19 mai 2021

 Le monde selon Garp 

de John Irving 

****+


   Le monde selon Garp est le livre par lequel le succès est arrivé à John Irving.

   Il avait déjà publié trois livres depuis dix ans : Liberté pour les ours, L'épopée d'un buveur d'eau et Un mariage poids moyen avec chaque fois un succès d’estime, mais c’est avec Garp que la célébrité est venue et avec elle, l’aisance et l’assurance.

      Ce roman est l’histoire de S.T. Garp, depuis avant sa naissance jusqu’après sa mort, en passant par toutes les étapes de son existence.

   Alors que son père pouvait difficilement exister moins, Garp d’abord projet de sa mère, puis gamin indépendant et équilibré, devient un écrivain américain en passant par la case épanouissement par le sport : la lutte.

       Ces relations avec les femmes ne sont généralement pas simples, comme n’étaient pas simples les relations de sa mère avec les hommes, mais d’une toute autre façon ; et l’on retrouve dans ce roman comme dans d’autres du même auteur, le thème des organisations féministes et de défense des femmes violées, des transgenres, ainsi que celui de la famille unie.

   L’autre thème majeur de ce livre est la paternité qui est pour Garp immense joie et tout aussi immense source d’angoisse.

      Les rebondissements ne manquent pas, tant cocasses que dramatiques et la mort est plus d’une fois présente dans le parcours, comme lorsque l’on voit le phobique des accidents dus à l’imprudence automobile être responsable d’un accident terrible dû à son imprudence automobile…

      Ce roman fait la part belle aux «seconds rôles» auxquels on pourrait sans doute même reprocher d’être un peu… exagérés. L’ailier de football américain transsexuel, le groupe de féministes muettes par automutilation, les différentes tares des enfants Percy… Vous me direz, ça a au moins le mérite d’être clair. Oui... Clair, ça l’est.

      Avec le séjour à Vienne, la lutte et nombre d’autre éléments autobiographiques, le cousinage entre Grap et Irving est inextricable et la «pension Grillparzer» n’est pas sans évoquer l’ «Hôtel New Hampshire» qui verra le jour 3 ans plus tard

   

   Je veux dire encore que j’ai beaucoup aimé le long épilogue qui, partant du principe qu’un roman est fini lorsque ses personnages sont morts, nous donne des nouvelles de la suite de la vie de tous les personnages, même de ceux que l’on a suivis peu de temps. J’ai vraiment bien apprécié cette fin même si je ne suis pas d’accord avec Irving qui dit que l’intérêt des épilogues est qu’ils permettent d’ouvrir une histoire sur l’avenir, alors que je pense plutôt qu’ils permettent de donner un sens au passé.

      En conclusion, c’est un livre qui se lit facilement et sans déplaisir, mais c’est aussi un monde romanesque qui, selon moi, manque un peu de finesse et de profondeur.

   Je crains que la façon totalement négative, colérique et méprisante dont l’auteur Garp reçoit les critiques sur ses productions, représente celle dont Irving les reçoit lui-même et c’est bien dommage car cela l’a peut-être empêché de franchir la distance, pas si grande, qui le séparait du vraiment bon livre. Il est sûr que certaines critiques faites à un livre sont infondées et qu’il ne faut pas s’y arrêter, mais elles ne peuvent pas l’être toutes. Il n’est pas bon non plus de ne prêter l’oreille qu’aux louanges et croire que les réserves ne sont émises que par des imbéciles ou des jaloux. Il manque bel et bien quelque chose aux romans de John Irving. S’il l’admettait, il pourrait peut-être trouver quoi.

      Alors, pour contrebalancer, je dois souligner aussi que j’avais déjà lu ce livre il y a de nombreuses années et que plusieurs scènes m’étaient nettement restées en mémoire, alors même que je ne me souvenais plus de quel livre elles provenaient. Et cela, tout de même, cette capacité à donner un tel impact à des scènes de son roman, ce n’est pas rien dire du talent d’un écrivain.

   Il manque quelque chose à John Irving, mais il a quelque chose aussi. C’est tout aussi certain. 


978-2020363761 

16 mai 2021

La séparation 

de Christopher Priest 

***+

SF

L'histoire débute ainsi : L'attention de l'historien et auteur à succès Stuart Gratton, spécialisé dans la seconde guerre mondiale, est attirée par l'évocation dans un texte de Churchill, d'un pilote de bombardier du nom de Sawyer, qui serait objecteur de conscience. La chose lui semble impossible et il entreprend de fouiller un peu cette piste pour en savoir plus sur ce Sawyer. Autant dire qu'en vous révélant d'entrée de jeu qu'il y a deux jumeaux Sawyer, la quatrième de couverture détruit tout de suite ce premier élément de surprise voulu par l'auteur.

Les recherches de l'historien se révèlent fructueuses puisqu'elles lui font découvrir que les frères Sawyer ont été médaillés olympiques britanniques aux jeux de 1936. Ils ont à cette occasion rencontré Rudolf Hess dont il va être beaucoup question tout au long du récit. En effet, dans la nuit du 10 au 11 mai, "décolle seul, secrètement, pour l'Écosse aux commandes d'un avion Messerschmitt, soi-disant sans en informer Hitler, afin de proposer un traité de paix séparée avec le Royaume-Uni, peu avant l’attaque-surprise allemande contre l’Union soviétique, violant le pacte de non-agression. En Allemagne, son départ imprévu est publiquement assimilé à une désertion. À son arrivée, en Écosse, sa démarche n'est pas prise au sérieux ; il est arrêté et maintenu en détention jusqu'à la fin de la guerre, puis il est transféré à Nuremberg pour y être jugé avec les principaux responsables nazis : reconnu coupable de complot et de crime contre la paix, il est condamné à la prison à vie" (Wikipedia). Cela, c'est la réalité, mais « La séparation » va imaginer les trois principales possibilités : Hess n'arrive pas en Angleterre car son avion est abattu, il y arrive mais n'est pas cru, il y arrive réellement mandaté et la guerre cesse sur le front ouest en 1941 au détriment des Russes. Cela offrait bien évidemment un sacré terrain de jeu à l'imagination. Je pense qu'il n'était pas du tout nécessaire de le compliquer, je dirais même de l'encombrer autant que l'auteur l'a fait. Pas un personnage principal mais deux, qui se ressemblent au point que ni les autres personnages, ni le lecteur ne les distingue. Les jumeaux ont même nom, mêmes initiales. Les chapitres sautent de l'un a l'autre sans qu'on le sache tout de suite. Quand on y ajoute des hallucinations... on peut dire que cela est compliqué au point d'en devenir franchement obscur. D'ailleurs, au bout du compte, je n'ai pas réussi à bien démêler l'étrange implication de l'historien (relevez son nom) dans tout cela...

Donné pour une uchronie, ce roman n'en est en fait pas vraiment une. Je ne veux pas livrer la chute mais ceux qui le liront le constateront. « La séparation » a reçu plusieurs prix, ce qui me met en porte-à-faux avec mes réserves sur ce roman d'un auteur que j'apprécie pourtant beaucoup habituellement.  C'est vrai qu'il a su avec maîtrise mener les grandes scènes et que je pense que c'était difficile à faire. On ne peut qu'admirer l'art de l'auteur confirmé (et doué), mais si j'ai lu sans peine les 450 et quelques pages de ce roman, je ne me suis cependant jamais laissée vraiment emporter par ce récit trop trompeur pour qu'on s'y fie. 

978-2070356980



14 mai 2021

 Une saison blanche et sèche 

d'André Brink

*****

Mais comment ont-ils pu en venir à bout?

Ce roman, a assis la célébrité internationale d’André Brink. Il a d’abord été publié à Londres puis à New York, car il était interdit en Afrique du Sud. On comprend tout de suite pourquoi : il décrit une dictature inique et totalement hors la loi qui a tout pouvoir dans une société qui refuse de la voir et de reconnaître son existence. De ce fait, le seul fait de rendre cette existence indéniable change complètement la donne et est susceptible de faire s’écrouler tout l’édifice. On ne peut d’ailleurs pas douter que ce livre y ait contribué. En particulier en éveillant les consciences internationales qui ont fait pression, mais pas seulement.

La préface à l’édition de poche est très intéressante. Elle nous explique en particulier les dates qui clôturent le roman : «1976, 1978-1979». C’est que Brink avait commencé ce livre avant la mort de Steve Biko *, qu’il l’a interrompu à ce moment, puis repris 2 ans plus tard.

Ce roman raconte l’histoire d’un professeur qui n’a rien de contestataire ni de particulièrement idéaliste au sens politique du terme. D’ailleurs, la politique ne l’a jamais intéressé. Bien installé dans une vie bourgeoise (beau-père député etc.), épouse active et présentant bien, ni passions ni faux pas, son seul intérêt non professionnel est l’ébénisterie. C’est pourtant cet homme-là qui, transformé en une sorte de zombie, contacte un ancien ami d’études complètement perdu de vue depuis des années et lui confie des documents qu’il dit précieux, juste avant d’être tué dans un accident. Ne vous inquiétez pas, je ne vous révèle pas indûment quoi que ce soit que j’aurais dû taire, ici comme dans tous les romans de lui que j’ai lus, André Brink choisit de révéler la fin de l’histoire dès les premières pages. Nous n’avons pas affaire à un adepte de la chute surprise «qui tue».

Donc, l’ami qui est écrivain de romans légers à succès, prend connaissance avec une surprise sans cesse grandissante des notes de son ancien condisciple et les rédige comme si ce dernier avait raconté au fur et à mesure tout ce qui lui est arrivé depuis l’arrestation dans une simple manifestation du fils de l’homme à tout faire noir de l’établissement où il enseigne.

Ce récit décrit une situation désespérément injuste et sans issue, celle des noirs du pays et de ce qu’ils doivent subir jour après jour depuis la misère et les brimades quotidiennes jusqu’aux arrestations arbitraires, la torture et le meurtre. Plus le récit avance, plus le niveau de rétorsion monte et plus la situation semble sans issue, autant aux lecteurs qu’à Ben Du Toit, le personnage principal et pourtant, contrairement à la plupart des autres blancs, il est bloqué dans son incapacité fondamentale à accepter de ne serait-ce que tolérer une telle injustice sous ses yeux et il continuera jusqu’au bout à la dénoncer, même quand il constatera que tous ses espoirs d’obtenir justice n’aboutiront à rien (l’on verra comment). Et nous voyons tout autant comment, bien que ce mouvement de justice ne puisse pas vaincre, l’on ne peut pas davantage lui imposer silence.

Un livre qui mérite largement le succès qu’il a rencontré et que l’on ne peut en aucun cas se dispenser de lire si l’on s’intéresse à l’Afrique du Sud. Un livre qui nous rappelle, Histoire à l’appui, que même là où on n’a aucune chance de vaincre la dictature… on y parvient quand même. A la longue.

* militant noir d'Afrique du Sud et une des grandes figures de la lutte anti-apartheid (1946-1977 Mort inexpliquée en détention)


978-2253029465


11 mai 2021

  

Dune - I et II 

de Frank Herbert

*****

SF

Ce roman est le premier du Cycle de Dune. Édité en un tome aux États Unis (1ère publication 1965), il a toujours été publié en français en 2, voire 3 volumes compte tenu de son épaisseur. Nous appellerons ici "Dune" la totalité de ce 1er tome original, quelle que soit la version de sa lecture.

"Dune" est un des chefs-d'œuvre de la littérature de science fiction des années 60. Il est en particulier marqué par l'ampleur de la vision et du monde imaginé et l'ambition des thèmes traités:

Nous sommes dans un empire planétaire dirigé par un empereur qui règne sur les Grandes Maisons dans un monde soumis par le besoin d'une denrée (l'Épice) que l'on ne trouve que sur la planète désertique, et aux conditions de vie plus que difficiles d'Arrakis, aussi appelée "Dune". La Maison des Atréides succède à celle des Harkonnens à la tête de ce fief. Les deux familles sont ennemies mortelles. Les Atréides incarnent l'honneur et les qualités de courage et de cœur, alors que les Harkonnens sont d'une cruauté, d'une lubricité et d'une cupidité sans limites. Mais les deux sont passées maîtresses dans l'art de la politique, de la stratégie et de la trahison. Machiavel est un débutant à côté de ces comtes, empereurs et barons.

L'action commence au moment de la passation de pouvoir. Les Atréides arrivent sur Arrakis et le comte sait bien que tout y est piégé pour lui et que l'Empereur aidera en sous-main le baron Harkonnen à lui nuire, mais il compte tout de même essayer de tirer parti des richesses de la planète. Il est accompagné de sa concubine, Dame Jessica, et de son fils: Paul Atréides, 15 ans. Dame Jessica est une Bene Gesserit, c'est à dire qu'elle appartient à un ordre totalement féminin qui a su s'organiser un grand pouvoir qu'elle consacre à sélectionner les hérédités en vue de la, naissance d'un «Kwisatz Haderach»: être mâle hors du commun, doté de pouvoirs intellectuels presque illimités. Les Bene Gesserit incarnent le pouvoir mental de la société.

Ce monde compte aussi une Guilde des transporteur dont le pouvoir est immense car il a la main-mise sur tout le transport interstellaire, et la CHOM (Combinat des Honnêtes Ober Marchands) qui représente les intérêts commerciaux qui sont comme on le sait, toujours primordiaux. Ah, encore une chose! Suite à une catastrophe antérieure, ce monde refuse toute technologie robotique.

Ce qui est clair, c'est que Frank Herbert ne prend pas ses lecteurs pour des imbéciles et ne les soupçonne jamais de n'avoir aucune envie de réfléchir. Son monde est un monde intelligent, tout comme le sont tous ses personnages. Les motivations sont fines et complexes, les projets minutieux et retors, comme les sont les ressorts de l'intrigue. Les pouvoirs extraordinaires que Paul Atréides développe progressivement ne servent jamais de panacée face à une situation inextricable. Ils sont des outils utilisés intelligemment en soutien à l'action menée.

"Dune" s'offre à plusieurs niveaux de lecture. Il sera dévoré par les plus jeunes comme un superbe et haletant roman d'aventure et même de formation puisqu'il accompagne Paul de ses 15 ans dominés par ses parents à sa totale émancipation (pour le moins). Les aînés choisiront peut-être d'y lire entre les lignes. L'Épice leur fera penser au pétrole et autres richesses fossiles d'autant que les modes de vie des Fremen évoquent fatalement les Touareg et autres peuples de pays dotés de richesses minérales. Les Bene Gesserit évoquent un mélange de religion et d'intellectualisme pour lequel on établira facilement des parallèles avec des éléments connus de nos sociétés. Quant aux contre-pouvoirs du transport et du commerce... il n'y a même pas à chercher. Grande force positive de ce roman: l'importance primordiale donnée à l'éducation. L'éducation est la clé de tout, sans elle, même les héros ne seraient rien.

Un livre que tout adolescent devrait lire et qu'on devrait tous relire plus tard, au moins une fois, mais sans doute plus, à différents stades.


Cycle de Dune:

- Dune

- Le Messie de Dune

- Les Enfants de Dune

- L’Empereur-Dieu de Dune

- Les Hérétiques de Dune

- La Maison des mères


978-2221252055


09 mai 2021

 

Une trop bruyante solitude 

de Bohumil Hrabal 

*****

Publié en 1977

« Les cieux ne sont pas humains »

   Joliment agrémentée d'un prologue et d'une quatrième de couverture qui divulguent absolument tout de l'histoire jusqu'au point final, mon édition a tendance à dater un peu. J'ignore si les éditions plus récentes présentent le même défaut, mais méfiez-vous quand même. On ne sait jamais.
     Une fois cette précaution prise, vous découvrirez un petit chef-d’œuvre dont vous vous lécherez les babines.

   Depuis 35 ans, Hanta, sorte de brute sans méchanceté mais au cerveau épais, est chargé du pilon. Une grosse presse hydraulique installée dans un sous-sol. On y balance par bennes entières des livres qui ne seront pas vendus, faute d’acheteurs ou pour des raisons politiques.
    "Je ne suis guère plus qu’un tendre boucher"
   Hanta ne se préoccupe guère des motifs qui ont amené les livres à sa presse, lui, ce qu’il aime, c’est bien faire son travail : de jolis cubes, bien réguliers, décorés d’une belle feuille illustrée qu’il place soigneusement en extérieur, et munis d’un cœur. Car oui, ces cubes de papier ont un cœur, Hanta le leur fabrique en plaçant soigneusement au centre de chacun d’eux un livre remarquable (et parfois aussi une poignée de souris). Il y a aussi des livres qu’il rapporte chez lui, transformant son très humble logis en un endroit dangereux où des avalanches le menacent, mais il estime que cela en vaut le risque.
  
   A choisir ces illustrations, ces livres, à les lire pour faire son choix etc., il perd beaucoup de temps et son rendement en cubes de papier ne satisfait guère sa hiérarchie. Hanta craint plus que tout ces réprimandes d’autant que cette cave et ce travail sont toute sa vie. Pour se consoler il boit pas mal, parfois avec des amis comme lui à la dérive. Il y a en particulier ses amis égoutiers qui sont d’anciens universitaires avec lesquels il parle de Goethe ou de Hegel, et de la sociologie des rats. On comprend qu’il y a beaucoup de gens bardés de diplômes dans ces emplois du bas de l’échelle. Mais on n’en dit pas plus, tout comme on ne s’était pas appesanti sur les raisons qui amenaient les livres au pilon. Hanta lui, qui use d’un vocabulaire étendu, qui sait choisir les livres, cite à bon escient tous les philosophes et passe du temps à soupeser leurs théories, se dit "Instruit malgré moi". Des hallucinations lui font même rencontrer Schopenhauer, Jésus ou Lao Tseu. Peut-être qu’il n’a pas ce cerveau épais que je vous annonçais au début… Pourtant, crasseux comme pas possible, "Si je prenais un bain, j’en tomberais malade, je dois y aller tout doucement avec l’hygiène", mal coordonné, baveux, terré dans son terrier, il affiche tous les signes d’une débilité légère. Le lecteur jugera.
  
   Dans 5 ans il sera à la retraite et il a prévu d’emporter sa presse, mais le service se modernise vite et Hanta convient de moins en moins à ce qu’on attend de lui. Ce vieux semi-clochard alcoolique est talonné par de jeunes ouvriers très propres et des machine automatisées et rapides…
  
   L’écriture est superbe et le style volontiers humoristique, humour noir ne répugnant pas à la scatologie. Le ton est donné, c’est à la Rabelais ou à la Ubu que Hrabal va mener sa mission, au grand plaisir du lecteur.
    Le pilon, Hrabal lui, le connut dès la sortie de l’imprimerie pour certains de ses livres qui n’atteignirent jamais les rayons des librairies. D’autres dont celui-ci, parurent amputés ou modifiés. C’étaient les années 60 et suivantes… on ne publiait pas ce qu’on voulait en Tchécoslovaquie et des universitaires étaient égoutiers.
    Les éditions françaises fournissent le texte intégral normalement.
  
  
   Extrait :  
   "Ainsi étranger, aliéné à moi-même, je m'en reviens chez moi en silence, plongé dans une méditation profonde, je marche dans la rue, perdu dans le flot de livre que j'ai trouvé ce jour-là et que j'emporte dans mon cartable, j'évite les tramways, les autos, les piétons, je passe au vert sans m'en rendre compte, sans heurter les passants ou les réverbères, j'avance empestant la bière et la crasse, mais je souris car j'ai dans mon cartable des livres dont j'attends ce soir-même qu'ils me révèlent sur moi ce que j'ignore encore."

978-2221188743

06 mai 2021

 Dans ma peau 

de Doris Lessing

****+


   “Dans ma peau” est le premier tome de l’autobiographie de Doris Lessing. Elle y raconte ses mémoires de sa naissance en 1919 à son installation à Londres en 1949. Il y a un second tome, “La Marche dans l'ombre” qui nous mène de 49 à 1962. Mais je ne l’ai pas lu car il était épuisé (mais Albin Michel l'a rééduté depuis).

      Cette autobiographie manifeste le sérieux souci d’une grande exactitude et d’une grande précision, tant dans les faits, les dates que dans la description des états psychologiques. Doris Lessing ne nie pas que les souvenirs sont sans cesse remodelés au gré de ce qui a été vécu depuis et de notre évolution mentale, mais elle ne se soucie pas de façon majeure de ce défaut. Elle tente de son mieux de nous raconter son histoire avec exactitude, fournissant détails, lieux, dates, noms, explications, qu’elles lui soient favorables ou non et sans tenter de justifier qui ou quoi que ce soit, ni chez elle, ni chez autrui. C’est cette liberté ce détachement et cette approche de l’objectivité qui rendent ce livre passionnant pour tous ceux qui s’intéressent à Doris Lessing

      Elle se raconte, mais on n’a jamais l’impression qu’elle se regarde vivre ou se met en scène.

      Nous la voyons petite fille, très proche de son frère, Harry et tout de suite opposée à sa mère dont il ne lui semble jamais recevoir assez d’amour et dont parallèlement elle ne supporte pas le caractère autoritaire. Nous faisons connaissance de son père, auquel la guerre de 14 aura volé une jambe et que ce handicap affaiblira lui ôtant la possibilité de rentabiliser jamais sa petite ferme de Rhodésie.

      Nous la verrons grandir, se plaire à se coudre de jolies robes, à aller boire et danser et à séduire les garçons (qui étaient bien loin de se douter qu’ils tenaient dans leur bras un futur prix Nobel de littérature). Flirter donc, se marier et avoir des enfants, ce qui nous en apprendra beaucoup sur les maternités et surtout la révolution qui s’est accomplie en matière de soins aux nouveaux nés. (A cette époque, quand une maman quitte la maternité au bout d’une semaine, elle n’a jamais pu nourrir son bébé à sa guise et n’a jamais encore passé plus d’une ½ heure dans la même pièce que lui.)

      Doris ne se sent pas femme à consacrer sa vie à élever des enfants. Ce qu’elle fait, elle le fait de son mieux, mais elle préfère assez tôt se séparer d’eux et de ce premier époux, d’autant qu’elle s’est lancée à corps perdu dans la politique. Elle est farouchement et sans compromission, communiste et antiraciste dans ce pays où la moindre remise en cause du racisme le plus caricatural et le plus primaire est perçu comme une menace*. Antiraciste, cette fille de colons blancs le restera toute sa vie et communiste, ce sera jusqu’à ce que ses yeux se décillent et que s’envolent les illusions qui furent celles des meilleurs de son époque. Son premier roman va bientôt paraître en Grande Bretagne : « Vaincue par la brousse » (The Grass is singing) … mais nous arrivons là à la fin de ce premier tome.

      Avant cela pourtant, D. Lessing nous aura montré comme nulle autre une société coloniale obtuse, raciste et cruelle, mais qui a assez souvent elle aussi une existence difficile. La vie des «petits blancs» est dure. C’est peut-être de cette souffrance que leur vient l’impression qu’ils ont fait quelque chose pour ces colonies. En fait, l’interdiction de tout Noir à un poste de responsabilité ne pouvait, à leur départ, que laisser un pays sans cadres et sans personne formé pour le diriger.

   *D’ailleurs, elle n’oublie pas : « J’ai été interdite de séjour pendant des décennies en Rhodésie du Sud, et aucun Blanc n’a élevé la voix en ma faveur » (p. 416)

978-2253141143

03 mai 2021

 Trois petits tours et puis reviennent

de Kate Atkinson

***+


Un Atkinson de 2020, comment résister ? Avec Jackson Brodie, surtout.

Mais tout de même...

Je ne peux pas nier avoir été un peu déçue. C'est très planplan tout ça. Très lent. Page 120 on en est encore à présenter les très nombreux personnages et les choses n'ont pas vraiment commencé. Une affaire énorme menée par des compères aux des mentalités de petits boutiquiers, est-ce bien vraisemblable tout ça ?

Mais bon, il y a aussi le plaisir de retrouver Jackson et sa vie familiale si embrouillée (Il doit cocher « c'est compliqué » sur sa page Facebook, lui), son fils ado, ses ex, et les nombreux autres personnages qui ont des vies bien compliquées également. C'est un roman très bien construit (quoique le cliffhanger systématique à chaque fin de chapitre et avant que le suivant vous emmène tout à fait ailleurs finisse par être un peu agaçant) et qui sait donc garder ses lecteurs jusqu'au bout. C'est touffu. C'est agréable à lire. Pas de gore, alors que le sujet s'y prêtait particulièrement puisqu'il s'agit du trafic d'esclaves sexuelles. Et puis on aime toujours la philosophie un peu boiteuse de Jackson que l'on suit tout au long de cette enquête. On aura pour finir toutes les réponses à toutes les questions soulevées. C'est aussi une des qualités des romans Atkinson.

Il vaut mieux pour finir, bien aimer les chiens aussi, parce qu'il y en a beaucoup, vraiment, très différents. La plupart des personnages, bons ou méchants, en ont. Cela devient la marque de fabrique Atkinson, on dirait.

Bref, pas le meilleur Jackson Brodie, mais quand même un gros roman qu'on ne rechigne pas à lire jusqu'au bout et on sautera encore sur le suivant s'il y en a un, parce qu'on aime cette ambiance de chiens anglais, de plages frisquettes et de britisheries, sans parler du héros modeste et féministe. 


Série Jackson Brodie :

1- La Souris bleue - Case Histories (2004)

2- Les choses s'arrangent mais ça ne va pas mieux - One Good Turn : A Jolly Murder Mystery (2006)

3- À quand les bonnes nouvelles ? - When Will There Be Goods News ? (2008)

4- Parti tôt, pris mon chien - Started Early, Took my Dog (2010)

5- Trois petits tours et puis reviennent - Big Sky (2019)

978-2709666107

01 mai 2021

 L'archipel d'une autre vie 

d'Andreï Makine


   J'ai été été contente de retrouver la belle écriture d'Andreï Makine. Cela fait plaisir : ces belles phrases, ces mots heureux, ces images parlantes, cette délicatesse du rendu, la finesse de la touche... Bref, l'écriture de Makine. Vous connaissez.

     Le narrateur est un homme qui remonte à son adolescence. Quand il était bébé, ses parents ont été tués par le régime stalinien. Il s'est retrouvé dans un de ces orphelinats où étaient regroupés les enfants de "dissidents". Il y avait reçu une éducation efficace mais sans tendresse, sans compter la rudesse de la cohabitation entre gamins connaissant surtout la loi du plus fort. Il y a reçu un conditionnement stalinien, qu'il est trop jeune pour songer à remettre en cause. Il a 14 ans quand commence le récit et il est envoyé plusieurs centaines de kilomètres à l'Est, pour terminer sa formation de géodésiste. (métier sur le choix duquel il n'a pas été consulté). Arrivé quelques jours trop tôt, il s'occupe en se promenant et en observant les passagers débarqués par l'hélicoptère qui seul, relie ce village au reste du monde. Remarquant un homme qui s'esquive discrètement dans la forêt alors que les autres embarquent dans le bus, il le suit par pure curiosité. Si lui même est habile à se débrouiller dans la nature, son "gibier" l'est plus encore... Le lecteur se régale de "nature writing" somptueux...

     Plus tard, cet inconnu lui racontera sa vie et c'est ce récit qui fait le plus gros du corps de ce roman. C'est le récit d'une traque, que l'homme (Pavel) alors soldat de base soumis à un très rude régime, mena avec d'autres militaires à la poursuite en pleine taïga, d'un fugitif évadé d'un camp. Ce récit nous montre avec une particulière efficacité ce que fut le régime stalinien. C'est glaçant. (Nous verrons plus tard que le régime libéral, nous le savons maintenant, ne fait pas de cadeaux non plus...)

     Aucun manichéisme dans ce récit si juste où nous découvrons le dessous des cartes et ce qui peut amener des hommes à se conduire de façon si cruelle qu'ils se détruisent eux-même. Makine sait montrer individuellement les profondeurs des âmes de ses personnages sans jamais être dans la démonstration ou le didactisme. On voit les choses ; et l'angle sous lequel on les voit nous permet de les comprendre. Il y a des héros obscurs, des monstres du quotidien, des lâchetés sans nom qui sont dans la routine, des sauvageries habituelles, des héroïsme secrets et inattendus et des éclats de poésie qui percent quand même... La vie. Rude, dangereuse, désespérément belle.

     Le seul bémol que je ferais peut-être tient à la structure du récit. Sa double mise en abîme (le jeune homme qui raconte ce que lui a raconté Pavel) m'a parue un peu forcée et d'une complication peut-être inutile. De plus Pavel et le rédacteur du livre se ressemblent un peu trop et une vague confusion s'installe à la longue. Mais ce n'est pas grand chose et j'ai peut-être tort. En tout cas, un livre à lire absolument, qui vous tiendra par ailleurs par son suspens totalement captivant. Comment tout cela se terminera-t-il ?

     "Un matin, en reprenant ma marche, je me rappelais les coups que j'avais reçus au visage et , très clairement, je compris qu'il n'y avait plus en moi, aucune envie de vengeance, aucune haine et même pas la tentation orgueilleuse de pardonner. Il y avait juste le silence ensoleillé de la rive que je longeais, la transparence lumineuse du ciel et le très léger tintement des feuilles qui, saisies par le gel, quittaient les branches et se posaient sur le givre du sol avec cette brève sonorité de cristal. Oui, juste la décantation suprême du silence et de la lumière."

978-2757883143

29 avril 2021

 La transparence du temps 

de Leonardo Padura

****

   Mario Condé nous la joue au "vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" dans ce tome qui le voit arriver à ses soixante ans. Il est bien désabusé, notre enquêteur. Voilà qu'il vieillit ! Que ses articulations ne sont plus ce qu'elles étaient, et même son estomac et sa tète tiennent moins bien l'alcool ! Oubliant donc qu'il y a plus triste que de vieillir (à savoir, ne pas avoir l'occasion de le faire), Mario interdit qu'on lui fasse une fête d'anniversaire et remâche ses désillusions. Mais les amis ne sont pas faits pour tenir compte de ce genre d'interdiction et les désillusions, si elles blessent, ont tout de même l'immense chance de ne toucher ni ses amours, ni ses amitiés. Mario devrait se considérer comme heureux. Pourtant, c'est vrai qu'il n'est pas riche. En temps normal du moins, parce que justement là, un riche client va asperger de beurre les épinards du quotidien.

     Le riche client se trouve être un ex-camarade de lycée (quelle surprise!), Boby. Un gamin qui avait beaucoup souffert à l'époque de son homosexualité cachée mais devinée par ses congénères, mais qui a su se rattraper depuis, assumer et faire fortune dans le monde de l’achat et la vente d’œuvres d'art. S'il fait aujourd'hui appel à Mario, c'est que son dernier amant a profité d'une de ses absences pour dépouiller toute la maison de ses valeurs En plus de la perte financière, il y a une statue de vierge noire à laquelle Boby tient énormément car elle est dans sa famille depuis toujours, et qu'en plus de sa valeur marchande, elle "a des dons", au point qu'il lui attribue la guérison de son récent cancer. Boby préférerait que la police ne vienne pas mettre son nez dans ses affaires de cœur et d'argent, et que ce soit Mario qui se charge de tout retrouver, ou au moins, la vierge noire.

     Mais cependant, la police (dans laquelle Condé a toujours ses entrées) ne va pas tarder à s'en mêler, car les morts vont pleuvoir, la vierge n'étant semble-t-il pas salvatrice pour tout le monde.

   Voilà donc une nouvelle enquête réunissant tous les ingrédients d'un nouveau tome des aventures du grand Mario. Nous voyons toujours en décor et quasi personnage, la Havane et sa vie quotidienne, et elle a évolué au fil du temps. Le carcan s'est relâché, tant côté blocus que côté administratif, mais l'embellie n'est toujours pas là et force est de constater que les décennies de privations endurées pour la bonne cause n'ont pas porté les fruits espérés. Mario promène son regard sur les quartiers les plus contrastés, nous les faisant découvrir, et c'est intéressant. Cependant, ce volume des aventures de Mario Condé ne fera pas partie de ceux que je conseillerai en premier lieu.

     Pourquoi a-t-il fallu que L. Padura se lance dans toute cette partie historique ?! Il va entreprendre d’entrelarder l’enquête de Mario de longs chapitres historiques aux dates mêlées du 12ème au 20ème siècle et qu'on a quand même beaucoup de mal à réorganiser et à suivre, sans parler de reconnaître les protagonistes. Cela a le charme d'attirer le lecteur qui aime toujours les histoires de Templiers, mais ce sont de longs chapitres qui coupent la lecture et désarçonnent le lecteur qui finit par retomber dans l'enquête de Mario au moment où il l'avait quelque peu oubliée. Cela nous fait un gros livre (420 pages), lourd dans les deux sens du terme, et sans rythme malgré les assez nombreuses scènes d'action. Il m'a semblé que Leonardo Padura avait été trop ambitieux sur ce coup-là. Il avait voulu que son roman dépasse le statut de polar pour devenir un roman à ampleur historique, affichant une documentation et une connaissance etc. mais la vérité est que tout ce passé historique ne change rien à l’enquête en cours et n'y apporte pas davantage. Mon avis est qu'en voulant enrichir son roman, il en a réduit l'impact et la qualité générale. Quand je lis Mario Condé, c'est pour l’enquête et l'ambiance cubaine réaliste, pas pour l'histoire de France ou d'Espagne. Qui trop embrasse, mal étreint.


Série Mario Conde :

Cycle Les Quatre Saisons :

Passé parfait - Pasado perfecto (1991) - Prix des Amériques insulaires 2002

Vents de carême - Vientos de cuaresma (1994)

Électre à La Havane - Máscaras (1997) -  Prix Hammet 1998

L'Automne à Cuba - Paisaje de otoño (1998) - Prix Hammet 1999

Mort d'un chinois à La Havane - La cola de la serpiente (2000)

Adiós Hemingway - Adiós Hemingway (2001)

Les Brumes du passé - La neblina del ayer (2005)

Hérétiques - Herejes (2013)

La Transparence du temps - La transparencia del tiempo (2018)

979-1022608329

27 avril 2021

 Montedidio 

de Erri De Luca

*****


Prix Femina étranger 2002

« La journée est une bouchée »

Une bouchée mordue dans le temps.

Un livre à la voix rude et puissante comme celle qui viendra au narrateur à la dernière page. Une voix forte comme un braiment d’âne (dit-il lui-même) et pareillement causée par la douleur.

Un livre à la très très belle écriture qui vous emporte et vous charme.

Un livre fort, rustique, manuel, viscéral, simple et vrai… je cherche d’autres adjectifs encore qui puissent rendre l’impression que j’ai éprouvée en le lisant.

L’histoire : Elle nous est contée par un gamin napolitain de 13 ans qui vient de quitter l’école pour pouvoir gagner un peu du pain qui est rare à la maison. Il la consigne le soir sur un rouleau de papier de rebut qu’on lui a donné. Quand le rouleau sera fini, l’histoire le sera aussi. Il habite sur le Montedidio, mont des quartiers pauvres, avec ses parents. Son père charge et décharge les bateaux, sa mère est déjà gravement malade du foie. Il trouve une embauche chez un menuisier qui héberge dans un coin de son atelier un cordonnier juif bossu, inexplicable rescapé des camps, qui s’est égaré là dans sa route vers Israël.

Elle nous conte les moments qui transformeront l’enfant tiré des bancs de l’école en homme.

La misère est omniprésente, une misère non pas de confort, mais bien de famine. Omniprésentes aussi sont les superstitions, cette crainte du mauvais œil, des sorts, et cette impression subséquente un peu rassurante en fait, mais si handicapante aussi, que l’on peut les éviter si l’on est vraiment très prudent en tout.

Le texte est émaillé de phrases en napolitain, toujours traduites, qui rappellent que cette langue-là est celle des pauvres. Que les plus miséreux ne connaissent qu’elle et n’ont pas le moindre accès à l’italien qu’ils ne comprennent même pas, et dont ils ne sont pas compris, et qui est la langue des livres…. Et du pouvoir et de la vie plus facile. L’enfant, à cheval sur les deux mondes, comprend l’italien mais vit en napolitain.

Tous les personnages ont une densité remarquable. Rafaniello, le cordonnier bossu est fascinant. Il porte en son dos ses ailes repliées. Le propriétaire et le menuisier auquel l’auteur a prêté son prénom, le sont tout autant ; et Maria, le concierge, les parents … et même le boomerang.

Le malheur est partout, mais l’humanité aussi. Celle dont nous pouvons être fiers.

Un livre exceptionnel. 

978-2070302703

25 avril 2021

 

Nouvelles 
de Jérôme David Salinger
*****

Des textes uniques
    "Dis-moi, s'il te plaît, comment fait-on pour écrire des histoires vraiment émouvantes et fragiles?" Demandait Leonardo Pädura à J.D. Salinger, par l'intermédiaire de son personnage. (Les brumes du passé)
  
   Chacune de ces nouvelles est une histoire totalement originale, avec un contexte, un imaginaire et des pistes de réflexion multiples et très riches. Ces nouvelles sont des textes uniques, qui vous hantent pour toujours.
  
   J’ai lu cet ouvrage pour la première fois alors que j’avais 16 ans. Il s’est gravé dans ma mémoire sans même que je m’en avise. Souvent en été, au bord de la mer, plus tard, je regardais les enfants jouer et je me disais « Un jour rêvé pour le poisson banane… » Personne, bien sûr, ne comprenait de quoi je parlais.
  
   Chacune de ces nouvelles avait fixé en moi une image, une scène… la plage du Poisson-banane, la petite sœur de Teddy, le bus de l’Homme hilare, le divan de l’Oncle déglingué par exemple, qu’il me semble bien que j’ai gardée telle que, jusque dans l’autre versant de ma vie. C’est rare. Il y a peu de livres dont je puisse dire la même chose.
  
   Ce recueil, je ne l’avais pas relu depuis. L’ayant trouvé dans un vide grenier, je l’ai relu il y a peu pour découvrir émerveillée le même envoûtement, la même lumière et un nouveau niveau de compréhension. Par exemple, maintenant, je sais que j’avais raison de supposer chez Salinger un vrai intérêt pour le bouddhisme, ainsi que je l’avais pensé à la lecture de « Teddy ».
  
   Je dois ajouter que je fais partie des gens qui n’avaient pas adoré « L’attrape cœur » alors même que tout le monde criait au génie et que j’avais l’âge du héros. Mais par contre, Les Nouvelles ou "Franny & Zooey" m’avaient emballée. J’avais 16 ans. C’était il y a un siècle, mais ce que la vie nous apprend à notre grande surprise, c’est il y a beaucoup de choses sur lesquelles on ne change pas.
  
   J’ai découvert autre chose : les gens qui lisent ces nouvelles ne lisent pas tous les mêmes histoires, loin de là.
    Vous me direz : «C’est toujours un peu le cas» Oui. Mais pas à ce point là.

978-2266126335

23 avril 2021

 Le monde inverti 

de Christopher Priest 

*****


SF

Titre original : Inverted World

 Prix British Science Fiction du meilleur roman 1975.

 C'est pour ce roman, publié en 1974 et qui fut son deuxième, que Christopher Priest est principalement connu. Totalement différent du précédent (« Le rat blanc » ou « Notre île sombre »), le style de ce monde inverti fait penser à Asimov. C'est dire que c'est à la fois, très bien fait, original, basé sur des explications pseudo-scientifiques, et un peu démodé, mais pas trop, ça se lit encore tout à fait bien, comme Asimov d'ailleurs.

Nous allons suivre notre personnage principal Helward Mann de son entrée dans l'âge adulte à son âge mûr et découvrir le très étrange monde dans lequel il vit. Ce monde, considéré comme une cité indépendante, avec son gouvernement élu, est totalement clos, sans vue sur l'extérieur, et Helward  est sur le point de découvrir cet extérieur grâce à sa nouvelle fonction qui exige qu'il y accède. Il va découvrir que cette cité est beaucoup moins grande qu'il ne l'avait supposé, beaucoup plus vulnérable aussi, et qu'elle se déplace sur des rails pour se maintenir proche d'un point appelé Optimum et qui lui même se déplace. Tout autour ce sont des zones semi-désertiques cependant peuplées de quelques indigènes faméliques. Nous allons découvrir peu à peu les particularité physiques très étranges de ce monde où ni l'espace ni le temps ne se manifestent comme nous y sommes habitués. La fin nous donnera plus d'explications.

Ce roman captive son lecteur en lui donnant à découvrir progressivement un monde tellement étrange mais cohérent, ayant ses lois physiques naturelles, mais différentes des nôtres ; avec son organisation sociale aussi, également différente. On dévore le livre poussé par la curiosité et le désir d'en savoir plus, de comprendre comment cela marche et également de voir comment tout cela se terminera car il est visible que la cité ne pourra pas avancer ainsi éternellement et même que l'on n'est pas loin de ses limites. Mais pas loin... entendons nous, le temps lui aussi ne se déroule pas là-bas comme ici. Vous verrez.

 Si vous vous intéressez un peu à la Science-fiction, ce Monde inverti est un indispensable qui, pour son originalité, sa complexité et sa maîtrise n'est pas prêt d'être détrôné.

978-2070421497