptôme n'est rien d'autre qu'un messager, chargé d'annoncer que l'angoisse est en train de monter depuis les tréfonds de l'âme! Des interrogations profondes et tourmentées sur le caractère fini de l'Homme, sur la mort de Dieu, la solitude, les fins dernières de l'existence, la liberté, autant d'angoisses réprimées pendant toute une vie brisent enfin leurs chaînes et cognent à la porte et aux fenêtres de l'esprit en exigeant d'être entendues, d'être vécues!(373)

"Peut-être les symptômes sont-ils porteurs d'un sens et disparaissent-ils uniquement une fois que leur message a été entendu. (355)


"Pour tout vous dire, je hais ceux qui me privent de ma solitude sans pour autant me tenir compagnie. (367)


9782253129455

19 septembre 2021

 Insomnie 

de Stephen King

***


Ralph, soixante-dix ans, a du mal à vivre seul depuis le décès encore assez récent de son épouse, ils n'avaient pas d'enfants. Il habite à Derry, ville fictive de l'État du Maine que l'on retrouve tout d'abord dans "Ça", puis "Dreamcatcher" et "22/11/63". C'est une ville assez typique des Etats Unis si ce n'est, comme le répète le récit que les choses ont tendance à y dégénérer plus facilement qu'ailleurs. Ralph y a son petit réseau d 'amis et de connaissances. Il est bien intégré socialement. Il est maintenant dans la catégorie des « vieux croulants » qui ont leurs coins où ils se retrouvent pour bavarder, jouer aux échecs etc.

Depuis quelque temps, les nuits de Ralph raccourcissent, d'environ une minute par nuit. Il s'endort sans problème puis se réveille, bien trop tôt, sans plus pouvoir se rendormir. C'est une forme d'insomnie bien courante et qui parlera à la plupart de ses lecteurs. Evidemment, la forme qu'a Ralph est un peu spéciale, en particulier avec cette réduction inexorable qui semble ne pas devoir connaître de limite jusqu'à disparition totale du sommeil... mais qu'en sera-t-il ?

Bien sûr, après ce genre de nuit, ce n'est pas un Ralph très fringant qui hante les rues de Derry dans la journée. Il est épuisé et commence à être sujet à des « faiblesses » et autres troubles de la perception. Parallèlement à ce problème, il découvre avec stupeur que Ed Deepneau, le mari charmant du jeune couple voisin qu'il fréquente amicalement, est en fait un être violent et même détraqué qui maltraite sa femme. Ralph intervient. Parallèlement encore (il y a plusieurs parallèle, c'est autorisé) deux clans s'affrontent à Derry, les ligues du droit à l'avortement et les antis. Les second vont peut-être parvenir à faire fermer le centre médical qui venait en aide aux femmes en difficulté et c'est pourquoi Susan Day, une célébrité féministe nationale va venir donner un meeting à Derry pour soutenir le centre. (Ce qui n'empêchera pas les « gens bien » dont Ralph et par sa voix Stephen King, de considérer qu'elle ne fait que jeter de l'huile sur le feu et ferait mieux de ne pas venir. Bah oui, mais les autres feraient mieux aussi de ne pas attaquer les droits chèrement gagnés, non? Bref, fin de la parenthèse.) La situation est explosive et il y a peu d'espoir que tout se passe sans violence. Mais avec King, bien sûr, on va bien au-delà, surtout que le supranormal fait bientôt son entrée.

Mon avis : Pas un très bon King. Bien sûr il y a le savoir-faire et la technique infaillible du maître et cela empêche le livre d'être mauvais. Mais c'est quand même un thriller mou, qui ne vous filera pas d'insomnie. Je le lisais tranquillement le soir avant d'éteindre. Pour ce qui est des personnages, Ralph est sympathique dans le premier tiers mais vire cucul ensuite quand il n'est plus seul, avec une façon bien ringarde de gérer ses relations. Toutes les explications qui sont données ont beau être longues, elles ne font d'embrumer sans rien éclaircir, le personnage lui-même est obligé de l'avouer, mais quand le lecteur s'est enfilé des pages et des pages d'enfumage, ça ne le console guère. Au bout du compte, on ne peut pas vraiment dire qu'on comprenne grand chose du pourquoi ou du comment. Les scènes d'action ne sont pas hyper poignantes, mais il y a de l'action et tout de même une tension qui nous mène jusqu'au bout.

Conclusion : un roman terminé sans trop de mal mais qui m'a passé pour un bon moment l'envie de relire du Stephen King.


Poche ‏ : ‎ 960 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2253151475
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2253151470



15 septembre 2021

Blacksad - Âme rouge  

Juan Diaz Canales

Dessins : Juanjo Guarnido 

*****


J'ai lu à la suite les quatre volumes qui constituent pour le moment l'intégralité des aventures de Blacksad et c'est ce tome 3 que je préfère. Quand je dis «  à la suite », je veux dire en quatre jours car je suis de ceux qui lisent lentement les bandes dessinées. Je m'arrête sur les dessins, reviens en arrière, examine le graphisme et les astuces techniques autant que le scénario, tout en me laissant emporter par l'intrigue. Si, si, j'y arrive très bien. Il suffit de prendre son temps. Pour chaque BD, compter une bonne heure et laisser passer une journée entre deux. C'est ma posologie.

Le tome 1 était intéressant. Il plaçait l'histoire : Etats-Unis juste après guerre. On y découvrait des personnages assez originaux. Ces humains à têtes animales, c'était quelque chose ! Parfois le visage est très animalier, parfois, surtout pour les personnages féminins, il est au contraire très proche de l'humain. Souvent, tout le reste du corps est strictement humanoïde, mais apparaissent parfois une queue touffue chez le renard, des ergots chez le coq, qui s'imposent et ne sont même pas remarqués. N'allez pas croire que parce qu'ils sont des animaux, ces personnages ont un caractère humoristique ou enfantin. Il n'en est rien. Ils sont strictement traités comme les plus réalistes des personnages de fiction. Il n'y a pas de second degré à ce niveau. Et une de mes surprises a été de remarquer que, loin d'être un matou souple et fin, Blacksad est plutôt du genre armoire à glace (et beau gosse). Il est très sympathique ce Blacksad que nous découvrons : solide, stable, sûr, intelligent.

Le tome deux est meilleur que le premier au niveau du scénario. L'histoire est plus intéressante et vraiment le gigantesque talent du dessinateur se confirme (et se confirmera encore et toujours au cours des volumes suivants). Il est pour beaucoup dans l’intérêt de cette série. Ceci dit sans dénigrer le scénariste qui, dès ce n°2 plus original que le premier manifeste de belles qualités.

Mais au niveau du scénario, le meilleur, c'est ce tome 3 : « Âme rouge », car il sait présenter des personnages à la psychologie vraiment fine, il sait tourner le dos à tout manichéisme et nous montrer ce qu'il y a d'autre que gentil/méchant, crime/vengeance. Ce n'est déjà pas toujours le cas dans les romans alors dans les BD... c'est exceptionnel. Je vous laisse admirer. Les personnages secondaires sont remarquables en tous points ! 

Et puis, pour la première fois,  Blacksad tombe amoureux ! Une belle histoire...

Donc : A l'aurore du maccarthysme, dans une société où se côtoient artistes, savants et hommes politiques, les relents de la guerre en Europe ne sont pas encore complètement dissipés et la guerre froide bat son plein. Blacksad est garde du corps d'un millionnaire débonnaire, et ami d'un savant nobélisable...

A noter que les quatre histoires des aventures de Blacksad sont totalement indépendantes et peuvent être lues dans n'importe quel ordre (sauf par moi qui suis maniaque et qui ne conçois la lecture d'une série que dans l'ordre et de façon suivie, mais vous n'avez peut-être pas mes défauts).

Au fait, je vous ai dit pour les dessins ? Ils sont FANTASTIQUES !

978-2205055641 

12 septembre 2021

 No smoking 

de Will Self

***+


«Ça laisse perplexe, commenta Tom négligemment»*

Je n'aurais pas mieux dit.

Un bien étrange roman que celui-ci! Une histoire étrange et confuse, se déroulant en un lieu étrange et confus avec des personnages eux-mêmes etr… oui.

Tout d’abord, on ne sait pas où cela se passe pour la bonne raison que le lieu est imaginaire. Et là, cela commence très fort parce qu’après avoir terminé le roman en imaginant très bien cet endroit quelque part en Afrique Equatoriale, j’ai lu une interview de l’auteur qui m’apprend que lui, il le voit un peu comme l’Australie… Bon. Donc, c’est n’importe où-nulle part et il y fait très chaud. Les indigènes vont en divers costumes, de celui d’Adam aux grandes toges noires et les ex-coloniaux (les "Anglos") portent de seyants costumes à manches et jambes courtes qui ne craignent pas à l’occasion d’être bleu clair, comme celui du personnage principal: notre Tom. (! j’espère que vous avez une lecture "visuelle", vous profiterez mieux)

"Sur l’avocat, les fines rayures avaient un effet magistral: de brillantes manchettes blanches étaient rabattues sur les manches courtes de la veste et attachées par des boutons ovales en or. Ses hautes chaussettes étaient retenues par des jarretières à glands dorés, et une courte robe plissée, décorée de rubans violet et rose, tombait de ses larges épaules. Une antique perruque de crin était perchée sur sa coiffure afro –sans rien ôter à la dignité de son allure." (122) et à ce moment-là, l’on n’a pourtant pas franchement envie de rire…

Tom est un touriste moyen, nanti, qu’on imagine trop gras, grognon, avec femme et enfants dont un garçon adopté, sinon débile, du moins un peu "différent". Il n’est pas particulièrement sympathique, sans être antipathique non plus et, qu’il se laisse faire ou se défende, tout au long de l’histoire il me semble que le lecteur s’en tiendra à cette empathie moyenne. 

Un beau soir de ses vacances, sur son balcon, notre Tom qui en a assez d’être brimé par les multiples interdictions de fumer qui torturent sans cesse son addiction, décide que cette cigarette qu’il fume sera la dernière et qu’il va ce soir même, jeter son dernier mégot. Ce qu’il fait… et ce dernier mégot tombant sur la tête d’un voisin lui-même à son balcon, va déclencher pour lui une horrible suite de catastrophes puisque le voisin, fort âgé ne va pas tarder à se retrouver hospitalisé dans le pire des états. Et nous allons voir tout au long de ce livre comment cette décision de cesser de fumer et  le jet de cet ultime mégot vont transformer la vie de Tom en enfer.

Sauf que si vous y réfléchissez, vous admettrez que le point de départ est dans le jet du mégot et que ce jet aurait tout à fait pu être le même pour une simple énième cigarette appelée à être suivie de nombreuses autres… Eh oui.

Et ce n’est pas plus mal de s’apercevoir tout de suite de ce caprice, car ce sera l’une des constantes de cette histoire étrange et confuse (voir plus haut). On accorde énormément d’importance à des choses qui, au détour d’une ligne, peuvent ne plus en avoir aucune (pour rester dans le domaine de la tabagie, le droit ou l’interdiction de fumer par exemple). Toute cette partie de la vie de Tom, à partir du moment où son jet de mégot va dégénérer en inculpation pour tentative de meurtre va se dérouler comme une sorte d’énorme jeu de piste ou jeu de rôle aux règles non seulement très complexes mais encore inconnues. Il les découvrira (partiellement) au fur et à mesure, les comprendra s’il peut, mais n’y sera pas moins strictement soumis... jusqu’à leur terme.

Et c’est pourquoi l’on ne peut pas faire le parallèle avec un livre comme par exemple "Le procès" de Kafka, parce qu’alors que là la tension venait de l’absurde des règlements appliqués dans une stricte logique bureaucratique, ici les règlements sont remplacés par des coutumes et superstitions tribales subjectives et magiques dont l’origine et la justification remontent peut-être à la nuit des temps. Et quand je dis peut-être…  

Pour revenir à mon appréciation elle-même, W. Self m’a bien baladée. Pendant le premier tiers du livre, l’estimation de ma satisfaction tournait autour des 2 étoiles. Le personnage est moyen et je n’arrivais pas à me passionner vraiment pour ce qui allait lui arriver ou non. Et puis, l’auteur met en place tout un monde bizarroïde et cela fait une grosse installation. Pas passionnante.

Pour le deuxième tiers, mon estimation a bondi aux 4 étoiles quand j’ai bien vu justement l’ampleur et l’originalité de l’univers qu’il avait réussi à créer. J’ai admiré les multiples trouvailles, jusqu’aux inventions de vocabulaire (ainsi savoir que l’on peut se trouver en état de "non-survie" peut inquiéter, non?) On s’y croit vraiment mais où? C’est de la folie ce monde!

Le dernier tiers, je l’ai dévoré tant je voulais arriver au terme de cette aventure incroyable… et là, si je ne peux pas dire que le lecteur est trompé car il découvre alors des clés vraiment énormes et imprévues, je dois quand même avouer que je suis restée… perplexe. Vous savez du genre qui tourne plusieurs fois la dernière page pour être sûr qu’il n’y a vraiment pas encore quelques lignes derrière. J’ai honte de l’avouer, mais je n’ai pas bien compris la fin. Ce n’est pas que je n’aie pas bien compris les explications, ça, ça allait. Ce que je n’ai pas saisi dans tous ses détails, c’est ce qui s’est passé exactement, à la fin et, avouons-le, c’est un peu embêtant.

J’ai relu les dernières pages sans noter d’amélioration de mon état et voilà pourquoi nous sommes redescendus à 3 étoiles et demi, ce qui nous fait quand même un 7 sur 10. C’est bien, non? Surtout que chacun sait que je note sec.


* Les félicitations spéciales du jury au traducteur qui nous a remplacé un titre original de deux mots d’anglais (the butt, eh oui) par un titre français… de deux mots d’anglais (c’est sûrement de l’humour de la même origine)

978-2757820186